
trop tardives du Nil, qui, comme on l’a déjà dit, ne coïncident pas assez avec
le temps moyen des moussons : il seroit enfin très-utile pour l’expédition des
ordres et des dépêches qui exigent le plus de célérité. J’ajouterai que, si je ne
voyois quelques difficultés à recreuser et à entretenir à la profondeur convenable
le chenal entre Soueys et sa rade, je proposerais d’établir, à l’usage des corvettes
et même des frégates, la communication directe des deux mers par l’Isthme; ce
qui deviendrait le complément de cette grande et importante opération.
§• v.
Canal du Kaire, ou du Prince des Fidèles.
N ous fournissons, dans l’Appendice dé ce Mémoire, des témoignages historiques
qui constatent que le canal du Kaire fut ouvert par un ancien roi d’Égypte,
qu’il fut recreusé par un des Ptolémées, et par Trajan ou par Adrien; mais, sous
ce dernier prince, le canal paraît n’avoir eu d’autre objet que l’irrigation des campagnes,
quoique cette opinion semble contredite par leMaqryzy, qui dit: «Adrien
» ayant fait recreuser le canal qui alloit à la mer de Qolzoum, les vaisseaux y pas-
» soient encore dans les premiers temps de l’Islamisme. »
Dans un autre passage qui confirme cette assertion, cet historien fait dire à
Amrou, qui écrivoit à O’mar : « Que veux-tu, prince des fidèles! Je sais qu’avant
» l’Islamisme les vaisseaux amenoient chez nous des marchandises de l’Égypte :
» depuis que nous avons fait la conquête de ce pays, cette communication
» est interrompue, le canal est encombré,et les marchandises en ont abandonné
5* la navigation. Veux-tu que j’ordonne de le creuser, afin d’y faire passer des
» vaisseaux chargés de provisions pour le Hegâz! je vais m’en occuper. Eh bien,
» lui répondit O’mar, fais ce que tu dis. »
Il paraîtrait donc que A ’mrou fit rouvrir ce canal, et le fit déboucher dans 1 ancien canal des Rois, à l’entrée de l’Ouâdy ; qu’il fit aussi recreuser ce dernier
jusquà la mer de Qolzoum, d’où les vaisseaux purent se rendre dans le Hegâz,
le Yemen et 1 Inde. II resta navigable, suivant le Maqryzy, jusqu’à la mort de O’mar
ben-Abd-el-Azyz. Les gouverneurs de l’Égypte le desséchèrent, on cessa de s’en
servir, les sables 1 encombrèrent; et la communication fut tellement coupée, qu’il
finissoit à la Queue du Crocodile, dans le canton du château de Qolzoum.
Suivant Ebn-el-Toueyr, il fàlloit cinq journées aux bateaux du Nil pour arriver
à Soueys, où ils prenoient en échange des marchandises d’Arabie.
Ce canal fut nommé d’abord Klmlyg-d-Masr [canal d’Égypte, ou de Fostât],
puis Khalyg-el-Qâhirah [canal du Kaire], puis Khalyg-Emyr-el-Moumenyn [canal du
Prince des Fidèles], nom de O’mar ben-el-Khettâb, qui le fit rétablir (i).
Le canal du Kaire a sa prise d’eau dans le bras oriental du Nil, vis-à-vis de
( i) Nous renvoyons à l'histoire romanesque et dé- et politique de l’Égypte. Voir la traduction de cet auteur,
ta.llee de ce can a l, par le Maqryzy, historien estimé par M. Langlès, dans l'Appendice, /. I V , n.‘ IX.
parmi les écrivains Arabes pour sa Description physique
l’île
l’île de Roudah, entre le vieux et le nouveau Kaire, et sous l’aqueduc ou migry
qui porte des eaux à la citadelle; il traverse, avant d’entrer dans la ville, près
de Setti-zenab, un espace de 1800 mètres, et coule entre des monticules de
décombrés (i). Le lit du canal, qui, à sa prise d’eau, reçoit io à 12 pieds d’eau
dans les crues, répond à la dixième coudée du Meqyâs, terme moyen entre les
plus basses et les plus hautes eaux du fleuve : à partir du pont Setti-zenab, il
traverse la ville, du midi au nord, sur un développement de 3500 mètres, en
sort près de la porte dite Bât-el-Dars, coule entre des jardins et des décombres,
et se jette dans la plaine, à peu de distance du désert.
Une dérivation de ce canal près de la magnifique mosquée de Dâher-el-Beyberes
dont les Français ont fait un poste retranché, sous le nom de fort Sulkously,
court à l’ouest, jusqu’à la montagne sur laquelle a été construit et fortifié un
moulin, sous le nom àefort Camin; le canal fait une inflexion au sud, et remonte
dans la plaine, entre le Kaire et le Nil, jusqu’au Birket-el-Hassaryn, le dernier
des étangs auxquels cette dérivation fournit des eaux pendant la crue.
Ce canal offre beaucoup de sinuosités; dans l’intérieur de la ville, il est privé
de quais ,-et bordé de maisons peu solides, dont quelques-unes y occasionnent par
leur chute des encombremens ; il coule entre les murs de fondation de ces
maisons, dont la distance, d’un bord à l’autre, n’est communément que de 20 à
30 pieds; divers escaliers, des contre-forts et des encorbellemens y forment des
saillies qui en tourmentent extrêmement le cours ; vingt ponts étroits, bas, et
chargés de maisons, sont autant d’obstacles pour la navigation; des égouts qui y
débouchent, en forment un cloaque pendant huit mois de l’année; des parties
basses et des contre-pentes y tiennent stagnantes des eaux que l’on est obligé de
faire écouler, afin de prévenir l’effet des évaporations, extrêmement nuisibles pour
ceux qui en habitent les bords. Quand ce canal est à sec, on peut traverser la
ville en le parcourant ; c’est comme une rue basse qui la partage presque en deux
parties égales sur toute sa longueur.
Dans cet état de choses, on peut croire que ce canal n’a été navigable sous
les khalyfes, qui l’ont prolongé jusqu’à Soueys, que pour les bateaux du Nil, et
jamais pour des bâtimens à grande mâture propres à la mer.
Dès le mois de vendémiaire an 7 [octobre 1 7 9 8 ] , le général B o n a p a r t e , voulant
rendre ce canal alimentaire et navigable pour la villè du Kaire pendant toute
l’année, nous chargea de lui en présenter les moyens : il desiroit qu’on pût faire
circuler des eaux autour de la ville, afin d’en vivifier les dehors, actuellement
déserts sur la moitié de son enceinte, et de les mettre à l’abri des Arabes, dont
les attaques fréquentes et imprévues ne comportent pas d’état de paix et de
sécurité.
Lingénieur Duval, qui s’occupoit de ce travail, ayant péri, ainsi que l’ingénieur
Thévenot et l’adjoint Duperré, dans la révolte du Kaire, le 30 vendémiaire
[21 octobre 1798], nous chargeâmes M. Févre de reprendre et terminer les
(1) C est à la prise d’eau de ce canal que se trouvoit le kiosk ou belvédère destiné à la coupure de la digue, dans
la fete annuelle du Nil.
É. M. 0