CHA P I TRE V.
De la Mer Ro'uge.— Description des Ports, Rades et Stations de cette mer.
— De sa Navigation.— De son Commerce. — Parallèle de la Navivadon
de France dans les Indes par le grand Océan, avec celle qui se
fa isa it par l ’Egypte .et la Mer Rouge.
§. . 1 "
D e la Mer Rouge.
L a navigation de la mer Rouge doit avoir puissamment influé sur l’utilité,
plus ou moins grande, que.les anciens ont pu retirer du canal de communication
de cette mer au Nil et à la Méditerranée, par l’Isthme de Soueys : nous
avons renvoyé à un examen particulier cette question, essentiellement liée aux
causes de l’abandon et de la destruction de cet ancien canal ; nous allons
donc rechercher jusqu’à quel point la navigation de ce bras de mer a dû y
concourir.
Strabon, en parlant de la résolution que prit Ptolémée-Philadelphe, de transférer
à Bérénice le port où devoient aborder les bâtimens qui venoient des mers
des Indes en Egypte, l’attribue à la difficulté de la navigation de la mer Rouge,
principalement vers l’extrémité du golfe ; idque effecisse, quoniam Rubrum mare diffi-
culter navigaretur, proesertim ex intimo recessu (dit son traducteur).
Arrien, qui a donné, dans son Périple de la mer Erythrée (i), la description
de tous les ports, des rades, îles et stations de cette mer, ne parle pas des vents
et des courans qu’on y trouve; on n’y lit que ces passages sur la navigation:
« La plupart des marchandises sont transportées d’Egypte à Coloé (2), depuis le
» mois de janvier jusqu’au mois de septembre, c’est-à-dire, de Thybi jusqu’en
» Thoth (des mois Égyptiens) ; mais le temps le plus convenable et le plus favo-
» rable au transport des marchandises d’Egypte, est vers le mois de septembre. »
Et dans un autre endroit : « Le temps favorable et le plus court pour la
» navigation de cette mer, est au mois de septembre, que les Égyptiens appellent
y> Thoth (3). »
Pline dit, en parlant du retour des bâtimens des Indes en Egypte: «Les vais-
» seaux repartent des Indes durant le mois Égyptien Thybi, qui commence dans
(1) Le Périple de la mer Erythrée, écrit en grec par (3) PleraqueautemexÆgypto in emporium illud(Coloë)
Arrien, vers la fin du premier siècle de l’ère vulgaire, a été deferuntur à januario ad septembrem vsque , hoc est, à
traduit en latin, en 1683, par N. Blancard, et imprimé à Thybi vsque ad Thoth. Verîtm tempus maxime oppor-
Amsterdam. M. Gossellin dit (dans ses Recherches, t. I I , tunum et idoneum hujusmodi ex Ægypto deferendi est circa
p. 176) que ce périple est faussement attribué à Arrien. mensem septembrem................................................................. * •
(2) C o lo é , lieu d’entrepôt de la mer Rouge au Nil. Tempus opportunum navigandiestmenseseptembri,quem
Voye^ plus bas, page îoy, l’article Dahalaq-el-Kebyr. Thoth appellant, atque etiam citiùs.
y> notre
» notre mois de décembre; ou du moins ils font voile avant le sixième jour du
» mois Égyptien Mechyr, c’est-à-dire, avant nos ides de janvier (i). »
M. Ameilhon, dans l'ouvrage qu’il a publié sur le commerce des Égyptiens (2),
cite l’observation de S. Jérôme, qui dit que, de son temps, cette mer étoit semée
de tant d’écueils et si remplie de difficultés de toute espèce, qu’on s’estimoit alors
très-heureux quand, après six mois de navigation, du débouché de l’océan Indien
on pouvoit enfin relâcher à Aylat (port au fond du bras oriental).
M. Niebuhr dit que les moussons diamétralement opposées, et qui soufflent
constamment de six mois en six mois sur cette mer, devoient s’opposer à plus
d’un voyage par an , et cite, à l’appui de cette assertion, le passage de S. Jérôme
rapporté par M. Ameilhon (3).
