C H A P I T R E II.
Arabes Guerriers et Pasteurs, ou Arabes en ans.
C e t te seconde classe comprend les Arabes qui campent dans l’intérieur du
désert ou sur le_s limites de l’Égypte, et quisont tantôt en guerre et tantôt en
paix avec le Gouvernement du pays. Elle n’a point de terres et ne paye point
de tribut. C’est la plus nombreuse et la plus forte en chevaux, en armes, ainsi
qu’en chameaux et en bestiaux ; c’est elle aussi qui fournit aux caravanes les chameaux
dont elles ont besoin pour les relations de commerce.
Le déplacement continuel de ces tribus, qui se succèdent souvent dans
un meme lieu, ne permet pas de connoître exactement leurs noms. A l’époque
où je voyageois dans la moyenne Egypte, la tribu des AoulâelA’¡y étoit la plus
forte ; son camp etoit situé à Edmoû près de Minyeh, et contenoit plus de mille
chevaux : les Faouyd étoient au nombre de mille hommes, dont trois cents cava-
• liers ; diverses tribus nouvelles étoient à Abou-el-Hedr, à el-Badramân, à D arout,
auprès de Samalout dans la province de Beny-soueyf, et dans les environs du
Fayoum.
Ces Arabes changent de canton, selon qu’il s’en présente un plus avantageux pour
faire paître les bestiaux, ou plus abondant en eau, ou enfin plus favorable à leurs
desseins et à leurs vues de rapine. En effet, qu’ils vivent en paix ou en guerre, ils
nen exercent pas moins de violences et de pillages , sauf à le faire un peu loin
de leur résidence connue et avec plus de circonspection. Ce n’est jamais près
de leur camp que les Arabes en paix commettent des vols et des assassinats, mais
à plusieurs lieues au-delà.
Plusieurs de ces tribus errantes, n’ayant point encore de liaisons dans le pays,
ne commettent pas toujours leurs voies de fait impunément, de manière qu’elles
sont forcées de se tenir assez loin dans le désert, où elles nourrissent leurs bestiaux
comme elles le peuvent; mais le plus souvent elles campent auprès de la lisière
de 1 Egypte. Là, il se trouve beaucoup de terrains anciennement cultivés (comme on
le voit par les puits qu’y pratiquent les Arabes), et que les sables gagnent chaque
jour de plus en plus. Souvent l’inondation y arrive; il y pousse alors un tout petit
trèfle à feuilles très-fines et crénelées et à fleurs jaunes, qu’ils appellent keiteh : ce fourrage
est aussi bon pour les bestiaux que le barsym, et meilleur même, suivant les
habitans du pays, que j’ai vus souvent en aller couper pour leurs chevaux ; il est peu
eleve, mais tres-touffù. Dans les grandes inondations (telles que celle de 1800),
il pousse en si grande abondance, que les Arabes y font paître largement leurs
chevaux, leurs chameaux et leurs bestiaux, et sont dispensés d’aller dévaster les
fourrages des fellah. Une pareille année est une année de bénédiction pour les
tiibus Arabes, qui viennent alors inonder de leurs tentes tous les bords du désert:
ainsi, en 1801, Ion a vu arriver de l’Afrique plusieurs tribus nouvelles, attirées
par le bruit du grand débordement du Nil. Outre ce fourrage, il pousse dans
ces mêmes endroits beaucoup de joncs, et il y fleurit une quantité de petites
plantes odoriférantes, qui font un excellent pâturage pour les moutons et les
chèvres: par suite les bestiaux engraissent ces terres, qui devroient ainsi retourner
à l’agriculture, sans la misère et la paresse des fellâh, ou plutôt l’insouciance
des propriétaires. La terre qui produit ces plantes, est, à la vérité, trop dure pour
que la charrue Egyptienne puisse y pénétrer ; mais pourquoi ne pas approprier
les charrues à cette espèce de terrain ! Il est noir comme la terre végétale, mais
plus compacte; et il me semble qu’il le doit à un limon très-fin qui s’accumule
tous les ans et s’endurcit de plus en plus, car c’est la partie la plus fine du limon
que l’inondation dépose le plus loin du Nil. Les terres de cette espèce forment
quelquefois de longues prairies qui s’étendent jusque dans la campagne et rendent
incertaines les vraies limites du teriain cultivé. Ces prés sont émaillés de fleurs
roses et violettes, dont l’aspect et l’odeur sont également agréables : aussi les
bords du désert sont-ils dans certains endroits, tels que Meyr, el-Ensâr et ailleurs,
beaucoup plus gais qu’aucune partie de l’Égypte, où l’on sait qu’il n’y a point de
gazon.
Les Arabes qu’on chasse des terres cultivées, se bornent donc à fuir sur la
limite du désert ou un peu au-delà ; on les croit souvent fort' loin , quand ils
sont tout près de l’Égypte et de ceux qui les poursuivent, cachés derrière une
colline sablonneuse : ils connoissent les puits et tous les étangs que forme l’inondation,
lorsqu’elle pénètre jusque dans les sables; et si vous suivez les ’traces de
leurs chameaux, vous serez conduit infailliblement à des endroits où il y a de l’eau
potable. Qu’on n’imagine donc pas nuire aux Arabes en leur faisant la guerre
comme on l’a faite jusqu’ici. Ils savent d’avance qu’une colonne de fantassins
marche à leur poursuite; alors ils chargent leurs grains, leurs tentes, leurs bagages,
leurs familles, sur des chameaux, et les font partir en avant; puis ils se
rassemblent tous à cheval et les suivent, et ils sont hors de votre portée avant
que vous sachiez ce qu’ils sont devenus. Si on les atteint, ils se défendent facilement
contre des gens harassés et en petit nombre ; ils font plus de mal qu’on
ne leur en fait, et ils lassent bientôt des piétons à moitié vaincus par la soif.
Enfin, si l’on est en état de les repousser, ils fuient et vont rejoindre leurs chameaux
au rendez-vous, c’est-à-dire, beaucoup trop avant dans le désert pour
pouvoir les y poursuivre. Ce n’est pas tout : quand ils ont appris que la colonne
est passée, ils reprennent leur poste avec confiance, sachant bien qu’on ne les
attaquera pas une seconde fois; si cela arrivoit, ils sont tout prêts à faire le
même manège, qui n’a rien de fatigant pour eux, et ils se dérobent à une seconde
recherche avec encore plus de facilité.
J’ai vu plusieurs tribus en agir ainsi dans la haute et dans la basse Égypte : ni
la cavalerie ni l’infanterie ne leur ont fait le moindre to rt, et l’on n’a rien pu faire
contre eux que détruire quelques huttes et brider des tas de chaume. Les Arabes
ont un avantage inappréciable, c’est d’avoir dans les villages mêmes des dépôts