
instant de repos. II étoit totalement privé de sommeil, et il éprouvoit des douleurs
continuelles. On les calma par les antispasmodiques, lés bains tièdes et les
adoucissans. Après avoir observé quelque temps ce traitement, il sortit de l’hôpital
sans etre guéri: ses pustules étoient encore étendues, recouvertes de croûtes;
son corps etoit considérablement affoibli et maigre. On essaya par la suite d’autres
traitemens, qui n empêchèrent point la maladie de faire des progrès.
Après le départ de la division du Kaire pour France , .ce malade fut relâché
a Malte, avec plusieurs de ses compagnons. Le mauvais état de ses pustules et
leur aspect noirâtre et hideux firent croire au comité de santé établi dans cette
île, que ce militaire étoit affecté de la peste. (En effet,- ces pustules, lorsque je
les vis la première fois à 1 hôpital de la Garde, avoient quelque analogie avec
les charbons pestilentiels.) Il fut mis en quarantaine à Malte, et, peu de jours
après,.conduit au lazaret de Marseille, où il resta près de deux mois. Cependant
on reconnut que sa maladie n etoit point pestilentielle : aussi le mit-on à
libre-prahqitt, et il arriva à Paris à la fin de ventôse an 10 [mars 1802J. Le premier
germinal suivant [22 mars], il entra à l’hôpital de la Garde.
Il étoit foible et maigre. La couleur de son corps étoit cuivrée; les yeux
etoient tristes, ternes, les paupières plombées, les narines dilatées, les lèvres
épaisses et bleuâtres, les gencives pâles ; Je nez, auparavant droit et frêle, étoit
affaissé ; 1 haleine fétide, la peau de la face ridée, la respiration un peu laborieuse :
la poitrine et le bas-ventre étoient dans l’état ordinaire, les extrémités maigres et
comme engourdies. II mangeoit peu, avoit des goûts dépravés ; il ressentoit de
la lassitude, des douleurs dans les membres et aux deux hypocondres. Le pouls
étoit foible et sans fièvre.
Les coudes et les genoux étoient couverts de plaques noirâtres avec des croûtes
épaisses, qui cachoient des ulcères fongueux et sanieux. Les bords, formés par
les tégumens détachés de l’ulcère, étoient minces et insensibles, et cette insensibilité
se prolongeoit assez loin. Le malade éprouvoit quelques légères cuissons
vers le fond de ces ulcères. II portoit de pareilles tumeurs aux fesses, à la cuisse .
droite. Les jambes étoient saines, les urines jumenteuses : les fonctions digestives
se feisoient bien. II ne dormoit point, ou faisoit des rêves sinistres, et il était
constamment dans un état mélancolique.
M. Boussenard, à qui j'avois confié le service chirurgical près de la division
du Kaire, ma donné les détails que j’ai rapportés plus haut, et d’après lesquels
il est facile de voir que la maladie étoit au moins arrivée au troisième état.,
lorsque ce guide entra à l’hôpital de la Garde.
Apres lavoir préparé par quelques légers purgatifs, je le mis à l’usage d’une
tisane diaphorétique et amère, du vin de quinquina le matin, à des doses assez
fortes, du sirop que j’ai indiqué, le soir, et d’un bol de camphre et d’opium
la nuit.. *
Je faisois alterner ces moyens avec quelques préparations sulfiireuses et anti-,
moniales. Je, fis détacher les croûtes qui recouvroient les ulcères , à l’aide des
emolliens , et panser les plaies, pendant les premiers jours, avec de la pommade
anodine. Son régime étoit doux et nourrissant : on lui permettoit l’usage d’un
peu de vin de Bourgogne. 11 faisoit aussi, pendant le jour, quelques promenades,
au moyen de béquilles. «
Après trois mois de ce traitement, modifié convenablement, les douleurs se
calmèrent ; les cuissons que ressentoit le malade vers les racines des tumeurs,
disparurent ; les forces se rétablirent, les ulcères se détergèrent : mais la peau
environnante resta dans le même état; ce qui me força à faire l’excision de toute
celle qui étoit désorganisée. Cette opération se fit sans aucune douleur ; il y eut
seulement une petite effusion d’un sang noir et oléagineux. J’employai immédiatement
le cautère actuel, dont je réitérai plusieurs fois l’application :' les dernières
applications furent seules douloureuses. Je les secondai par des lotions de
vin chaud, et ensuite par celles de la liqueur dont j’ai parlé dans le traitement
général.
Dès la seconde application du cautère, les chairs devinrent rouges et sensibles.
Le tissu cellulaire étoit dégorgé, et la peau environnante avoit repris son
ressort et sa sensibilité. Peu-à-peu la cicatrice s’est faite ; le malade a été parfaitement
guéri, le 1 y messidor [4 juillet] , époque où il est sorti de l’hôpital.
Les traits de la face ont repris leur forme primitive, l’embonpoint s’est rétabli;
mais les cicatrices, qui sont larges, sont restées bleuâtres, et causent des
tiraillemens douloureux, lors dès changemens de température.
Ce militaire, qui a servi quelque temps dans les chasseurs de la Garde, s’est
retiré depuis, avec une pension de retraite, dans son pays natal, à Briançon.
DE L’É L É PH AN T IA S IS .
L ’ é l é p h a n t i a s i s paroît tenir du caractère des maladies lymphatiques : il
attaque la peau, le tissu cellulaire des extrémités inférieures, et donne à ces
membres un volume monstrueux et une forme si hideuse, qu’on les a comparés
aux pieds de l’éléphant (1); de là vient, selon les auteurs, le mot élêphantiasis
[voyez Avicenne). Cette maladie diffère de la lèpre sous beaucoup de rapports ;
cependant, comme la lèpre, elle commence par une lassitude générale, une
foiblesse dans les extrémités inférieures , une difficulté dans les mouvemens de
ces parties.
La plante des pieds est très - sensible ; et à la moindre marche, le malade
ressent des douleurs dans le trajet des os. Il est frappé de dégoût, de mal-aise;
le visage se décolore, les lèvres s’épaississent, et les gencives deviennent pâles.
Les pieds et les jambes grossissent par l’engorgement des membranes, du tissu
cellulaire et de la peau ; la jambe et le pied se couvrent de petits boutons miliaires
séparés et d’un rouge violet. Ces boutons s’ulcèrent, et les ulcères ou gerçures
se couvrent de croûtes jaunâtres, épaisses et inégales. L’humeur qui découle de
ces gerçures ou ulcères, présente le même caractère que celle qui découle des
pustules lépreuses. La peau de la jambe devient marbrée par le grand nombre de
. ( !) Voye^\a planche du sarcocèle de l’homme.