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Ouafâ el-bafir ou Gabr el<-bahr jsaJ Ij*» . c’est-à-dire, rompement du
"Gf ira Jiaç >|hxadbç AijvVfr* vnJbr,
Aîvmç vtKtmç woroç vypaim yjictç.
Nili quidtm hoec suat formasis uirginilms décora flumina,
Qui pro coelesti roris gutta sohtm Ægypii
Liquéfie ta candidâ nive irrigot et agros.
Les anciens Egyptiens célébroient à la même époque
la naissance <f Apis ou la Théophanie : l’objet de cette
fête étoit le même que celui de la crue du N il, mais
présenté sous le voile de l’allégorie ; en le dépouillant de ce
qu’il avoit de m ystique, on n’y a pas moins attaché le plus*
grand respect, et il n’a pas cessé d’être célébré avec la
plus grande solennité. Voici'le détail très-circonstancié de
toutes les cérémonies qui avoient lieu à cette occasion,
il y a environ six cents ans. C ’est le cheykh Chem s ed-
dyn M ohamm ed ben Abi’l Sourour el-Akberi el-Sadiki
(lequel vivoit au commencement du x v n .c siècle ) qui
le rapporte dans son livre intitulé des Etoiles errantes : nous le citons d’après la traduction que M . Silvestre de
Sacy a insérée dans les Notices et Extraits des manuscrits
de la Bibliothèque im périale, tom. I.tr, pag. 2.72, et nous pensons que ce récit intéressera non -seulem ent
ceux qui, ayant fait partie de l’expédition d’Egypte, ont
vu célébrer cette fête, mais encore tous les lecteurs.
«■ Lorsque la crue du N il est .m ontée à.seize dhirâ, » on commence à ouvrir la digue pour faire couler l’eau
» sur les terres et dans les canaux de toute l’Egypte :
” ce jour est un jour de fête. Autrefois, avant qu’on
»> eût creusé le canal H akem i, l’ouverture se faisoit au
» canal Khalidj al-C antara; il y avoit en ce lieu une
» guérite qui donnoit sur l'em bouchure du canal, et
» dans laquelle le khalyfe, ou le prince, seplaçoit, pour
» l’ouverture du canal. C e jour étant venu, le sultan ou
« son lieutenant sortoit à cheval du château et se ren-
» doit à l’ancienne M isr, sur le bord du N il, au lieu
» nomm é Dar el-Nohas, où il descendoit de cheval. II » y trouvoit deux barques décorées l’une et l’autre du
» nom du sultan et enjolivées de divers omem ens : il
» m ontoit, avec les personnes de sa suite les plus distin-
” guées, dans la première de ces deux barques, nommée
» Harraka; l’autre, qui portoit le nom de Dhahbia, étoit
» pour le reste de son cortège. II se trouvoit aù même
» endroit un nombre infini d’autres barques de diffé-
» rentes form es, et décorées à l’envi, dans lesquelles
» m ontoient les émirs et les officiers auxquels elfes ap-
» partenoient. La barque du sultan, suivie de toutes
» les autres, se rendoit à l’île de Roudha : cette île,
» située en face de M isrel-atik (le vieux K aire), entre
» le grand bras du fleuve et celui qui passe au pied de
” cette ville, étoit remplie de maisons et de palais. Le
» sultan ayant aborde dans l’île, m ontoit à cheval et
» se rendoit au nilom ètre placé au milieu du lit du
» fleuve; il y entroit avec toute sa suite, et y jetoit du
» safran imbibé d’eau de rose; et après qu’il avoit fait
» sa prière, on lui servoit un magnifique repas. Le repas
» fini, on approchoit sa barque près des grillages du
»> nilom ètre, qui étoit couvert de ses tentures dorées; il
» y entroit, et retournoit, avec toutes les autres barques
» qui Pavoient accom pagné, au son des pétards et des
»* instrumens de musique. E tant arrivé près de M isr, il
» faisoit détourner sa barque vers l’embouchure du canal
» qui entre dans le Kaire. D ans toute sa route, tant sur
» terre que sur le fleuve, en allant et en revenant, il
» jetoit des pièces d’or et d’argent, et faisoit distribuer
» au peuple des fruits, des sucreries et autres choses
» semblables. La digue qu’il devoit faire ouvrir, étoit
