l’autre langue, ce mot a la même acception ; il signifie, en général, type, modèle,
règle, mesure : quelquefois aussi il se prend dans le sens de loi, de tarif, dz prix fixe et
déterminé, de taux des diverses marchandises qui se vendent au marché ; mais on ne
peut supposer qu’il ait pu être employé dans ce dernier sens pour désigner un
instrument de musique. La forme trapézoïde duqânon Egyptien, le nombre infini
de lignes proportionnelles dont se compose sa surface comprise entre les deux
côtés parallèles et sur laquelle sont tendues les cordes, semblent, au contraire,
indiquer que cet instrument fut originairement destiné à servir de règle ou plutôt
d’échelle proportionnelle, pour comparer entre elles les différentes longueurs des
cordes, pour établir et déterminer les divers rapports des sons, et enfin pour
servir de tyve et de modèle à tous les instrumens à cordes. En effet, il fut jadis
employé à cet usage en Egypte et par les Égyptiens.
Ptolémée, mathématicien et musicien, natif de Naucratis dans le Delta, et
qui fîorissoit à Péluse dans le second siècle de l’ère Chrétienne, s’est servi d’un
instrument de ce genre pour démontrer les rapports harmoniques des sons par
la longueur des cordes. On en voit un dessin dans son Traité des Harmoniques,
page 523 du manuscrit Grec de la Bibliothèque impériale , coté n.° 24/ 7 ; et
sur le côté de ce dessin où les cordes sont censées devoir être attachées, on lit
ces mots, fiieis >¿»0*0«, basis lanonos , base du canon. Ce qui prouve évidemment
que le nom de ¿yÿlï qânon, en arabe, ainsi que celui de yssàri, kanon, en grec,
dont 1 acception est la même, n’ont été originairement appliqués à l’instrument
dont il s agit que dans le sens de règle, de mesure, de type, de modèle, et que
le premier usage de cet instrument a été de comparer entre elles les longueurs et
les proportions des cordes, ainsi que de déterminer les divers rapports des sons,
c’est que les Arabes le regardent encore comme Je type de leur système musical ;
et 1 on doit se rappeler que, d’après l’aveu de leurs auteurs, que nous avons cités
dans notre Mémoire sur l’état actuel de l’art musical en Egypte, le système de la
musique Arabe a été composé à l’imitation du système musical des Grecs.
A r t i c l e II.
Quel fu t le principal Qânon, ou le Qânon prototype des autres. Ressemblance
qu’il y a entre la forme d’un instrument sculpté sur les antiques monumens
de l ’Egypte et le Canon monochorde de Ptolémée. Nouvelle Opinion sur
l ’origine du monochorde.
O u t r e le qânon dont il s’agit, il étoit cependant nécessaire qu’il y eût encore
une autre mesure qui tînt lieu en quelque sorte d’étalon, ou, pour parler musicalement,
qui servît de canon primitif; et en effet il y avoit le monochorde, instrument
canon aussi, qui étoit spécialement destiné à diviser et à'mesurer la corde
en chacune de ses parties résonnantes, autant que le son pouvoit en ctre apprécié
et distingué de celui des autres parties, et à exprimer par la longueur de la partie
résonnante le rapport du son qu’elle rendoit, à celui de la corde entière.
Aussi le monochorde qui fut connu dès la plus haute antiquité comme le
prototype du système musical, a toujours été employé pour démontrer la division
harmonique de la corde ; et c’est pourquoi Ptolémée l’appelle psvoyopbç usevm,
monochordos kanon, canon monochorde. On trouve le dessin de cet instrument
près de celui du canon précédent qui a la forme d’un trapèze, dans le même manuscrit
Grec Au Traité des Harmoniques, que nous avons cité dans l’article I."
Une remarque fort curieuse et qu’il est intéressant de faire ici, c’est que le canon
monochorde de Ptolémée ressemble parfaitement à une figure que l’on voit
sculptée parmi les emblèmes et les caractères allégoriques qui décorent les monumens
antiques de l’Egypte, laquelle paroît avoir tantôt une, tantôt deux chevilles.
Laborde, dans son Essai sur la musique, tom. /.", p. 2pi et 2j>2, parle cl un instrument
semblable qui a été observé parmi les hiéroglyphes dont est chargé un
des obélisques qui, sous lë règne d’Auguste, furent apportés d’Héliopolis en Egypte
à Rome, et que l’on croit avoir été érigés primitivement par Sésostris, environ
quatre cents ans avant la guerre de Troie. Cet instrument, tel qu’il est gravé
dans l'Essai sur la musique déjà cité, a deux cordes : mais parmi ceux que nous
avons attentivement examinés, soit dans les sculptures des obélisques de Louqsor,
de Karnak. et d’Héliopolis même, soit dans les sculptures de plusieurs autres espèces
de monumens, tels que temples, tombeaux, sarcophages, &c. nous n’en avons pas
rencontré un seul où l’on aperçût des traces bien sensibles des cordes dont ils
devoient être montés; la fidélité que nous nous sommes fait un devoir d’observer
dans tout ce que nous rapportons, nous oblige de faire cet aveu.
Toutefois, si, ce qui est très-probable, cette figure est celle d’un instrument de
musique qui fut en usage dans l’antique Egypte ; si ce que nous avons cru être des
chevilles en étoient réellement ; si, par conséquent, il y avoit de ces sortes d instrumens
monochordes, c’est-à-dire, à une seule corde, et des instrumens dichordes, c’est-
à-dire, à deux cordes, il est tout naturel de penser que, dans un pays où les moeurs
et les usages n’éprouvent d’altération que très-rarement et très-difficilement, on a
pu conserver au monochorde, jusqu’au temps de Ptolémée, la même forme qu on
lui avoit donnée dans les siècles les plus reculés, sur-tout si, comme tout semble
l’annoncer, les instrument canons furent consacrés par les Égyptiens dune maniéré
religieuse, et placés au nombre des symboles, des emblèmes sacrés, dont se composent
en grande partie leurs hiéroglyphes : or il est difficile de ne pas en être
persuadé, en considérant ces sortes d’instrumens sculptés comme ils le sont sur les
temples et sur tous les monumens religieux des anciens Égyptiens, où souvent on
les voit accompagner des scènes qui représentent des mystères de la religion de
ces peuples. D’ailleurs, suivant le rapport du prêtre Égyptien dont Platon, dans
son Timée, nous a transmis l’entretien avec Solon, et suivant ce que nous avons
nous-mêmes remarqué, on ne négligeoit point en Egypte de graver sur les monumens
tout ce qui avoit une utilité réelle quelconque, et méritoit par conséquent
qu’on en perpétuât le souvenir ; nous y avons vu sculptés les diverses cérémonies
du culte religieux, les allégories sacrées, les travaux de l’agriculture, les exercices de
plusieurs arts, des traits d’histoire, des combats, des jeux, &c.