que ne font point les fellâh. Ce motif sera toujours une considération pour ne
pas expulser les Arabes ; car il ny a qu’eux maintenant qui fournissent le pays de
chevaux et de chameaux : on en trouveroit bien peu aujourd’hui en Égypte, si
tous ceux que larmee Française a employés n’avoientété tirés'que des campagnes.
On connoît la prédilection que les cavaliers Arabes ont pour les jumens.; j’en ai
souvent demandé là raison à des Bédouins avec qui je voyageois, sans qu’ils voulussent
me -la dire. On pense communément que c’est pour éviter le hennissement
des chevaux, qui avertirait de leur présence, et surprendre ainsi leur proie plus
aisément; la vérité est que les jumcns soutiennent mieux la fatigue et la soif,
quelles ont moins de besoins, enfin qu’elles sont moins impétueuses que les chevaux,
et plus commodes a montér pour des hommes qui demeurent souvent plusieurs
jouis de suite a cheval , sans presque en descendre. Leurs jumens ont un
air maigre et chétif; mais elles ne le cèdent point en vitesse à nos chevaux les
mieux nourris. Presque toutes ont un pompon blanc, bleu ou rouge, au-dessous
du cou, et quelquefois aussi aux oreilles. L’afièction des Arabes pour leurs jumens
n’est guère moindre que celle d’un homme pour sa maîtresse, tant ils sont inquiets
et attentifs pour qu’il ne manque rien à leur bien-être. Alais ils ne se donnent
jamais plus de mouvement pour leur procurer une bonne nourriture que lorsqu’ils
peuvent -le faire aux dépens dautrui. Combien de fois, voyageant à leur côté,
ne les ai-je pas vus descendre de leurs jumens/pour ainsi dire à chaque pas, et
les faire arrêter dans les champs de trèfle, d’orge, et même de blé vert ou en
epi ! Ils les faisoient manger si souvent, que je pense que c’étoit moins pour
satisfaite leui faim que pour le plaisir de les nourrir dans le champ des autres:
pour un Aiabe, il ny a pas dinstant plus doux que celui où il se présente une
proie à saisir.
Une tribu Arabe qui n’a que quelques terres en propriété ou à titre de loyer,
s arroge pourtant de 1 influence et une sorte de domination dans un arrondissement
qui est beaucoup plus grand que ces mêmes terres, et cet arrondissement
est déterminé et distinct de celui des tribus circonvoisines. Une tribu ne sort
jamais ou presque jamais de ses limites pour aller sur ¡arrondissement des autres;
c’est une sorte de convention tacite, qui a été réglée à la suite des- querelles
et des guerres qui ont existé à ce sujet. Les divers arrondissemens sont contigus
et embrassent ainsi tout le territoire. Il n’y a rien de plus singulier que de voir
ces prétendus maîtres de 1 Égypte se partager ainsi ses provinces, et assigner les
limités de leur juridiction respective. Ils n’appellent pas autrement cesarrondis-
semens que leur terre, leur pays, leur principauté; ce qui veut dire que, dans telle
étendue de pays, ils ont le droit, exclusivement à tous autres Arabes, de commettre
leurs pillages et leurs violences. Je n’ai jamais pu faire passer au-delà de
leur arrondissement des Arabes Oitâjÿ que j’avois avec moi pour escorte, ni au-
delà de Meylaouy, des cavaliers que m’avoit envoyés le cheykh A’iy Aboukoraym,
Il en est de meme des Maltareb. Le motif en est, qu’outre qu’il n’est pas permis à
une tribu de passer sur les terres d’une autre, ils n’aiment pas non plus à voyager
sur les bords du Nil, ou près des grandes villes, telles que Meylaouy, Minyeh, &c.
quand ils sont en petit nombre. Un Arabe seul, et dans un endroit écarté, auroit à
craindre le ressentiment de quelque cheykh de village, et il est trop prudent
pour s’y exposer. En eflèt, on punit quelquefois le premier Arabe qui se présente
, du mal qu’a fait un autre : tout homme à cheval, habillé de blanc et armé
d’un fusil, est un brigand aux-yeux des fellâh, et ils n’ont pas tout-à-fait tort.
