
Dans les camps Arabes, les femmes s’occupent à filer de la laine tjui est mise
en oeuvre dans les villages. C ’est de cette étoffé grossière que s’habillent les
hommes 'les plus pauvres ; mais les autres achètent dans les villes des barnous en
belle étoffe. Les femmes sont encore chargées de piler le dourah, de faire le pain,
de préparer le pilau, et de tous les petits travaux domestiques. Ce pain consiste en
galettes plates qu’on fait sécher sur la tente, et qu’on fait cuire ensuite avec la
fiente de chameaux ou avec du bouz : c’est un simple trou fait en terre qui forme
le four. Ils ont ainsi au milieu d’eux les vivres et le combustible. Une fois que
la provision de dourah est faite dans une famille, elle peut se passer de tous les
secours de-l’Egypte; il ne s’agit plus pour elle que de camper près d’un endroit
où il y ait de l’eau, et c’est ce que les Arabes savent mieux trouver que qui que
ce soit. Leurs tentes renferment des provisions de dattes, de riz, de dourah,
un peu d’orge, de blé et de fèves; tout est proprement disposé autour des murs,
de manière à laisser -le local encore très-spacieux. Dans une moitié, de la tente
sont les enfans et les femmes. 11 n’y a presque pas de différence entre le costume
de celles-ci et celui des hommes; elles portent .comme eux, des bottines; c’est
aussi avec une pièce de laine blanche qu’elles se couvrent depuis les pieds jusqu’à
la tête. Je ne les ai pas vues se voiler le visage comme les Égyptiennes, et cependant
elles sont généralement un peu plus blanches que les femmes des fellâh. En
restant ainsi le visage découvert devant des Européens, elles me sémbloient tenir
de l’effronterie qui caractérise les Arabes et les distingue des Égyptiens. Leurs
maris, moins jaloux, ou plus sûrs de leur vertu, n’exigent pas d’elles cette pratique
de se voiler la figure, qui, peut-être, en Egypte, n’a d’autre but que de repousser
les regards par un masque difforme et déplaisant : moyen toutefois moins efficace
que ne seroit l’absence même du voile ; en effet, quel meilleur remède contre
l’amour qu’un visage peint en noir et en bleu (il ! :
Les hommes, dans leurs Gamps, du moins les-gens de cheval, paroissent
n’avoir aucune occupation; on les voit, le tarbouch sur l’oreille, se promener
d’une tente à l’autre , les mains derrière le dos et se balançant dans leur marche ;
ils ont l’air gai, et sont presque tous de bonne mine ; quelques-uns, par leur
physionomie, par Jeur embonpoint, leur démarche grave , leur costume ample
et étoffé, ont plutôt l’air de riches oisifs que de gens de guerre et de cavaliers:
cet air de contentement et de bonheur est ce qui m’a le plus frappé chez les
Arabes.
Ce qui n’est pas moins digne de remarque, c’est qu’ils se dispensent des pratiques
de la religion. On ne les voit pas s’occuper d’ablutions et de prières,
comme les autres Musulmans. Ils boivent du vin dans l’occasion , se soucient
peu du ramadan; et s’ils pratiquent le pèlerinage de la Mecque, c’est pour les
bénéfices qu’ils en tirent.
D ’après ce qui précède, on voit que leurs camps ressemblent à de grands
villages, où l’abondance est sans contredit plus grande que dans ceux de l’Egypte ;
(i) O n sait que les femmes , en Egypte, se peignent se font des taches bleuâtres sur le menton fortement les cils et les paupières en noir, et qu’elles du visage. et sur le reste
et
et sans parler de l’or et de l’argent qui se trouvent dans ces maisons mobiles, tout
ce qui est nécessaire à la vie y est rassemblé. La sobriété des Arabes fait qu’ils
tirent de l’Egypte plus d’argent qu’ils ne lui en rendent. La vente des bestiaux,
des chevaux, des chameaux et de quelques denrées, leur en fournit bien plus
qu’ils n’en dépensent pour l’achat des armes, des selles et des vêtemens. On
peut assurer d’ailleurs que la plupart sont armés \avec des armes dérobées ou
enlevées sous mille prétextes; beaucoup d’entre eux s’habillent aussi avec des robes
volées sur les fellâli. L’argent que les Arabes accumulent ainsi dans leurs mains,
doit contribuer à établir leur domination en Egypte, autant que l’accroissement
de leur population et de leur cavalerie : et ne voit-on pas que cette influence
doit augmenter de plus en plus par la nature des choses, et mettre un jour
l’Egypte dans les .mains des Arabes! *
Ces hommes, dans leurs camps, ont peu de besoins et sont fort sobres ; mais
ils deviennent fort exigeans envers les voyageurs qui ont besoin de leur escorte:
ils demandent alors une nourriture choisie; il leur faut des viandes rôties, du café,
du tabac en abondance ; chacun d’eux coûte à nourrir près d’une pataque (i) par
jour: à les en croire, ils n’auroient jamais vécu autrement; encore ne sont-ils
pas fort dociles ni d’une grande complaisance. C’est ce que j’ai éprouvé parmi
les Ebn-Ouâfy, les Ahoukoraym et les Maharel, dont je me faisois escorter
dans mes courses. Les premiers, quand ils étoient contenus par ma présence, se
montroient moins durs envers les fellâh. Quant aux Mahareb, ils parcouraient
à cheval l’intérieur même des villages, et se faisoient fournir mille provisions au
nom des Français; plaisir nouveau pour eux, de piller impunément sous le nom
des autres (z).
Cette tribu des Mahareb occupe une grande partie de la province de Minyeh,
ainsi que je l’ai d it, et elle étend ses privilèges très-loin ; elle est divisée en beaucoup
de tribus partielles qui demeurent dans divers villages. Depuis long-temps
ils ne campent plus, ils ne portent plus la robe blanche, et ne se distinguent pas
d’abord des cheykhs fellâh parle costume. Les moindres de ces Arabes sont fort
bien vêtus. Tel d’entre eux est mieux mis qu’un cheykh de village, parce qu’il
porte sur lui la dépouille de quatre cheykhs : cet avantage du costume contribué
encore à augmenter leur fierté. Us n’en vont pas moins piller jusque sur la grande
route et sur le bord du Nil ; et l’on n’a aucun recours contre eux, parce qu’il est
impossible de découvrir à qui se plaindre. Dans l’état actuel, on ne sait trop sous
quel point de vue les considérer; reconnus en secret pour des voleurs, on n’ose
cependant les poursuivre , parce qu’en apparence leurs cheykhs se conduisent
bien dans leurs villages et dans leurs terres, et qu’ifs paroissent ne pas prendre
part au pillage, quoiqu’ils en partagent le butin. Etant arrivé pendant mon voyage
(1) Pièce de 90 parats [à peu-près 3 liv. 8 sous]. tamarisc qu’elle rapportoit péniblement du désert; ils
(2) Les indignités qu’ils commettoient de gaieté de n’avoient cependant pas le prétexte de manquer de bois
coe ur, font voir leur méchanceté autant que la foiblesse à la couchée. Comme ils s’applaudissoient de leur vol,
des fellâh. Je les ai vus prendre à une pauvre femme j’eus bien de la peine à leur faire rendre ces brins de
accablée par l’âge, une grosse charge de branches de bois sec, en leur en payant le prix.
Ê. M. Eccc