
savent distinguer les chemins praticables et ceux qui ne le sont pas : ils peuvent
ainsi servir ou desservir à volonté les troupes qui ont besoin de pénétrer dans
les montagnes, les livrer à la soif, les égarer et les faire périr au milieu du désert.
Plusieurs de ces cheykhs ont favorisé les Mamlouks et les Français tour-à-tour
dans la guerre dernière, et toujours pour de l’argent. Souvent ils faisoicnt prendre
aux troupes Françaises des chemins inverses de ceux qu’il falloit suivre pour
atteindre les Mamlouks ; ce qui a fait qu’on a surpris rarement ces derniers. Plusieurs
au contraire ont été vraiment utiles, en indiquant les chemins susceptibles
du passage de l'artillerie et ceux où l’on pouvoit abreuver les caravanes.
Il n’y a rien à dire sur la nourriture de ces Arabes, qui ne soit commun aux
fellah: elle consiste principalement en pain de dourah, en lait, .en pilau et en
dattes. Leur grand plat de mouton et de poule bouillis ensemble est bon et
appétissant. En général, ils se nourrissent un peu mieux que les autres habitans ;
comme eux, ils entretiennent beaucoup de colombiers.
Une différence remarquable entre ces Arabes et les autres, c’est qu’ils ne prononcent
pas la langue comme eux, mais bien comme les fellâli : par exemple, ils
ne dgiegnent pas ; ils disent guesr, gâma’ , comme les naturels, et non djesr,
djâma', comme les Arabes guerriers. Ils ne disent pas non plus the/athé, mais telatê.
Cette observation regarde le plus grand nombre; mais plusieurs d’entre eux prononcent
aussi à la manière des Bédouins.
Les habitans de ces villages ont encore d’autres traits communs avec les fellah:
par exemple, ils partagent avec eux l’indifférence et une espèce de dédain pour
les restes des antiquités Egyptiennes et-Romaines; ils ne les estiment que par le
service qu’ils en tirent, en y prenant des matériaux pour leurs besoins journaliers.
Au reste, ils ne sont pas moins ignorans et superstitieux quant à l’origine qu’ils
attribuent à ces monumens. A les croire, ce sont des géans qui ont creusé les
carrières et les grottes, élevé les palais et les temples; ils prétendent connoître
les noms et l’histoire de ces géans.
On se plaint des voleurs effrontés qui habitent les bords du Nil dans la Thé-
baïde : c’est à tort qu’on accuse les naturels du pays ; ces voleurs sont les habitans
des villages Arabes. Leur adresse inconcevable est assez connue pour qu’il
soit inutile d’en rapporter ici beaucoup d’exemples. Nos troupes ont été témoins,
dans la haute Egypte, de mille tours audacieux qui étonneront toujours, et qu’on
aura peine à croire malgré leur réalité. Combien de fois n’ont-ils pas dérobé des
chevaux auprès des cavaliers, ou les armes d’un poste, d’une avant-garde, d’une
sentinelle même ! On a vu ces hommes se cacher le jour dans des meules de
fourrage, en sortir la nuit pour aller voler, et on les a trouvés nus, à demi étouffés
sous ces meules, avec les armes qu’ils avoient prises. Us ont enlevé des sacs et des
fusils sous la tête même des soldats, et des épées au côté des officiers.
Il y a de ces villages dont tous les habitans sans exception, et les cheykhs eux-
memes, font metierde voler. Us arrêtent les paysans; ils pillent les barques, quelles
qu’elles soient ; ils dépouillent les marchands et les voyageurs. Les uns ont des
bateaux exprès pour attaquer en force les djermes qui naviguent; les autres viennentà
à la nage, et enlèvent adroitement tout ce qu’ils peuvent saisir. NazIet-el-Naouâeyl,
situé sur la rive droite un peu au-dessous de Manfâlout, peut être cité comme
exemple d’un village habité en entier par des voleurs de profession. Les Mamlouks
, m’a-t-on d it, en ont tué soixante à-la-fois, il y a quelques années. Il faut
que -ce pays soit bien misérable et sans aucune police, pour que de pareils brigandages
ne soient pas réprimés : ils commettent en effet ces-crimes impunément,
et retournent ensuite à leurs travaux; ils payent même leurs contributions. D’autres,
comme à Beny-Hasan, n’osent pas demeurer dans leurs maisons qui sont bien
bâties, et ils préfèrent séjourner dans des huttes de bouz ou de roseaux, au milieu
des palmiers, pour effectuer leurs desseins plus commodément, et pour échapper
aux recherches. Aussitôt qu’on arrive dans leurs villages, la terreur, qui est inséparable
du crime, s’empare deux et les fait fuir à l’avance; les maisons sont désertes,
et à peine y trouverez-vous un vieillard pour vous apporter de l’eau.
Les sept à huit villages compris sous la dénomination A’A ’marné, et dont le
principal est Beny-A’mrân, sont en grande partie adonnés à cet infâme métier.
J’ai vu des Arabes de ces villages arrêter impudemment, en plein jour, une barque
qui remontoit le fleuve, et en enlever des femmes, malgré leurs cris et la résistance
des, bateliers. Un des traits les plus hardis que je connoisse , est le suivant,
dont j’ai été aussi témoin en naviguant sur le fleuve. Le râys ou pilote de ma djerme
étoit debout, tenant la barre en main. Un des habitans d’el-A’marné sortit de l’eau
tout-à-coupm onta le long du gouvernail, et enleva sur la tête du pilote son
turban et le tarbouch ; il se précipita ensuite dans le Nil, disparut sous l’eau, et resta
long-temps caché, pour reparoître ensuite à quatre cents toises de la, sur la rive
opposée du fleuve.
§• 2 .
Tribus nouvellement établies.
B e a u c o u p de tribus parties du nord de l’Afrique sont venues s établir dans
l’Égypte moyenne, depuis environ un siècle. Ces Arabes ont acquis les terres de
plusieurs villages, et ils les cultivent, ou plus souvent les font cultiver: ils les
sèment ordinairement en fourrages, et ils y font paître, neufmois.de 1 année,
leurs chevaux et leurs bestiaux. De ce nombre sont les tribus aujourd’hui appelées
Eln-Ouâfy, Aboukoraym, Tahouy, Mahareb, et celles qui dépendent de ces tribus
principales. Les deux premières, et celles qui leur sont attachées, comme les Gah-
meh, les Taralouneh, habitent encore sous des tentes; mais elles ne campent que
sur leurs terres, ou sur celles qu’elles ont louées et dont elles payent 1 imposition.
Les autres logent dans, des villages. C ’est ce qui fait distinguer les Arabes par
les surnoms de Kheych et de Byout, mots qui veulent dire tentes et maisons. Les
derniers, quoique montant encore à cheval de temps en temps , ne sont pas
bien vus des autres, parcç qu’ils se rapprochent trop de la condition desfcllâh.
Cependant ils ne laissent pas de se battre avec succès, quand ils sont attaques
par les Arabes Kheych. Us ont aussi leurs tentes, leurs lances, leurs chameaux et