
cicatrice d’une piaie d’amputation au bras gauche, par une croûte épaisse, jaunâtre,
sillonnée de gerçures profondes, d’où découloit une humeur ichoreuse et
fétide. La circonférence Ju moignon prit une couleur bleuâtre et devint insensible;
le reste du membre se tuméfia, se durcit, et la peau participoit de cette
teinte bleuâtre. Il se déclara ensuite des pustules lépreuses dans différentes parties
du corps, principalement aux coudes, aux jambes et au visage. Les moindres
mouvemens faisoient éprouver au malade des douleurs violentes dans les extrémités
: sa figure devint hideuse, sa peau sèche et rugueuse. Il mangeoit peu et il
avoit le goût dépravé : les forces s’affoiblirent, la maigreur parvint au dernier degré,
et il finit sa carrière, après avoir passé les derniers jours de sa vie dans un état
affreux d’inquiétude, de mal-aise, et une sorte d’anxiété difficile à décrire. Cet
officier, daprès son aveu, n’avoit jamais eu de maux vénériens, ni aucune éruption
dartreuse. Son régime avoit été assez régulier, et bien meilleur que celui du
soldat. La plaie du moignon n’avoit été dérangée par aucun incident, jusqu’au
moment où la cicatrice alloit se terminer, et où la lèpre se déclara : je suis donc
porte a croire qu elle na eu lieu que par contagion.
Linvasion subite qui s’est faite de cette maladie chez un guide à pied, Charles
Fourrât, dont je rapporterai plus bas l’observation, me paroît un exemple incontestable
des effets de cette contagion. J’ajouterai ensuite à ces faits l'assertion
de la plupart des anciens médecins Juifs ou Arabes; et celle des médecins Égyptiens
d’aujourd’hui. Je n’ai point vu la lèpre compliquée de l’éléphantiasis, que je
croîs etre, comme je l’ai déjà dit, une maladie différente. Voici ce que m’offrit
ouverture cadavérique de l’officier cité plus haut. Le foie étoit dur, plus volumineux
que dans l’état ordinaire, et d’un brun foncé. La vésicule du fiel contenoit
tres-peu d une bile épaisse et de couleur vert-bouteille foncé. La rate étoit plus
grosse que dans l’état naturel, et squirreuse. Les autres viscères du ventre étoient
décolorés et dans une laxité considérable; les glandes mésentériques, engorgées;
les intestins greles,^ parsemés de tubercules durs et plâtreux ; le tissu cellulaire étoit
presque nul, jaunâtre, et rempli de tubercules blanchâtres, durs, et en rapport
avec les ulcères ; la peau, dure comme du parchemin et sans élasticité.
^ Les maladies vénériennes dégénérées, ou les affections dartreuses, semblent
etre des causes prédisposantes de la lèpre. Quelques-uns de nos soldats, après avoir
subi plusieurs traitemens antivénériens, ayant eu pour symptômes siphilitiques,
des pustules cutanées, très-rebelles, guéries selon toutes les apparences, ont été
affectés, par la suite, d'éruptions lépreuses bien prononcées, et qui ont cédé
cependant au traitement exposé plus bas.
On peut regarder aussi comme causes secondaires de cette maladie, l’usage
des viandes salées, du poisson salé et des ognons, que le peuple mange en grande
quantité dans ce pays; celui des viandes de porc ou de sanglier même, quoique
non salees : car nous avons vu que tous les Français qui s’en sont nourris pendant
quelque temps, en ont été incommodés. Un très-grand nombre a été attaqué
d éruptions lépreuses, qui se manifestoient à la face, sur-tout au nez, dont la
forme devenoit hideuse. Il s’en déclaroit ensuite aux extrémités supérieures et inférieures/
et successivement sur toute la surface du corps. Sans doute que la chair de
ces porcs, nourris autrement que les porcs ne le sont en Europe, recèle des principes
malfaisans ; ce qui le prouve, c’est qu’exposée aux fortes chaleurs du climat
d’Égypte , elle se décompose promptement. Sans nous livrer à d’autres conjec-,
tures, il est de fait que cette viande est insalubre ; et c’est probablement d’après
l’expérience, que le législateur des Juifs et celui des Musulmans en ont proscrit
l’usage par un article de leurs lois (i). A ces causes il faut ajouter la mal-propreté
du peuple Égyptien ; l’impression, en quelque sorte vénéneuse, que la classe
la plus pauvre reçoit d’une infinité de corps étrangers, en couchant presque nue
sur la terre, pendant l’été; enfin l’intempérie.des saisons, qui agit avec plus ou
moins de force sur ces individus : voilà pourquoi les gens riches, qui se tiennent
très-propres et peuvent se mettre à l’abri de ces vicissitudes, sont exempts de la
lèpre, à moins qu’ils ne la prennent par contagion ; ce qui arrive rarement,
parce qu’ils usent des plus grandes précautions pour s’en garantir.
Je n’ai vu mourir d’autre lépreux que l’officier dont j’ai déjà parlé : mais je
pense, avec Arétée et Avicenne, que la lèpre est très-grave, si elle n’est mortelle,
lorsqu’elle est parvenue à son plus haut degré ; elle est d’ailleurs, dans tous les
cas, très-facheuse et opiniâtre; elle exige les plus grands soins et un traitement
fort long.
Le traitement de la lèpre a varié autant qu’il y a eu de médecins qui s’en sont
occupés. La pratique nous a appris que les préparations mercurielles, préconisées
par quelques-uns, ont exaspéré les accidens, même chez les malades qui avoient
eu des symptômes de siphilis, quoiqu’elle dispose quelquefois à la lèpre ; tant il
est vrai qu’une maladie dégénérée change absolument de nature, et ne se guérit
que par des remèdes très-souvent différens de ceux qui sont regardés comme
spécifiques contre la maladie première. Effectivement, nous avons guéri un grand
nombre de maladies vénériennes dégénérées, par l’usage seul des amers/du quinquina
, de l’opium, du camphre, et d’autres toniques. La lèpre, que je regarde
comme une maladie asthénique, mais d’un genre particulier, exige un traitement
analogue.
Pour bien déterminer ce traitement et l’exposer avec méthode , je considérerai
la lèpre sous quatre états différens. Dans le premier état, il y a turgescence
humorale, et l’éruption commence. Dans le second, celle-ci est complète; les
forces s’affoiblissent. Dans le troisième, les pustules se couvrent de croûtes d’un
jaune noirâtre, et les parties malades sont privées de sensibilité. Dans le quatrième,
les croûtes tombent, leur chute met à découvert des ulcères fongueux,
d’un rouge violet, accompagnés de cuissons profondes, et d’où découle une sanie
fétide et jaunâtre. Il y a prostration de forces, marasme, fièvre lente et quelquefois
colliquative.
Dans le premier état, quelques sangsues à la marge de l’anus, lorsqu’il y a
embarras dans le système veineux du bas-ventre, produisent un dégorgement
' (i) Voyez‘lu Genèse et le Qorân.
É. M. T t t ' r