8 j 8 D E S C R I P T I O N D E S » I N S T R U M E N S D E M U S I Q U E
d’une source commune. En effet, le système musical qui résulte des rapports des
sons dans l’accord de l’e’oud, est celui-ci :
ORDRE D IA T O N IQ U E DES SO N S DE L’A C C O R D DE l ’ e ’o UD.
Cette série de sons, étant élevée d’une tierce, diffère très-peu ou ne diffère
même pas absolument de la gamme formée suivant le système musical de Gui
d’Arezzo, puisque cette gamme ne se composoit non plus que des six sons diatoniques
suivans, la note si n’ayant été ajoutée que plus de six cents ans après
Gui d’Arezzo, c’est-à-dire, il n’y a pas deux cents ans, par un musicien appelé
Lemaire.
G A MM E S U I V A N T LE S Y S TE M E DE GUI D’ AREZ ZO.
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Or, comme il n’est pas probable que les Egyptiens modernes ou les Arabes
aient reçu ce système musical des Européens, et comme il est très-vraisemblable, au
contraire, que l’art musical, depuis la décadence de l’empire Romain, a subi en
Europe le même sort que les autres arts libéraux et les sciences, c’est-à-dire, y
est tombé en désuétude et dans' une sorte d’oubli, tandis qu’il étoit cultivé’
avec le plus grand succès par les Arabes, chez lesquels les sciences et les arts de la
Grèce sembloient s’être réfugiés, il en résulte que ceux-ci, étendant leurs conquêtes
en Europe comme ils avoient fait dans l’Orient, et sur-tout s’étant rendus
maîtres d’une grande partie de l’Italie, purent y répandre, avec les autres connois-
sances, celles qu’ils avoient en musique (i). Par conséquent, il y a tout lieu de
croire que cette ressemblance entre la gamme des Arabes et la nôtre vient de
ce que Gui d’Arezzo, qui vécut à l’époque où les Arabes Sarrasins s’étoient
depuis long-temps rendus maîtres de la plus grande partie de l’Europe orientale
et méridionale, s’appropria leurs principes, et les fit adopter en Italie, à la place
de ceux de l’ancien système de-musique Grecque, dont on avoit perdu l’habitude
même jusque dans les églises, où S. Ambroise et S. Grégoire avoient pris
(x) Personne n ignore que les khalyfes Arabes, en progrès en Italie., et quelle mortification elle attira à son
etendant leurs conquêtes dans l'ancien monde, y répan- auteur, dans le royaume de Maroc. Les personnes.qui
dirent en même temps les sciences et les arts , qu’ils en- l'ignorent, peuvent consulter le Dictionnaire de Bayte
courageoient et faisoiènt fleurir par-tout ou ils regnoient. au mot Avcrroès. Voyez d’ailleurs, sur le vice radical du
Avicenne, qui vivoit du temps de Gui d’Arezzo, et nouveau système de musique établi par Gui d’Arezzo,
Averroès, qui vécut dans le douzième siècle, se sont et sur l’excellence de l’ancien système de musique des
rendus immortels par les excellens ouvrages qu’ils ont Grecs, ce que nous avons écrit dans nos Recherches sur
produits, et qu’on a traduits dans presque toutes les lranalogie de la musique et des arts qui ont pour objet
langues savantes de 1 Europe. On sait combien la doc- l'imitation du langage, II,c partie , chap. I et II.
trine philosophique et antireligieuse d’Averroès fit de
tant de soin à les rappeler. C’est-là du moins,selon nous, ce que l’on peut conjecturer
de plus raisonnable sur l’établissement du système vicieux que nous suivons
aujourd’hui en musique ; car, si l’ancien système des Grecs n eût pas été
méconnu alors, on n’auroit pas été tenté d’en adopter un autre, puisque le premier
étoft plus simple, plus clair, plus analogique, plus facile, et, en même temps, plus
complet que tous les systèmes de musique qui sont aujourd’hui en usage, soit en
Europe, soit èn Asie, soit en Afrique; qu’il se composoit des sept tons diatoniques
s i , u t , R É , m i, f a , s o l , l a , sans aucune altération, lesquels pouvoient
être entonnés naturellement ; tandis que, dans notre gamme u t , R É , m i , f a , s o l ,
l a , s i , u t , la septième "note s i nous paroît et est en effet toujours dure,dune
intonation difficile et désagréable , quelle que soit 1 habitude que nous ayons
contractée de cet ordre bizarre que ne donne aucune progression harmonique
naturelle.
On doit sans doute tous ces changemens dans l’art musical aux savans calculs de
Ptolémée, d’Euclide, de Théon de Smyme, &c., qui, ayant plutôt égard au matériel
des sons qu’à leur effet dans la mélodie, s’avisèrent de les analyser, d’en diviser
et subdiviser les intervalles établis et en usage de temps immémorial, pour les
multiplier et pour en composer de nouveaux que rejetoit la belle mélodie prosodique
et expressive des anciens : par ce moyen, ils intervertirent tout, brouillèrent
tout, au point de rendre méconnoissable, inintelligible même, l’ancien système de
musique, et de lui faire perdre entièrement cette affinité intime qui le üoit étroitement
à l’art oratoire, aux règles de la poésie, et, par conséquent, a celles de la
déclamation et de la récitation poétique ; enfin ils finirent par ne pouvoir plus
même ni s’accorder ni s’entendre entre eux. C’est de ce chaos, il n’en faut pas
douter, qu’est sorti le système actuel de la musique Arabe, et c’est, selon toutes
les apparences, ce dernier qui a servi de modèle à celui de Gui d’Arezzo, que
nous suivons maintenant.
Il est temps que nous passions à la description et a 1 explication d un autre
instrument: ainsi nous n’ajouterons plus, relativement à celui-ci, qu’un dernier
exemple pour donner une idée de la tablature et du doigter, et pour faire con-
noître les noms en arabe des notes dont son accord se compose; ce que nous
n’avons pas -fait dans les exemples précédens, dans la crainte de détourner I attention
des choses qui en étoient l’objet.