dégradations faites par les Arabes, aux intérêts desquels le canal étoit contraire,
en les privant des bénéfices des transports, dont, au moyen de leurs chameaux
ils ont toujours été les agens exclusifs dans l’Égypte et dans la Syrie ; enfin, des
circonstances trop ordinaires de la guerre, dont l’Isthme a été long-temps le
théâtre, et notamment pendant les siècles qui ont précédé l’ère Chrétienne, sous
les Perses et sous les successeurs d’Alexandre (i).
Les khalyfes, qui, sans doute, avoient conservé le souvenir de tant d’obstacles, les
ont fait disparoître, en partie, dans le rétablissement du canal, tant en remontant
la prise d eau beaucoup au-dessus de celle qui étoit anciennement établie àBubaste,
qu en ne donnant point d’écoulement dans le golfe aux eaux du Nil ; car, quoique ces
eaux traversassent les lacs amers, il paroit, d après Strabon (2), qu elles n’étoient
pas sensiblement alterees. On voit encore à Soueys les vestiges des digues qui
arretoient leur déchargea la mer, et que les navires venoient,sans doute, accoster
pour faire aiguade dans le canal.
Mais, quelqu’avantageuses que fussent les nouvelles dispositions, il en résultoit;
quant aux digues, la nécessité de faire rompre charge aux navires. D ’ailleurs Soueys
ne pouvoit être qu’un lieu d’entrepôt, comme il le deviendrait encore, quoiqu’on
puisse avoir dans l’emploi des écluses à sas une communication plus facile;
car, si la fin de la mousson d’été [celle d’avril en octobre] est propre à porter
dans la mer des Indes, et coïncide avec la crue du Nil, seule époque favorable à
la navigation du golfe pour les bâtimens de mer, la mousson d’hiver, propre à
remonter la mer Rouge, tombe à faux, et nécessite l’entrepôt des marchandises,
ainsi que leur rechargement dans de nouveaux bâtimens : on seroit donc toujours
oblige de rompre charge a Soueys, comme à Alexandrie et à Damiette, et de n’employer
sur le Nil et sur les canaux qui en dérivent, que des bâtimens propres à
cette navigation ; mais le passage n’en seroit pas moins ouvert aux bâtimens qui
pourroient sacrifier du temps a 1 attente des vents et des circonstances favorables
pour se rendre directement de la Méditerranée dans l’Inde, et notamment pour
1 expédition des dépêches ; et l’on trouvera cet avantage essentiel dans le canal plus I
direct qui seroit ouvert du bassin des lacs à la Méditerranée, vers Tyneh.
Quoique le canal ait été navigable pendant plus d’un siècle, nous ne doutons
pas que sa navigation n’éprouvât encore bien des difficultés ; mais elles doivent
disparoître par le système des biefs et des écluses, ouvrages d’invention moderne,
et que les anciens, comme on l’a déjà dit, ne connoissoient pas. II ne paraît pas
meme quils eussent, dans leurs langues, de mots qui répondissent à celui A'écluse;
le terme euripe (3), que Strabon emploie quand il dit qu ’on bouchoit l ’euripe,
(1) C e canal devoit être en effet, pour un ennemi détruire. ( M. L e b lo n d , Mlmoire sur lis canaux i l
venant de Syrie, une barrière difficile à franchir. C ’est Vantiquité, 1 7 7 1 .)
