M É M O I R E S U R L E S T R I B U S A R A B E S
le calme des nuits. Cependant les pluies sont un peu moins rares dans .les parties
montueuses qu’en Egypte, et le semoum trouble aussi quelquefois la sérénité de
l’air. -
Le semoum, ou vent empoisonné, souffle du sud-ouest: sa vitesse n’est point
uniforme; elle s’accélère et se ralentit d’instant en instant. Il élève à une grande
hauteur des tourbillons de sable qui, plus d’une fois, ont enseveli des caravanes
et jusqu’à des armées entières. La perte de celle que Cambyse envoya contre les
habitans de l’oasis d’Ammon, fut, comme on le sait, attribuée à un de ces ouragans.
Ces immenses tourbillons, heureusement rares, sont moins fréquens dans les
déserts à l’est de l’Egypte, que dans ceux de l’ouest, où le terrain est plus mobile.
Mais le semoum, lors même qu’il ne pousse aucun tourbillon devant lui,
est encore un fléau redoutable; toujours chargé d’une poussière subtile et brûlante",
il obscurcit l’éclat du soleil, donne à l’atmosphère une teinte livide, porte la
chaleur à un degré insupportable, dessèche les plantes, et tue même les hommes
et les animaux, si, au moment des rafales, ils n’évitent de le respirer en se couvrant
la figure ou en détournant la tête. Ses propriétés malfaisantes l’ont fait nommer
dans le désert semoum [poison]; en Egypte, où il est moins dangereux, on
l’appelle khamsyn [cinquante], parce qu’il se fait sentir plus fréquemment pendant
les cinquante jours qui avoisinent l’équinoxe du printemps.
Il est un autre phénomène que présente le désert, et que M. Monge a décrit
et expliqué avec cette clarté qui distingue toutes les productions de ce savant
célèbre. On croit voir, à une lieue environ, une étendue d’eau considérable. Les
corps que l’on aperçoit à cette distance, présentent au-dessous d’eux leurs images
renversées : l’illusion est complète; et plus d’une fois de malheureux voyageurs,
entraînés par cette apparence trompeuse, ont péri d’une mort cruelle en cherchant
à étancher leur soif à ce lac fantastique, qui se.reculoit devant eux , tandis que
leurs compagnons restés en arrière les croyoient arrivés au terme de leur désir
et envioient leurs jouissances. Ce phénomène est dû à la lumière qui se réfracte
en traversant les couches inférieures de l’atmosphère, raréfiées à la surface de la
terre par la chaleur des sables.
La gazelle, dont la timidité gracieuse, l’oeil noir et vif, servent souvent d’images
à l’amant Arabe qui peint sa douce amie, l’autruche rapide et le lent caméléon, sont
les seuls animaux sauvages que j’aie rencontrés dans le désert (i). On trouve encore
assez communément, aux environs des camps, des chiens de forte taille et de poil
roux; ils n'appartiennent à personne en propre, et vivent dans un état presque sauvage.
Jamais ils ne sont atteints delà rage, malgré les chaleurs excessives et la privation
presque absolue d’eau : ils se nourrissent des bestiaux morts et des immondices,
ce qui contribue à maintenir la salubrité de l’air autour des camps; enfin, sachant
distinguer les étrangers des individus de la tribu, ils servent, en quelque sorte, de
vedettes avancées , prêts à donner par leurs aboiemens l’alarme au moindre
danger. II existe aussi, chez quelques hordes, des chiens lévriers d’une belle race:
( i ) II y a dans le désert d'autres animaux sauvages, tels que le chacal ou loup d'Afrique,je ne parle ici que de ceux que j’y ai vus moi-même. l’hyène, & c.; mais
D E S D É S E R T S D E l ’ É G Y P T E . 5 9 9
mais Ceux-ci ne vivent point en liberté comme les premiers ; ils ont des maîtres
qui les tiennent presque toujours à l’attache, et qui s’en servent pour forcer à
la course les gazelles et les autruches.
