m é m o i r e
SUR
LA PESTE.
L a peste avoit déjà attaqué quelques militaires à Qatyeh, à el-A’rych et à Gaza,
lors du passage de l’armée dans ces endroits pour se rendre en Syrie ; mais elle né
se déclara d’une manière Rien marquée qu’à Ramleh. Pendant le siège de Jaffa, plusieurs
soldats, bien portans en apparence, périrent subitement de cette maladie;
et après la prise de cette ville, elle se développa avec une telle intensité, que,
urant Je séjour que nous y fîmes, le nombre des morts étoit depuis six jusqu’à
ouze et quinze par jour. Cette maladie s’apaisa pendant quelque temps, mais
ce ne fut que pour reparoître avec plus de violence ; et elle ne quitta point l’armée
jusqu au siège de Saint-Jean-d’Acre, où elle exerça le plus de ravages.
V oici les principaux phénomènes qu’elle m’a présentés, à des degrés différens
chez tous. les malades que j’ai vus ou traités.
On languit quelque temps dans un état d’inquiétude, de mal aise général qui
empeche de rester un seul instant dans la même position. Tout devient indifférent
; appétit pour les alimens ordinaires disparoît ; on conserve, dans les premiers
momens, Je désir de prendre quelques liqueurs stomachiques, telles que
du vin ou du café ; on éprouve une difficulté de respirer, et on cherche en vain
de air pur. A cette anxiété succède une foihlesse générale ; il survient des douleurs
sourdes a la tête, principalement au-dessus des sinus frontaux, et aux articulations
; toutes les cicatrices deviennent douloureuses ; il y a souvent des coliques
; des frissons irréguliers se font sentir dans toute l’habitude du corps, et
particulièrement aux extrémités inférieures ; le visage se décolore; les yeux sont
ternes, larmoyans et sans expression ; les excrétions sont suspendues ; il se déclare
des nausées, des envies de vomir, et même des vomissemens de matières d’abord
gaireuses, ensuite bilieuses. Dans les premiers momens, le pouls est petit et
prompt ; quelques heures après l’invasion de ces symptômes, il se manifeste une
chaleur universelle qui paroît se concentrer dans la région précordiaie ; le pouls
seleve et devient accéléré; la surface de la peau est bridante et se couvre d’un
en uit gommeux. Les douleurs de tête augmentent et produisent des vertiges •
les yeux sont hagards, la vue se trouble, la voix s’affoiblit ; le malade s’assoupit,’
et éprouve, par intervalles, des contractions involontaires dans les muscles des
extrémités et de la face. Alors la fièvre est allumée; le délire arrive plus ou moins
vite et devient furieux chez quelques-uns. J’en ai vu, sous Acre, sortir de l’hôpital
ou de la tente, courir dans les champs, entrer dans la mer jusqu’à mi-corps,
e t, après les plus violens exercices, revenir à leur place ; ou bien ils tomboient
de.foiblcsse au premier endroit, et y périssoient immédiatement. Le délire se
déclare souvent en même temps que la fièvre ; sa durée est relative à la force
du sujet : quelquefois il finit avec la vie, en quelques heures; chez d’autres il se
soutient vingt-quatre heures, deux jours ; rarement va-t-il jusqu’au cinquième, à
moins qu’il ne soit léger. Toutes les excrétions s’ouvrent, sur-tout les selles, qui
dégénèrent en diarrhée, ou flux dyssenterique : le sang que rend le malade est noir
et fétide.
Outre ces symptômes, il survient dans les aines, les aisselles, ou d’autres parties
du corps, des tumeurs qu’on désigne sous le nom de bubons: ils n’attaquent
jamais le tissu des glandes, et se manifestent presque toujours au-dessous ou dans
les environs. Lorsqu’ils se déclarent au commencement de la maladie et qu’ils se
terminent par la suppuration, ils paraissent produire une crise favorable. D ’autres
fois il se forme des charbons qui se présentent ordinairement à la face ou aux
extrémités : leur nombre varie.
Lorsque la maladie se déclare tout-à-coup, et qu’il n’y a ni bubons ni charbons,
on voit paroître des taches de forme lenticulaire : d’abord elles sont rouges,
ensuite elles brunissent et deviennent noires (ce sont des pétéchies) ; souvent elles
s’étendent, communiquent ensemble et forment des charbons.
Cette maladie offre beaucoup de variétés. Quelquefois elle se développe d’une
manière subite, produit des symptômes alarmans, et enlève le malade en quelques
heures. J ’ai vu un sergent-major'de la 32.' demi - brigade, . âgé de vingt-trois
ans , d’une constitution robuste, périr après six heures de maladie seulement.
Lorsqu’elle est aussi violente , il ne paroît aucun symptôme extérieur ; mais à
l’instant de la mort, ou peu de momens après, le corps se couvre de pétéchies
gangréneuses.
Chez la plupart des individus que j’ai eu occasion de traiter de la peste, elle
a eu une marche moins effrayante. Les douleurs de tête, la foiblesse, les nausées
et les vomissemens, avoient lieu pendant les premières vingt-quatre heures;
la fièvre s’allumoit le second jour; les bubons se montraient aussitôt; et s’ils
étoient suivis d’inflammation et de la suppuration , les accidens s’apaisoient vers
le quatrième jour, et disparoissoient insensiblement ; les bubons s’abcédoient, et
les malades pouvoient être regardés comme guéris : au contraire, si les bubons ne
suppuraient pas, tous les accidens faisoient des progrès rapides, et ils périssoient
le troisième ou le cinquième jour.
Dans le cas où la maladie étoit de courte durée, la mort étoit devancée par
les symptômes les plus affreux. J’ai vu périr plusieurs personnes dans cet état. Si
l’individu est en marche, il tombe frappé de convulsions et de contorsions violentes;
tous les traits de la face se décomposent, les lèvres s’écartent et se contournent
en tout sens, la langue se tuméfie et sort de la bouche ; une salive épaisse
et fétide coule involontairement ; les narines se dilatent et laissent fluer en abondance
une morve sanieuse et de mauvaise odeur ; les yeux sont ouverts, semblent
sortir de l’orbite et restent fixes ; la peau du visage se décolore ; le malade.se
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