» une espèce de muraille de terre élevée en face du
» pont. Le sultan , ou celui qui tenoit sa place, don*
» noit le signal avec une serviette aux gens chargés
» de l’ouvrir, et qui tenoient des pelles à la main » (aujourd’hui
ce sont les Juifs et les fossoyeurs, au Kaire, qui
sont chargés de remplir alternativem ent chaque année
cette fonction ) ; « aussitôt ils abattaient la digue, qui
» étoit renversée en un instant : le sultan rem ontoit à
» cheval et retournoit au château. D epuis que l’Egypte
» est sous la dom ination O ttom ane, c’est le bêglerbey
» qui fait cette cérém onie; il sort à cheval de la cita-
» delle le m atin, et. se rend à Boulac, où il trouve des
» barques ornées, préparées pour lui et pour les émirs
» et les sandjacs, en face de l’Arsenal. II m et à la voile,
» suivi de toutes les barques ; et pendant ce tem ps, on
» tire un grand nombre de coups de canon : le begler-
» bey rem onte le fleuve jusqu’au nilom ètre, dans l’île de
» Roudha. Cela se fait lorsqu’il s’en m anque encore
» de vingt doigts que la crue n’ait atteint seize dhirâ, » et il demeure dans le nilom ètre jusqu’à ce qu’elle soit
» parvenue à cette hauteur; si la crue se fait lentem ent,
» il y reste encore un ou deux jours après ce term e. O n
»> prépare pendant ce temps des barques ; on élève ces
» figures de terre qu’on nomme arouss (ou fiancées), et
» que l’on pare avec soin, et l’on fait toutes sortes de
» jeux et de divertissemens. Au jour où le beglerbey
» veut faire ouvrir la digue, il donne, avant le lever du
» soleil, un grand festin aux sandjacs, aux tschaouschs,
» aux mutefarrakas et aux autres troupes de la garnison :
» après le repas, il distribue des caftans au caschef et
» au scheik des Arabes de D jizé, à l’intendant des vivres,
» et à plusieurs autres officiers militaires et de police. II
» entre ensuite avec tout son cortège dans les barques,
» se ren d , au son des tam bours, à la digue, qu’il fait
» ouvrir, et passe par l’ouverture » château. » pour retourner au
v N ous avons toujours éprouvé de la répugnance à croire
que cette arous en terre dont il est parlé dans cet extrait,
soit, comme on le dit, une image de l’usage barbare qu’au-
roient établi les anciens Égyptiens, en noyant à cette
époque une jeune vierge Égyptienne : cela ne s’accorde
nullem ent avec la sagesse de leurs institutions. C e qui
nous porte à croire que nous n’avons pas to rt, c’est ce
que nous lisons dans un extrait du même auteur, égalem
ent traduit par M . Silvestre de Sacy. II s’agit, dans
ce passage, du Birket ar-Rotli, qu’on nomme aujourd’hui
Birket el-Ejbekyeh. « Le nom de ce birket vient d’un
» ouvrier qui faisoit des poids de fer [rotlj, et dont la
» dem eure étoit près de cet endroit. O n y donne des
» fêtes et des divertissemens, dans le temps qu’elle est
» remplie par les eaux du fleuve; une m ultitude de
» barques s’y prom ènent et procurent le coup-d’oeil le
» plus agréable aux maisons qui l’entourent : quand elle
Nil (1); a toutes les cérémonies appelées Mauled (2), en l’honneur des principaux
saints Musulmans ; a 1 arrivée du pacha au Kaire, lorsqu’il vient recevoir les redevances
que paye l’Egypte au grand seigneur (3); pendant les danses des foqarâ
(sortes de moines Musulmans, non cloîtrés, plus connus sous le nom de derwycli
qu’on leur donne en langue Turque) ; et ce qui est très-remarquable, c’est que la plupart
de ces sortes de danses s’exécutent sur une mesure semblable à celle qui se faisoit
chez les anciens, en tournant trois fois autour de l’autel (4). Cette mesure se
compose de deux temps inégaux, dont le premier est double du second, ainsi :
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Ce qui forme un chorée, et le mouvement va en s’accélérant par degrés.