Les caravanes qui traversent le désert sont obligées de payer un droit aux tribus
sur le territoire desquelles elles passent, sous peine d’être attaquées, dévalisées, et
réduites en esclavage ou dispersées sans ressource dans le désert; et, quoique
nous nous soyons souvent récriés contre cet usage, il n’en est pas moins conforme
aux droits des nations. N’avons-nous pas aussi des lois sévères sur les passeports
, et des douanes pour les marchandises étrangères qui traversent notre
territoire 1 ne punit-on point par la confiscation, l’emprisonnement, les fers et la
mort même, ceux qui emploient la ruse ou la force pour s’y soustraire!
Le territoire d’une tribu appartient en commun à tous ceux qui la composent.
Est-il sablonneux, aride, chacun conduit ses troupeaux où il veut; est-il fertile,
ils le font cultiver par les anciens fctlâh, et, à défaut de ceux-ci, par leurs prisonniers,
leurs esclaves ou leurs domestiques, et les bénéfices se partagent, avec
une grande équité, entre les différentes familles.
Outre le désert qui est à eux en toute propriété, les Bédouins se regardent
encore comme les souverains légitimes de l’Egypte, et traitent d’usurpateurs les
Mamlouks et les Turcs; ils se sont en conséquence partagé cette contrée, et
chaque tribu lève, dans le canton qui lui est dévolu, quelques contributions en
nature. Les malheureux fellâli achètent par-là des défenseurs contre les autres
tribus qui voudroient les piller, et souvent aussi un refuge contre la tyrannie du
Gouvernement et l’avarice insatiable de leurs maîtres.
Les propriétés personnelles sont, chez les Arabes, les meubles et ustensiles,
les troupeaux, et les produits de leur industrie, qui consiste dans la fabrication de
quelques étoffes grossières, la préparation du beurre et du fromage, la vente de
leurs chevaux et de leurs chameaux, le louage de ces derniers pour les caravanes,
et, selon les localités, dans le commerce de quelques autres objets, tels que le
charbon, le séné, le sel marin, les poissons secs, le natron, la soude, l’alun, les
joncs propres à faire des nattes, &c.
Les Arabes élèvent beaucoup de chameaux, et cet animal leur est de la plus
grande utilité; sans lui, ils ne pourraient habiter le désert et seraient bientôt subjugués
: aussi a-t-on souvent dit que Dieu ou la nature l’avoit créé exprès pour
rendre le désert habitable à l’homme; pensée aussi fausse qu’orgueilleuse (i).
Lorsque, sans eau, sans grain, sans fourrage, chassé dans le désert, l’Arabe
(i) Les chameaux vivent commodément dans le désert,
parce que leur organisation ne leur donne aucun
besoin qu’ils n’y puissent satisfaire; mais dire qu’ils ont été
chraébéist aebxlper èàs lp’hooumr lme ed,é sce’erstt, eutn qeu pi epnlusés ee sdt’,u pno uorrg leu erieln edxre
trême. Cette manière de s’exprimer est cependant adoptée
par des philosophes, des naturalistes distingués, qui se
laissent entraîner par l’ascendant du sentiment sur la
froide vérité. Observent-ils dans ses détails l’admirable
conformation d’un anim al, d’une plante, ils s’écrient: La
nature bienfaisante lui a donné tel organe pour remplir
telle fonction essentielle à la vie! elle lui a donné tel
moyen de défense pour l’empêcher d’être détruit par
ses ennemis! N e seroit-il pas plus simple de dire: C ’est
pcea rcme oqyuen’i l dae cdeét foenrgsea nqeu q’iul ’pile uetx irsétes,i scte’ersat speasr ceen nqeum’ili sa;
sans cela il n’eût jamais paru sur la terre, ou en aurait
bientôt disparu. Q ue devient en effet cette prétendue
ébtiée n'efnaitsièarnecme ednet dléat runiatteusr !e envers les espèces qui ont