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les deux jours suivans à revoir encore la plage au nord du golie; et nous observâmes,
sur la croupe d’un monticule (planche n ) , des vestiges d’habitations : nous en ferons
une application raisonnée à l’ancienne Arsinoé, dans notre Essai sur la géographie
de l’Isthme. Nous fîmes un troisième voyage aux sources de Moïse, et d’autres
reconnoissances dans les environs du golfe, avec l’adjudant-général Tareyre, qui
commandoit alors à Soueys.
Nous pûmes enfin remonter au Kaire par la vallée de l’Égarement : mais nous
n’avions point de guide ; et notre confiance reposoit sur M. Devilliers, qui avoit,
en nivose an 8 [janvier 1800] (1), déjà relevé la route et les défilés de cette grande
vallée, depuis le Nil jusqu’à la mer Rouge. Le secours de notre boussole ne suffisoit
pas pour retrouver divers puits où nous devions faire de l’eau, et nous dûmes aussi
les chercher assez long-temps : cependant nous partîmes de Soueys, et nous fîmes
halte aux sources dites el-Touâreq [les routes], près desquelles nous passâmes la
nuit. Le jour nous avoit encore permis de reconnoître, au sud de ces sources,
des vestiges analogues à ceux qui constituent l’aiguade de celles de Moïse :
actuellement encombrées par les sables, ces sources ne peuvent suffire à une forte
caravane; et 1 eau, déjà saumâtre, en est encore moins potable, à cause des roseaux
et des végétaux qui s’y trouvent en décomposition. On y voit des mamelons qui
rappellent autant de sources d’où étoient dérivés de petits aqueducs en maçonnerie,
convergens sur un aqueduc principal qui aboutit à un monticule de décombres
au bord de la mer, où étoit la citerne de l’aiguade ; celle-ci devoit être d’un
accès facile pour les bâtimens, vu sa proximité du rivage, où la profondeur d’eau
est assez considérable.
La source d’el-Touâreq est à environ 50 toises du pied de la montagne escar-
pee, et a 300 toises du bord de la mer : à peu de distance, on voit un monticule
couvert de débris de poteries de terre demi-vitrifiées, et de scories qui indiquent
une fabrique de vases et de jarres à l’usage de la marine.
Le lendemain, nous entrâmes dans la vallée de l’Égarement. Connoissant l’incertitude
des géographes sur la position de Clysma, que d’Anviile place vers cette
source, nous nous portâmes au sud-ouest de la route, espérant y retrouver les
vestiges de cette ancienne ville; mais nous ne vîmes sur cette plage rien qui pût
en rappeler l’existence. Le rivage y est couvert de coquillages très-variés dans leur
espèce, leur forme, leur volume, leurs couleurs et leur éclat.
A quatre lieues du bord de la mer, nous allâmes reconnoître dans la montagne,
au sud et a 600 toises environ de la route, des fosses disposées pour recueillir
et conserver les eaux pluviales, qui doivent y être très-abondantes en hiver, à
en juger par 1 aspect riant de la verdure qu’y entretiennent les nombreux ravins
qui sortent de la montagne et se prolongent dans la plaine : ces fosses peuvent
car nous n’étions alors que trente hommes dans ces et elle occupoit cinq à six lieues d’étendue sur le côté
déserts. sud de i’Ouâdy.
L a tribu des grands Terrâbins, riche en bestiaux , ( i) M. Girard, ingénieur en chef, notre collègue, qui
possédé encore to a 12,000 chameaux : elle est forte de étoit du voyage et qui en dirigeoit- la marche, commu-
500 cavaliers et d u n plus grand nombre d’hommes montés niqua son rapport à l’Institut d’Égypte.
à dromadaire ; sa population nous a para considérable
n’étre que les sources indiquées dans les cartes sous le nom Bcydâ, dû sans doute
à la blancheur du sol recouvert de sable, et qui a fait donner à cette partie de
la vallée ceiui d’Ouâdy-Ramlyeh (i).
Nous nous arrêtâmes à l’entrée d’un défilé; où la plaine qui le précède offre
beaucoup de végétation (2). Nous entrâmes dans ce défilé; c’est un chemin bas,
de 50 à 60 pas de largeur, couvert de sable, de gravier et de végétation, dont la
pente vers la mer Rouge, sur environ 3000 toises de développement, nous a paru
être de deux à trois pouces par toise : ce chemin est encaissé d’environ 300 pieds
dans le plateau qui domine la vallée; ses deux bords ont une inclinaison de 4o à
yo degrés : des inflexions nombreuses offrent une correspondance si frappante
des rentrans aux saillans de ce défilé, qu’il semble avoir été taillé par la main des
hommes.
Après une heure de marche, nous débouchâmes dans la plaine supérieure, qui
présente un désordre imposant d’escarpemens, de ravins et d’affàissemens : la formation
de ce défilé nous paroît devoir être résultée d’un déchirement du plateau
par un affaissement, tel qu’en produisent communément les tremblemens de terre;
car on ne peut pas attribuer au ravinage des eaux pluviales et torrentielles l’ouverture
de ce défilé. Nous remarquâmes des masses considérables , calcaires,
entièrement composées de coquillages et de pétrifications marines mêlées de gypse
très-pur; et nous ne concevons un amas semblable de coquillages, qu’en supposant
qu’ils auront été successivement accumulés dans le fond d’un lac ou du lit d’un
bras de mer, dont l’étendue se sera toujours réduite et concentrée jusqu’à leur
entier dessèchement. Nous marchâmes fort tard ; et-, comme nous avions perdu les
sentiers battus, nous n’eûmes long-temps d’autre guide que les étoiles, dans cette
vallée de trois à quatre lieues de largeur sur trente de longueur, du Nil à la mer
Rouge : cette vallée a donné lieu à des observations géologiques, dont les naturalistes
qui l’ont visitée exposeront l’intérêt. Nous nous sommes dirigés sur le Gray-
bown, pic dont la forme conique et saillante est très-remarquable, et dont le grès
rouge qui le compose reçoit de la lumière un grand éclat : c’est vers cet endroit
que se trouvent le point culminant de la vallée et un vaste plateau où les eaux de
pluie semblent se partager pour couler par les ravins, en sens contraire, vers la
mer Rouge et le bassin du Nil.
Le lendemain, nous cherchâmes long-temps les puits des Gandely : nous les
trouvâmes enfin ; mais ils étoient à sec. Ces puits consistent dans des fosses de
huit à dix pieds de profondeur; ils se trouvent dans un petit vallon très-boisé, et
dont la végétation, par sa vigueur, atteste que les eaux pluviales y séjournent
pendant une grande partie de l’année. On pense que ces puits ne tariroient pas,
s ils etoient plus profonds, moins exposés à l’ardeur du soleil, et si l’eau en étoit
retenue par des parois en maçonnerie: ils ne deviennent, au reste, nécessaires aux
(1) E l Ouady Ramlyeh, la vallee sablonneuse. essais de charbon propre à la fabrication de la poudre;
(2) Nous trouvâmes une espèce de bois dont le direc- nous coupâmes dix à douze quintaux de ce bois, que
te^,r es pottôres et salpêtres, M. Chantpy, nous avoit nous transportâmes au Kaire, et dont on se servit avec
prie de lui rapporter quelques charges pour faire des succès.
Ê . M . I s