aussi ce que semble insinuer Diodore de S ic ile , en (2) Strabon d it, en parlant de ces la c s, qu'ancien- J
1 appelant transvcrsanum mummemum : c a r , quoique nement les eaux y étoient amères, mais qu'elles avoient
la navigation cessai lors des basses eaux, ce canal de- changé de qualité par leur mélange avec celles du Nil,
yoit conserver assez d eau pour que le passage ne pût et que ces lacs abondoient en bons poissons et en oiseaux
s effectuer qu avec des bateaux ou des radeaux, dont les aquatiques qu’on n’y voyoit pas auparavant,
assai ans ne pouvoient être pourvus que très-difficile- (3) Le terme euripe [ tve/.mç], dans son acception
ment; et c eto.t un motif pour l’ennemi de chercher à le générale, et par l’application qu’on en a fa ite , semble
ferait croire qu’on avoit un moyen, soit par quelques corps ffottans, soit par
des poutrelles, de fermer ce passage pour empêcher la marée de remonter dans
le canal : cet euripe ne pouvoit pas différer beaucoup des pertuis qu’on retrouve
sur nos rivières, et qui retracent encore l’enfance de l’art.
§. VI.
Examen géologique et géographique de l ’Isthme de Soueys.
L es philosophes ont créé des systèmes pour expliquer la formation des montagnes,
des caps, des falaises, des détroits, des isthmes, des archipels, et enfin
de tout ce qui constitue la géographie physique du globe.
Quelques-uns les ont considérés comme des résultats nécessaires de principes
immuables et dq causes premières : d’autres, au contraire, en ont attribué la formation
à des causes fortuites, qui ont dû changer l’ordre primitif de la nature, et
qui peuvent se reproduire indéfiniment ; ils ont puisé ces causes dans la catastrophe
terrible d’un déluge universel ou local, et peut-être périodique dans la nature,
d’autant plus admissible, qu’il n’a rien de surnaturel, que les ravages des eaux
sont écrits en caractères ineffaçables à la surface du globe, et que les traditions en
ont conservé chez toutes les nations le triste et inquiétant souvenir.
Un de ces philosophes (i) en a suffisamment établi l’existence; il a fait un
tableau, aussi vrai qu’affligeant, des effets physiques et moraux du déluge, qui a dû
changer la face primitive du globe, et occasionner un désordre si fatal au genre
humain : non-seulement l’opinion de ce philosophe est plausible, mais elle offre
un champ très-vaste de conjectures que la saine physique peut admettre.
Il paraît constant que les eaux, par leur mouvement oscillatoire dans le bassin
des mers, par leur cours plus ou moins rapide dans le lit des torrens et des fleuves,
et enfin par leur passage successif à l’état de météores, ont été la cause organique
de I état présent du globe : elles ont, par leur tendance continuelle vers l’occident
et l’équateur, établi ces formes- constantes angulaires de toutes les grandes terres
qui constituent les .caps de la Nouvelle-Hollande, de la presqu’île de l’Inde, de
l’Afrique et de l’Amérique ; et elles ne cesseront d’opérer de nouveaux change-
mens a la surface du globe. On peut supposer qu un flux prodigieux des eaux, des
pôles vers la zone équinoxiale, et dont on ne peut raisonnablement expliquer la
cause, a, dans sa course, submergé ou détruit les continens, tant que le sol n’aura
pas offert d’élévation et de résistance suffisantes. Ces points d’arrêt, en divisant
exprimer un canal ou bras de mer étroit, dans lequel les
eaux éprouvent des courans alternatifs et des agitations
périodiques d’une nature toute particulière. L’euripe qui
longe l’île de Négrepont [ l ’ancienne E u b é e ] , présente
plus particulièrement ces effets singuliers d’un flux et
reflux qui se renouvelle six et sept fois dans le jour. Son
canal est si étroit sous la citadelle de Négrepont, que
les navires éprouvent beaucoup de peine à le franchir.
C e nom a aussi été donné à l’espace rectangulaire,
É . M .
arrondi vers les extrémités , qui environnoit l’épine des
cirques, et qui devoit toujours être rempli d’eau, par un
motif de religion.’ C ette forme étoit sans doute analogue
à celle de l’euripe dont parle Strabon, et auquel son
commentateur a donné, sans des motifs suffisans, la
figure de nos sas modernes.
(1) BouIIanger, ingénieur des ponts et chaussées, dans
l’ouvrage qui a pour titre, l ’Antiquité dévoilée par ses
usages,
M I