
’O B S E R V A T I O N S
'établissemens maritimes dans le fond du golfe, soit à Soueys même, soit à i’entrée
de la vallée de l’Égarement, sur la route de la mer Rouge à Memphis, la fontaine
de Moïse a dû être fréquentée, parce qu’elle étoit une ressource indispensable,
quand, après de longues sécheresses, les citernes remplies d’eau pluviale étoient
épuisées.
Mais l’époque à laquelle la fontaine de Moïse nous paroît avoir excité le plus
d intérêt, est celle de la guerre des Vénitiens unis aux Égyptiens contre les Portugais
, après la découverte du passage aux Indes par le cap de Bonne-Espérance.
On sait que ces républicains, pour défendre le sceptre du commerce qu’ils
avoient conservé jusqu’alors, et qui alloit leur échapper, firent construire et armer
des flottes à Soueys. II n est pas probable qü’Hs aient jamais établi des chantiers de
construction a la fontaine de Moïse, donc le local ne présente aucun avantage
pour cet objet ; mais il paroît qu ils y formèrent un grand établissement d’aiguade.
De tout ce qui existoit au-dessus du sol dans cet établissement, il ne reste absolument
rien ; tout a été dispersé ou consommé par les Arabes, et l’on ne trouve
d’autres vestiges que des fondations et quelques parties souterraines. Ces vestiges,
qui sont encore considérables, et dont, dans le peu de temps que nous avons pu
y consacrer, nous n’avons pu reconnoître qu’une partie, consistent principalement
en ruines de grands réservoirs construits avec soin, dans lesquels l’eau des sources
etoit arnenee par des canaux souterrains, et d’où elle étoit conduite par un grand
canal jusqu’au rivage de la mer. C ’est le général B o n a p a r t e qui a découvert ce
dernier canal, et qui l’a fait reconnoître dans toute son étendue, qui est de sept
à huit cents toises. Il est construit en bonne maçonnerie, et recouvert dans toute
sa longueur ; il n a d autre pente que celle de la plage dans laquelle il est enterré.
Les sables que les eaux y ont entraînés depuis qu’il a été abandonné, l’ont obstrué
dans les cinquante premières toises : tout le reste est en bon état ; en sorte qu’avec
une depense mediocre on pourra le rétablir et le rendre propre au service. Sur
le rivage, le canal se termine entre deux mamelons produits par les décombres
et qui nous ont paru être les vestiges de l’aiguade proprement dite. Cette aiguade
devoit être disposée d’une manière convenable à la forme et à la nature des vases
dans lesquels on avoit coutume d’embarquer l’eau.
A deux cents toises environ, et au nord de la dernière source, on trouve un
monticule assez considérable, et qui, comme le mont Testaccio de Rome, est
uniquement formé par des débris de jarres et d’autres vases de terre mal venus à la
cuisson ; nous y avons reconnu des restes incontestables de fourneaux : il y a donc
eu en cet endroit un grand établissement de poterie. L’objet de cet établissement
ne pouvoit pas etre de fabriquer des pots de terre qui composent les chapelets
au moyen desquels on tire 1 eau des puits, pour arroser les terres non inondées
dans toute lÉgypte. A la vérité, lorsque la fontaine de Moïse étoit habitée, toute
la plage qui s’étend depuis les sources jusqu’au rivage, étoit cultivée ; on y voit
encoie un assez grand nombre de jeunes dattiers, distribués avec un ordre qui
nest point Ieffet du hasard. Ces dattiers, qui vraisemblablement ne sont que les
rejetons d anciens arbres morts de vétusté, sont au moins un indice d’une ancienne
culture abandonnée ; mais cette culture n’exigeoit aucun puisement d’eau pour
l’irrigation, parce que l’eau des fontaines pouvoit facilement être conduite par des
canaux à ciel ouvert dans toutes les parties cultivées, et les chapelets n’étoient
pas nécessaires. Aussi, parmi le grand nombre des fragmens qui forment le monticule,
nous n’en avons pas trouvé qui aient dû appartenir à des pots de chapelets,
dont la forme n’a pas varié depuis des temps très-reculés. Tous ceux que nous
avons vus avoient fait partie de vases d’une capacité beaucoup plus grande; et nous
sommes portés à croire que l’objet de ce grand établissement de poterie étoit la
fabrique de grandes jarres propres à embarquer l’eau, dans un pays où la rareté
du bois, et peut-être même le défaut d’industrie, rendoient la confection des tonneaux
impraticable. Ainsi ceux qui venoient faire de l’eau à la fontaine de Moïse,
étoient assurés d’y trouver les jarres propres à la contenir, et vraisemblablement
aussi les autres vases de terre propres à leurs usages.
La fontaine de Moïse présente un phénomène remarquable d’hydrostatique.
Les différentes sources qui la composent, et qui sont au nombre de huit, sont
toutes placées au sommet d’autant de petits monticules coniques, terminés chacun,
dans la partie supérieure, par un cratère qui sert de bassin particulier à la source,
et d’où l’eau s’écoule sur la surface conique par des rigoles naturelles. Les hauteurs
de ces monticules sont différentes entre elles : le plus haut de tous est élevé de
quarante pieds au-dessus du sol environnant. La source de ce dernier est tarie
depuis long-temps; son cratère est rempli par le sable què le vent y a déposé; et
l’on y voit encore le tronc d’un dattier qui, après y avoir acquis une assez grande
élévation, a été abattu par les Arabes.
Il a été facile de nous rendre raison de la manière dont ont pu se former les
monticules au sommet desquels se trouvent les sources. L’humidité que l’eau d’une
source répand dans le sol environnant, entretient autour du bassin une végétation
continuelle ; les gramen qui sont le produit de cette végétation, diminuent
la vitesse du vent qui les agite, et lui font abandonner les gros grains de sable
qu’il entraîne : ce sable, abrité par les tiges au bas desquelles il est déposé, et
retenu par l’humidité qui lui fait contracter un commencement d’adhérence,
résiste à des bouffées de vent plus violentes; le carbonate ou le sulfate de chaux
que l’eau de la source tient en dissolution, et qui est mis à nu par l’évaporation,
se cristallise entre les grains de sable, et forme un gluten qui complète leur adhérence.
Par-là, les bords du bassin se trouvent un peu exhaussés, et l’eau est forcée
délever son niveau de toute la hauteur de cet accroissement, pour sortir du bassin
et se répandre au dehors. Les circonstances qui donnent lieu à cette opération
étant de nature à se reproduire souvent, ses progrès, quoique lents, sont, pour
ainsi dire , continuels ; et après un long temps, la source qui s’est toujours
exhaussée, se trouve au sommet d’un monticule conique dont la matière est un
tuf sablonneux, étincelant sous l’outil, et salé comme l’eau de la fontaine.
La source dont le cratère est le plus élevé étant tarie, il est naturel de penser que
la hauteur de quarante pieds, à laquelle elle est parvenue, est un maximum déterminé
, moins par la grandeur de la pression qu’elle éprouve aii bas du monticule,