Voici la division du territoire entre les différentes tribus que j’ai citées. La tribu
Ebn-Ouâfy, très-riche en chevaux, est campée au midi du canal appelé Tera’t-
el-A’sal, et jusqu’à Sanaboû vers le nord. Le chef-lieu est Tetalyeh, village situé
au nord de Manfàlout, et près duquel se trouve un couvent assez considérable;
c’est la résidence du cheykh A’bd-allah ebn-Mahmoud ebn-Ouâfy (i). La tribu
occupe les environs d’el-Ensâr, Meyr, Qousyeh et Sanaboû.
La tribu Aboukoraym, cheykh A’iy, a pour arrondissement l’intervalle compris
entre Sanaboû et Meylaouy. La résidence du cheykh est à Sâou; ces Arabes sont
campés auprès de Bcblâou, Dachlout, Sâou, Darout-el-Cheryf, Dalgé, Deyr-
mouâs, el-Badramân , Bâouyt, Emchoul, Abou-el-Hedr, Esmoû , Beny-Harâm ,
Serqné, et même Tendeh et Toukh.
A cette tribu appartiennent les Tarahouneh, campés à Tendeh, et les Galmieh,
campés sur la rive gauche du canal Joseph, entre Dalgé et Darout-omm-Nakhleh,
et jusqu’à Saft-el-Khammâr en face de Minyeh : ceux-ci ont des tentes dans des endroits
fort éloignés les uns des autres, et même au milieu des tribus Ebn-Ouâfy
et Aboukoraym.
Les Maltareb sont presque tous logés dans des maisons ; c’est depuis environ
quinze ans qu’ils ne campent plus. Us ont un arrondissement très-considérable,
qui s’étend sur la rive droite du canal Joseph, depuis le point qui est en face de
Touneh jusqu’à la hauteur de Behneseh, à vingt lieues au nord de Meylaouy.
Le chef-lieu est el-A’ryn, où réside le cheykh Abouzeyd. Le cheykh Zeyd habite
à Darout-omm-Nakhleh ; Hâggy A’bd-allah à Ebchâdeh. Ils occupent el-Mahras,
D arout, Ebchâdeh, Echment, et beaucoup d’autres villages.
Les Arabes Gabâr ou Gabâyreh, Ghaçâyeh, Darâbseh et Chaouâdy dépendent
tous de la tribu des Mahareb, dont ils sont originaires, et sont tous cultivateurs
et logés dans des villages. Les premiers, cheykh el-Azis, occupent Toukh-ei-
Kheyl ; les Gha^âyeh sont à Darout-omm-Nakhleh et plus au nord à E’zbeh, province
de Beny-soueyf. Les Darâbseh et les Chaouâdy occupent les environs de
Beny-Samrag, de Tahâ et de Bougeh : les Darâbseh ont encore quelques tentes.
Les Arabes nommés el-Khouyn et el-A’iyb occupent les environs de Samalout.
Quant aux Tahouy ou Mesrâty, autrement les Arabes de Tahâ, il en sera question
plus loin.
La tribu Aboukoraym possède mille chevaux et une très-grande quantité de
chameaux. Les cheykhs principaux sont A’iy et Solymân. Les Galmeh ont plus
de cinq cents chevaux. Les quatre tribus Ebn-Ouâfy, Aboukoraym, Gahmeh et
Mahareb, vont égalemcntàla petite Oasis, et viennent en vendre les marchandises
dans les grands marchés de Dachlout, de Dalgé, de Sanaboû, de Qousyeh.
(i) Son père Mahmoud est mort subitement en 1798.