Il y a peu de solennités publiques, religieuses ou civiles, où l’on ne fasse usage
du hâs (y); mais jamais on ne s’en sert pour accompagner les plaisirs ou divertissemens
vulgaires. C’est une distinction qu’on peut observer aussi dans l’emploi
que les Israélites, les Grecs et les Romains faisoient de cet instrument.
» est desséchée, on y sème du lin et de la luzerne. O n
» donnoit autrefois en ce lieu, le premier jour de thoth,
» une farce assez ridicule, qui représentoit le mariage
» du canal Naseri avec ce birket qui reçoit l’eau du
» N il par le canal; on en dressoit un acte devant un
» homme habillé en cadhi, en présence de deux témoins.
» Ces gens dem euroiènt en ce lieu'toute la nuit, et le
» lendemain on exposoit aux yeux du public des linges
» teints de sang, pour représenter les signes par lesquels
» le nouvel époux est assuré de la virginité de son épouse.
» Cette farce a été supprimée dans lé com m encem ent
» d u vill.e siècle de l’hégire (c’e st-à-d ire, dans le
» X iv.e siècle de l’ère chrétienne). » L’auteur assurém
ent n’auroit pas appelé cette cérémonie-là une farce
ridicule, si elle eut eu pour but de noyer une jeune
vierge dans le N il. M ais il est bien plus vraisemblable
que les anciens Egyptiens, qui transformoient en allégories
tous les faits qui tenoient à l’ordre des choses dans
la nature, et qui en faisoient des représentations qu’ils
exécutoient par leurs pantomimes religieuses, avoient
aussi imaginé cette allégorie du mariage du canal avec
le birket, et la représentoient aussi par une pantom im e,
laquelle, n’étant plus dans la suite exécutée avec le même
respect qu’y avoient sans doute attaché les anciens Egyptiens
, dégénéra en farce et fut supprimée. Cependant on
représente encore aujourd’hui cette arous par une masse
de terre qu’on élève à quelques pieds de la digue.
(1) T el est le sens que les Égyptiens attachent, dans
ce cas-ci, au mot j- o * , bien qu’opposé à l’acception
ordinaire.
(2) N ous en avons dit quelque chose dans notre M ém
oire sur l’état actuel de l’art musical en Egypte.
(3) C e pâchîi part ordinairem ent de Constantinople
après la petite fête du 30 ramadan ; il débarque à Alexandrie,
où il reste jusque vers la fin du mois de hageh :
quand il arrive au K aire, toutes les autorités civiles et
militaires vont en grande pompe au-devant de lui, accompagnées
de tous les instrumens de musique en usage dans
les solennités publiques, dont nous avons déjà fait l’énumération.
Cette cérémonie ne dure que jusqu’à midi.
(4) Cette danse, dont le rhythme présente une mesure
de trois tem ps, n’auroit-elle pas quelque analogie avec
celle des Saliens, dont il- est question dans ces vers
d’H orace î
.............. Pede candido
ht morem Salium ter quatient humuni.
Carm. lib. IV, oïl, I, v. 27. (5) N ous avons cependant remarqué une de ces fetes,
dans laquelle il nous a semblé que cet instrum ent ne se
faisoit pas entendre. Cette fête, dont nous, ignorons le
m otif et l’objet, s’appelle ^ sü l cv«c A'yd el-JVahr, c’est-
à-dire, la fête de dégorgement. Elle arrive tous les ans,
le 10 de la lune qui tombe au com m encem ent de hageh.
Elle se célèbre par des prières plus longues qu’à l’ordinaire
dans les mosquées, et par des réunions plus nombreuses
des diverses confréries de foqarâ qui viennent
prier, et exécuter leurs zekr devant les chapelles consacrées
aux cheykhs révérés comme saints par les M usulmans.
Ces confréries se réunissent encore chez les principaux
cheykhs vivans de la religion ou de la loi, y
chantent quelques chapitres du Q orân et d’autres cantiques
pieux. Les foqarâ emploient à ces sortes de chants
tout ce qu’ils ont de force et d’étendue dans la voix;
et leurs sons, ou plutôt leurs cris, sont quelquefois si
violens, qu’ils ressemblent bien plus à des forcenés qu’à
des gens pieux et pénétrés de dévotion. ’