
Cependant, si i on considère la nature de ces instrumens, ni les uns ni les autres
n’ont dû être destinés primitivement à l’accompagnement du chant en particulier et
de la mélodie en général. L e chant et la mélodie ne peuvent admettre que des sons
simples et expressifs; leur objet est d’imiter l’expression des sentimens que nous
manifestons par la voix, de faire naître en nous ces sentimens, ou au moins de les
rappeler a notre souvenir. A u contraire, le bruit qui, comme nous l’avons fait observer,
réunit, confond et absorbe les sons simples et expressifs, tend nécessairement
à détruire l’effet du chant en particulier, et en général celui de la mélodie; il ne
peut pas davantage produire en nous une suite d'impressions distinctes, analogues
à celles des sentimens ou des passions que le chant et la mélodie inspirent ou font
naître : il ne peut peindre tout au plus que le trouble ou l’émotion de nos sens
dans les diverses affections qui agitent agréablement ou désagréablement notre ame.
En effet, le bruit, en faisant vibrer presque également toutes nos fibres, non-seulement
les nerveuses, mais quelquefois même les musculaires, nous cause une agitation
vague et générale, qui paroîtplus propre à exciter en nous des mouvemens
automatiques qu'à nous inspirer des affections morales, comme le fait la mélodie.
Sans vouloir examiner si cette propriété des instrumens bruyans a été seulement
sentie, ou si elle a été réfléchie, il nous suffit de dire en ce moment qu’il est de
fait que ce genre d’instrumens a été choisi universellement chez tous les peuples
connus, pour régler, par un bruit répété à des intervalles réguliers et mesurés,
les mouvemens de la danse, de la pantomime, en un mot, de la plupart des
exercices du corps, qui ne peuvent se faire en commun qu’avec précision et en
cadence. Cé toit ainsi qu’étoient réglées, chez les anciens, les cérémonies du
culte, les pantomimes, les danses et les processions religieuses ; c’est encore de
même que se règlent, parmi nous, les marches et les évolutions militaires. Dans
tous les temps et chez tous les peuples, l’effet de ces instrumens a fait sentir que
le meilleur emploi auquel on pouvoit les faire servir, étoit celui de marquer Je
rhythme et la cadence des mouvemens.
A r t i c l e I I I .
D e ce qui distingue les Instrumens bruyans des modernes d’avec ceux des
anciens.
L es instrumens bruyans de percussion de la haute antiquité étoient différens de
ceux de nos jours, sous plusieurs rapports, qu’il est bon de connoître pour ne pas
se méprendre sur les uns et sur les autres, et pour mieux les distinguer parmi ceux
qui nous restent maintenant et qui sont en usage, soit chez nous, soit chez les
autres peuples.
Chez les anciens, ces instrumens étant uniquement destinés à marquer la
mesure et la cadence des mouvemens dans certains exercices, et sur-tout dans
les danses, dans les pantomimes religieuses et dans quelques autres exercices du
corps, c’étoit presque toujours aux chefs de ces exercices, à ceux qui en dirigeoient
l’exécution, et qui étoient même les premiers à la tête de ceux qui les exécutoient,
qu’étoit réservé l’usage de ces instrumens. Souvent aussi, chacun de ceux qui
formoient ces danses et ces pantomimes, tenoit en main et faisoit retentir un
instrument semblable. Il falloit, par conséquent, que ces instrumens fussent d’une
médiocre grandeur, légers et faciles à porter d’une main et àfi-apper de l’autre:
aussi ne voit-on, sur aucun des monumens de la haute antiquité, de ces sortes
d’instrumens d’une très-grande dimension, et il n’en est fait mention non plus par
aucun des auteurs anciens. Tous les instrumens bruyans de percussion, chez les
anciens, étoient du genre de ceux dont nous avons fait une classe à part sous le
nom de crotales ; et par ce nom, qui signifie à peu près la même chose instrumens
bruyans, on se rappelle sans doute que nous avons désigné les instrumens
faciles à manier, et dont Ta résonnance a quelque chose de mélodieux, pour les
distinguer de ceux qui ne produisent que du bruit.
Parmi les modernes, au contraire, ceux qui sont chargés de faire résonner les
instrumens destinés à marquer la mesure et la cadence des mouvemens, dans les
exercices qui sont exécutés par un certain nombre de personnes à-la-fois et qui
ont besoin d’être réglés avec la plus exacte précision, ceux-là ne prennent point
part ordinairement à ces mêmes mouvemens, ou n’y participent que très-peu : leur
principale et souvent leur seule occupation est de battre leurs insrrumens en
mesure, suivant le signal qui leur est donné par leur chef, lequel chef est lui-
même soumis aux ordres de celui qui commande ou qui dirige ces sortes d’exercices,
soit à la guerre, soit dans nos cérémonies publiques, soit sur nos théâtres.
Ainsi, les raisons qui exigeoient chez les anciens que les instrumens bruyans de
percussion fussent légers et d’un volume facile à manier, n’existant plus chez les
modernes, rien n’a paru s’opposer à ce qu’on en augmentât le poids et les dimensions,
pour accroître' la force et le volume de leur son ; et c’est-là ce qui a fait
imaginer les grosses timbales, la caisse et le gros tambour, dont la forme et l’usage
n’étoient point connus dans la haute antiquité.
CHAPITRE II.
Des Crotales en général.
A r t i c l e I."
Des Noms génériques de la plupart des Crotales.
Les instrumens que nous désignons sous le nom de crotales nous ayant paru avoir
été connus antérieurement à ceux que nous nommons instrumens bruyans, il doit
paroître tout naturel que nous en parlions avant de faire mention de ces derniers.
Chez les Orientaux modernes, les crotales sont connus sous tant de noms
divers, qu’on pourroit croire qu’il y a un très-grand nombre d’espèces différentes
de ce genre d’instrumens : cependant rien n’est plus éloigné de la réalité. A peine
Ê . m . H *