N O T I C E
S-UR
UNE ESPÈCE DE SANGSUE
Que les Soldats avalèrent en se de'salterant dans des lacs d’eau douce.
A u retour de l’expédition de Syrie , et avant notre arrivée à Sâlehyeh, on avoit
rencontre, de distance en distance, quelques bassins d’eau douce et bourbeuse,
comme nous en avons vu depuis dans les déserts qui bordent la Libye, remplis de
petits insectes, parmi lesquels il existe une espèce de sangsue qui paroît avoir
quelque rapport avec celle qu’on trouve dans l’île de Ceylan (i). Elle a quelques
lignes de longueur. Quoiqu’elle ne soit pas naturellement plus grosse qu’un crin
de cheval, elle est susceptible d’acquérir le volume d’une sangsue ordinaire gorgée
de sang. Sa couleur est noirâtre; sa forme ne m’a rien offert de particulier.
Nos soldats, pressés par la soif, se jetoient à plat ventre sur le bord de ces
lacs, et, sans penser au nouvel ennemi qui les attendoit, buvoient avec avidité :
bientôt plusieurs d’entre eux ne tardèrent point à ressentir la piqûre des sangsues
qu’ils avoient avalées. Les premiers effets de cette'piqûre étoient un picotement
douloureux quils éprouvoient vers l’arrière-bouche, une toux fréquente, suivie
de crachats glaireux légèrement teints de sang, et d’envies de vomir. A cette
irritation, que déterminoit la sangsue dans les parties sensibles de' la gorge, suc-
cédoient bientôt l’engorgement de ces mêmes parties, et des hémorragies fréquentes.
Dès-lors, la déglutition devenoit difficile, la respiration laborieuse, et
les secousses produites par la toux sur les poumons et le diaphragme causoient
au malade des douleurs vives dans toute la poitrine. La toux augmentoit en raison
des attouchemens que faisoit la sangsue avec l’extrémité de sa queue sur l’épiglotte
ou sur les bords de la glotte. (Le sang qui se porte sur cette ouverture, peut produire
les mêmes effets.) Les sujets maigrissoient à vue d’oeil, perdoient l’appétit
et le sommeil; ils étoient inquiets, agités; et si on ne leur administrait pas à
temps les secours nécessaires, ces accidens les mettoient en danger, et pouvoient
les conduire à la m ort, comme on en a vu des exemples.
Zacutus Lusitanus (2) cite une personne qui mourut, au bout de deux jours,
de la piqûre d’une sangsue qu’on avoit laissé s’introduire, par mégarde, dans les
fosses nasales (3).
(I) Vayii les Voyages de Knorr. Elle parott avoir en- (2) De médian*prmdpüs, Iib. I, pag. 5.
core des rappons, quant à la forme, avec fhiwdo alpma (3) Il y a beaucoup d’exemples de personnes mortes
mgrtcans de M. D ana. ( Voye^ le Dictionnaire d’histoire des effets de sangsues introduites naturelle de Valm ont de Bomare. ) dans l’urètre, dans le vagin, ou dans l’intestin rectum.
Les Égyptiens savent que les chevaux en reçoiv en t par les narines, lorsqu’ils
boivent dans cès étangs particuliers; ils eh Sont avertis par les inquiétudes de
l’animal, et par les hémorragies nasales qui se déclarent dès le même jo u r , ou le
lendemain.
Lès maréchaux du pàys eh font lextrâCtion aVëc àütkht d’adreSse que de dextérité
, à l’aide de pinces fabriquées pour cet usàge ; et lorsqu’elles sont hors de la
portée de l’ihstrument, ils font des injections d’eau salée dahs les fosses nasales du
cheval ; mais on n’âvoit ehcdrè aucune connoissanee d’un pareil accident arrivé
chez l’homme. Le premier individu chez lequel il se manifesta, étoit unsoltIat.de la
69.° demi-brigade, qui, en arrivant à Sâlehyeh, au retour de la Syrie, fut atteint
de douleurs piquantes dans la gorge, de toux et de crachemens de sfthg. Là quantité
qu’il eh avoit perdue l’avôit considérablement affoibli. Je le fis entrer a 1 hôpital
de cette place; je questionnai le mâlade, et cherchai, par tous les moyens,
à conrtoître la cause de ces accidens. Eh âbâissânt la langue avec une cuiller, jé
découvris la sangsue , dont la queue se présentoir à l’isthme du gosier ; ellê étoit
de la grosseur du petit doigt. J’introduisis de suite ma pince à pansement pour
la saisir; mais, aü premier attouchement, elle Se rétracta, et remonta derrière le
voile du palais. II fidlut attendre uüe rechute pour la découvrir, ët alors, avec
une pince à polype, recourbée sur sa longueur, je l’atiachai du premier coup.
Son extraction fut suivie d’une légère hémorragie qui s âl’reta en quelques minutes ;
et, peu de jours après, ce militaire fut parfaitement rétabli.
Pendant le passage de larmée de Syrie à Belbeys, il entra à 1 hôpital de cette
place une vingtaine de soldats attaqués du même accident. Chez presque tous,
les sangsues étoient placées près des narines postérieures, derrière le voile du
palais ; chez quelques-uns, pourtant, elles pénétraient dans les fosses nasales,
où elles s’intraduisoieht dans l’oesophage, et de là dans 1 estomac ; elles y rcstoicnr
plus ou moins long-temps, et incommodoient beaucoup les soldats juSqu au moment
quelles se détachoicnt par l’effet des itlédicamens ou par 1 action dé ce
viscère.
Les gargarismes de vinaigre et d’eau salée süffisoieht p ôu r faire detâChér Celles
qui s’étoient placées dans l’arrière-bouche. Il fallut se servir tan tôt dè la pince
à p o lyp e , de fumigations de tabac et d’ognons de scilles, tantôt din jec tion s d eâu
salée : deux de Ces malades, n’étant entrés à l’hôpital que quelques jours après
avoir avalé ces sangsues, se trou voient considérablement affoiblis et en danger.
Le chef de brigade Latour-Maubourg, commandant le 22.' régiment des Chasseurs
à cheval, partit d’Alexandrie pendant le blocus de cette place, pour rejoindre
son régiment au Kaire ; il passa dans les déserts de Saint-Macaire, qui bordent la
Libye. Ses moyens de transport ne lui ayant pas permis de porter une suffisante
quantité d’eau pure, il puisa de l’eau bourbeuse qu’il trouva dans de petits lacs d eau
douce, à une journée des Pyramides. Les soldats de son escorte, ayant conserve
de l’eau fraîche dans leurs outres, ne burent point de celle de ces lacs, et évitèrent
ainsi l’accident qui survint au chef de brigade Latour. Deux sangsues qu il
avoit avalées, le tourmentèrent tout le reste de la marche, et le réduisirent au