M. Bruce, qui naviguoit dans cette mer en 1769, fait assez connoître par ses
relations, que, soumise à des moussons et à des courans, elle est remplie d’écueils,
et que la navigation en est lente et difficile.
Voyons jusqu’à quel point s’étendent ces difficultés, par l’exàmen de la nature
des ports et du régime de cette mer (4).
Le golfe Arabique, sinus Arabicas, que les Européens appellent communément
mer Rouge, tire son nom, selon d’Anville et Niebuhr, de celui du royaume
d’Ëdoum, qui a existé vers la partie septentrionale de ce golfe; le mot hébreu □ n t i
[ adoum ou edoum] signifie rouge, rubis, terre ou pierre rouge, d’où le nom de mare
Idumteum: cette étymologie paroît la plus vraisemblable de toutes celles que l’on
en a données. Cette mer est désignée dans l’Écriture sous le nom de Jam-Suph, ou
mer des Joncs (j). Les Grecs la nommoient golfe d'Heroopolis, du nom de la ville
située au fond du golfe, et mer Erythrée ou mer Rouge. Cette dernière dénomination,
qui lui étoit commune avec le golfe Persique et la mer des Indes, lui a sans doute
été donnée parce que le golfe Arabique ouvroit la route de l’océan Indien.
Les Arabes lui donnent aujourd’hui les noms de Bahar-el- Qolçpum , Bahar-
(1) E x India renavigant mense. Ægyptio Thybi inci-
piente, nostro decembri, aut utique Alechiris Ægyptii intra
dieni sextum, quod fit intra ¡dus januarias nostras. Plin.
Hist. nat. lib. v i , cap. 26.
(2) Traité du commerce des Egyptiens, par M. Ameilhon
, 1766, in-8.°, page y 8.
Félix cursus est s i, post sex menses, supradictoe urbis
Ailath portum teneant, à quo se incipit aperire Oceanus.
(3) Moussons. C e terme désigne, en général, les vents
étésiens,qui, dans les mers des Indes orientales, soufflent
régulièrement du nord-est pendant les six mois d’hiver, et
du sud-ouest durant les six mois d’été. — Les vents été-
siens, en Egypte, sont ceux qui, pendant l’été, soufflent
du nord dans la mer Noire, dans l’Archipel, la Méditerranée,
la Mer Rouge, et dans toute l’Egypte jusqu’en
Abyssinie, quand, dans l’océan Indien, ils soufflent, au
contraire, du sud, pendant ce temps.
Voyelle Voyage de Néarque, par M. William Vincent,
traduit de I’Anglois par M. Bilîecocq. Paris, an V I I I
[1800].
É. M.
(4) Nous regrettons de ne pouvoir donner tous les
autres développemens importans qu’on peut puiser dans
les ouvrages modernes de D o dw e ll, Hüdson, Huet,
et de MM. Robertson, William Vincent, et le major
Rennell, qui ont encore écrit sur ce sujet.
(5) Suph, ou Sufo, est le nom d’une herbe qui croît
abondamment dans les Indes, dans plusieurs lieux de
l’Asie, et dans le fond de la mer Rouge : de la fleur de
cette herbe on fait une couleur rouge, dont on se sert
pour teindre les draps en Ethiopie et dans les Indes ;
cette fleur, qui ressemble à celle du safran, bouillie avec
du jus de limon, donne un beau rouge. On peut donc
penser que cette herbe a pu donner à la mer Rouge cette
qualification qui a été le sujet de fréquentes discussions.
Vo yez le Recueil des voyages, imprimé à Paris, en iy6/f..
Le nom de mer Rouge peut venir encore de la nature
des montagnes qui bordent les parties septentrionales du
golfe, et dont la rougeur, due au porphyre et au granit
dont elles sont composées, reflète, sur la mer qu’elles
dominent, leur couleur rembrunie; ces montagnes offrent
l’aspect de volcans éteints. Vqye^ M. Gossellin, tom e II,
p. 7S-84.
Q