par suite sans doute de cette excessive sobriété que leurs sécrétions en tout
genre sont si foibles ( i ).
Voici ce qu’ils mangent ordinairement : de petites galettes de dourah [ holcus
Lin.] ou de blé, à peine cuites; du riz, des dattes, des lentilles, des fèves, rarement
de la viande, du lait frais ou caillé, du beurre ; du fromage extrêmement
dur, aigre et salé , qu’ils font indifféremment avec le lait de leurs jumens,
vaches, buffles, chameaux, ânesses, chèvres ou brebis. Ils ne boivent que de l’eau
et du café sans sucre. Ils réduisent le blé en farine au moyen de moulins à bras
garnis de petites meules de pierre, ou bien le broient tout simplement sur une
pierre concave, avec une autre en forme de molette, comme font les peintres
pour, leurs couleurs.
La farine pétrie et mise en pâte, est étendue sur une plaque de fer chauffée
d’avance et placée sur du feu, au fond d’un trou creusé dans le sable. Le tout
est recouvert de cendres chaudes, et le pain est retiré de là bien avant d’y avoir
acquis le degré de cuisson que nous lui donnons en France. Cet usage se conserve
dans le désert depuis un temps immémorial. « Faites cuire du pain sous la
» cendre » , disoit Abraham à Sara (2).
La même plaque de fer sur laquelle on cuit le pain, sert aussi à faire griller
des grains de blé ou d’orge, que les Arabes mangent souvent ainsi en guise de
pain.
La fiente des bestiaux, sëchée au soleil, est presque le seul combustible qu’ils
emploient, et il est difficile dans le désert de s’en procurer d’autres.
Dans les repas de cérémonie, on sert ordinairement un mouton entier.
J’ai dîné un jour avec des Bédouins, et ils employèrent, pour m’y engager,
des manières que n’auroient pas désavouées les plus polis de nos Européens. Je
vais reprendre cette anecdote d’un peu plus loin ; elle servira à foire connoître
mes hôtes sous plus d’un rapport.
Chargé, durant l’hiver de l’an 7, de parcourir la vallée de l'Égarement, où
personne de notre armée n’avoit encore pénétré, je partis du Kaire avec un
détachement de vingt-cinq hommes d’infanterie; chaque soldat avoit du biscuit pour
quatre jours; deux chameaux portoient l’eau dont nous présumions avoir besoin.
Parvenu, au coucher du soleil, vis-à-vis l’entrée de la vallée, sur la lisière du terrain
cultivé, je me décidai à passer la nuit en cet endroit : les soldats s’étendirent
sur le sable ; et pendant qu’ils mangeoient leur biscuit trempé dans un peu d’eau, et
que leur imagination, frappée du nom de la vallée, les feisoit s’entretenir de mille
dangers chimériques, je voulus essayer si, en me rendant dans un village dont
nous étions peu éloignés, je ne pourrpis pas m’y procurer un guide : je pris mon
fusil et partis seul. Mais bi.entôt le désir de reconnoître en même temps l’entrée de
(1) Leur manque presque absolu de transpiration sèche, se durcit; les pores se resserrent et se ferment
pourroit cependant, je crois, être aussi-bien une des presque tout-à-iait: perdant dès-lors fort peu par les
causes qu’un des résultats de leur sobriété: car, s'ils ne sueurs, iis ont moins besoin de nourriture pour réparer
transpirent point, ce n’est peut-être pas seulement parce leurs forces. Je laisse au surplus la qu’ils mangent peu, mais parce qu’exposés à un soleil aux physiologistes, question à décider
brûlant avec des vêtemens fort légers, leur peau se des- (2) Cen. cap. x y m , v. 6.
la vallée me fit foire un grand circuit ; je m’éloignai insensiblement de ma troupe;
et ayant gravi quelques collines qui m’en dérobèrent tout-à-feit la vue, je me
trouvai à l’improviste devant un camp Arabe. Je songeois à me retirer, lorsque je
m’aperçus que toute retraite m’étoit ôtée par plusieurs Bédouins à cheval. Je me
décidai à vendre chèrement ma vie : j’étois bien armé ¡j’avois, outre mon fusil de
munition et sa baïonnette, une bonne paire de pistolets, et il m’arrive rarement
de manquer le but où je vise. J’armai mon fusil : mais je voulus en même temps
essayer si, en payant d’audace et de ruse, je ne pourrois pas éviter un combat trop
inégal ; je fis signe aux Arabes qui m’observoient de s’approcher de moi, et je me
dirigeai en même temps vers eux avec l’air de la confiance. Aussitôt que j’en fus
assez près pour me faire entendre, je leur demandai de me conduire au cheykh de
leur tribu, auquel j’avois à parler. Us parurent surpris, se regardèrent entre eux ; je
leur répétai ma demande d’un ton ferme, et ils me répondirent de les suivre. Nous
fumes bientôt dans leur camp; des chiens aboyèrent à notre approche; on voyoit
çà et là plusieurs chevaux sellés et attachés près des tentes. Je remarquai avec
étonnement que plusieurs femmes ne se cachoient pas la figure avec autant de soin
que l’auroient certainement fait des femmes iefellâh. Nous nous arrêtâmes devant
la tente du cheykh : elle ne différoit des autres qu’en ce qu’elle étoit un peu plus
spacieuse. J’y entrai avec précaution; j’y trouvai le cheykh et deux autres Arabes
occupés à fumer et à boire du café : ils étoient assis à terre autour d’un peu de feu
sur lequel étoit placée la cafetière. La fumée de ce foyer, celle des pipes, la
figure dure et sérieuse de ces trois hommes, les pistolets et poignards dont ils
étoient armés, tout cela ressembloit assez à l’idée que nous nous faisons d’un antre
de voleurs. Je leur fis le salut des Musulmans, le salâm alekoum; ils me le rendirent
sans se déranger, et ajoutèrent, en me présentant du café: «Assieds-toi
» et bois. 33 Je ne me le fis pas répéter; je savois que c’étoit une espèce de sauvegarde
que de boire ou manger avec eux, et je dis au cheykh : « J’ai appris que
33 tu étois campé ici; j’ai laissé mon escorte à quelque distance, et suis venu seul
33 avec confiance te demander un guide pour me conduire jusqu’à la mer Rouge
33 par la vallée de l ’Égarement : tu peux être sûr qu’il sera bien payé 33 ; et
j’ajoutai, à dessein, que je n’avois pas d’argent sur moi, mais que je lui remettrais
d’avance la moitié du prix dont nous conviendrions, aussitôt que j’aurais
rejoint mon détachement. Il me répondit : «Tu auras un guide, j’ai fait la paix
33 avec les Français. 33 II m’apprit ensuite qu’on lui avoit cédé le territoire et le
village de Baçâtyn, auprès duquel il étoit campé, et que sa tribu étoit celle des
Terrâbins.
Pendant que nous causions, je m’aperçus que les femmes du cheykh écar-
toient un peu, pour me voir, la cloison d’étoffe qui séparoit leur chambre de
la nôtre. Ce devoit être, en effet, pour elles un spectacle curieux que la vue
d’un de ces Français dont leurs guerriers leur avoient sûrement fait des récits
extraordinaires, et dont le costume, le langage, les armes, les manières, étoient si
différens de tout ce qu’elles connoissoient.
Je pris congé de ces Arabes, après être convenu que le lendemain un guide
É. M. P|