
Quand fa raison seule ne nous porterait pas à penser que les Arabes, lorsqu'ils
songèrent a s instruire , ne purent puiser leurs connoissances ailleurs que chez
PenPles savans d’alors ; quand- l’histoire ne nous apprendroit pas que ces
peuples étoient les Grecs qui confinoiem à l’Asie, et les Persans qui s’étendent
jusqua 1 Arabie, tout nous détermineroit encore à croire que c’est là que la
musique des Arabes a pris sa source. La forme et le caractère que cet art a
chez eux, se ressentent même assez de l’époque à laquelle ils l’ont reçu pour
*[11 on puisse la fixer juscjii a un certain point.
Les divisions et subdivisions des tons de la musique Arabe en intervalles si
petits et si peu naturels, que l’ouïe ne peut jamais les saisir avec une précision très-
exacte, ni la voix les entonner avec une parfaite justesse; la multitude des modes
et des circulations ou gammes différentes qui résultent de la combinaison de ces
sortes d intervalles (i); tout annonce que cette espèce de musique est née de la
corruption de l’ancienne musique Grecque et de l’ancienne musique Asiatique
On diroit que la sagesse et la folie ont, à l’envi l’une de l’autre, concouru
a composer la théorie de cet art chez les Arabes. On y trouve autant de rêveries
absurdes sur l’origine, la puissance et les effets de la musique, et autant de
recherches minutieuses, puériles et ridicules dans les règles de la pratique, qu’on
y rencontre de notions sûres et de préceptes excellens sur la partie philosophique
de 1 art. On ne peut y méconnoître quelques-uns des principes sur
lesquels cet art jadis étoit fondé ; mais on ne peut non plus se dissimuler que
tout s y ressent des abus qu’en ont toujours faits cette sorte de musiciens qui n’ont
que la vanité de paraître savans, sans avoir jamais eu le moindre désir de travailler
à le devenir, et qui-, préférant une réputation éclatante à l’estime réfléchie
qu’inspire le vrai mérite, cherchent plutôt à étonner dans leur art, qu’à y
produire un effet utile. Tels étoient, vers le temps de la décadence de l’empire
Romain, les défauts de la musique et ceux des musiciens. Les philosophes et les
poetes de ce temps, soit chrétiens, soit païens, ne cessent de s’en plaindre amèrement.
Or on sait qu’alors on ne connoissoit en Égypte , en Arabie et en
Europe, que 1 ancienne musique Grecque, mais corrompue et dépravée : c’est
donc là une des sources d’où est découlée la musique des Arabes, lorsque, devenus
conquérans par fanatisme, ils se furent rendus maîtres d’une partie de l’Afrique
de l’Asie et de l’Europe, et qu’ils eurent compris.que les sciences et les arts étoient
nécessaires à la prospérité et à la gloire du nouvel empire qu’ils venoient de former.
(<) L epoque de la dépravation de l’ancienne musique
Grecque rem onte fort haut. Platon se plaignoit des raffi-
nemens de calcul que l’on avoit déjà de son temps
introduits en musique et qui en corrompoient la mélodie ;
mais ces défauts étoient plus anciens encore, puisque
Pherécrate, dans une de ses comédies, en a fait le sujet
des plaintes que forme la M usique personnifiée contre
Mélanippides, Cinesias, Phrynis et Tilmthêe. T outefois
, cela n empêcha pas qu’on ne renchérît encore
depuis sur ces raffinemens, et que, dans la suite, des m usiciens
philosophes, tels qu’Aristosène et Euclide, ne
les établissent .en principes dans leurs traités sur cet art,
en y enseignant l’usage des tiers, des quarts, des sixièmes,
des demi-quarts et des douzièmes même de to n, ainsi
que des diverses espèces de modes diatoniques, chromatiques
et enharmoniques. Ç e fut aussi dans cette vue
que Ptolém ee, à 1 imitation1 d’Aristoxène, composa son
traité des Harmoniques,- et comme il étoit natif de Pé-
luse, en Egypte, sur les confins de l’A rabie, ses ouvrages
furent nécessairement connus des Arabes, et servirent
de m odèle aux traites que ceux-ci composèrent sur la
musique. Ainsi son système fut le type de celui que les
Arabes ont adopte; l’affinité qui existe entre l’un et l’autre
système, fait disparoitre jusqu’à J’ombre du doute.
Quant a ce qui décèle l’affinité qui existe entre la musique Asiatique et celle
des Arabes, cela est trop frappant pour n’être pas senti de tout le monde. 11
suffit d’avoir entendu chanter une seule fois aux musiciens Égyptiens des chansons
Arabes, pour avoir remarqué les broderies dont ils en surchargent la mélodie,
et avoir été révolté des accens impudiques par lesquels ils expriment les idées
lascives et les paroles obscènes dont ces chansons pour l’ordinaire sont remplies;
enfin pour y avoir reconnu tous les défauts que les pôê'tés Latins, et les autres
écrivains qui leur ont succédé, reprochent unanimement à la musique Asiatique,
en nous la peignant comme variée à l’excès, n’étant propre qu’à inspirer la mollesse
et la volupté, ou à exprimer l’agitation des sens excités par la luxure.
A tous ces indices de l’origine de la musique Arabe, nous pourrions en ajouter
beaucoup d’autres que nous offrent les termes techniques et les noms des modes,
des sons et des instrumens, qui sont presque tous persans ou dérivés du grec (i).
S’il restoit encore quelques légères incertitudes, elles seraient facilement dissipées
sans doute par l’aveu de tous les auteurs des traités de musique Arabe, lesquels
reconnoissent eux-mêmes que tout leur système de musique et tous les termes
techniques et les noms de leurs instrumens leur viennent des Grecs, des Persans (2)
et des Indiens. On doit donc regarder comme un fait avéré et incontestable, que
la musique Arabe de nos joùrs s’est formée, au temps des khalyfes, des débris
de l’ancienne musique Grecque et de l’ancienne musique Asiatique, lesquelles différaient
moins entre elles par leurs principes que par le genre de leur mélodie.
A r t i c l e V.
Vu Xysterne et de la théorie de la Musique Arabe.
I l paraît que le système de musique des Arabes n’a pas conservé une forme
constante, et que les auteurs n’ont pas toujours été d’accord sur la manière de
la composer : les uns divisent l’octave par tons, demi-tons et quarts de ton,
et comptent par conséquent vingt-quatre tons différens dans l’échelle musicale ;
d’autres la divisent par tons et tiers de ton, et font l’échelle musicale de dix-
huit sons; d’autres y admettent des demi-quarts de ton, ce qui produit quarante-
huit sons; quelques-uns enfin prétendent que le diagramme général des sons
comprend quarante sons : mais, la division la plus généralement reçue étant celle
(1) Dans un traité de musique que nous avons rapporté
d’Egypte, il est dit que les la musique Arabe sont les mêmes mqoude ecse purxi ndceips aGuxre cdse,
. mais auxquels on a donné d’autres noms. Les termes
techniques Persans sont beaucoup plus nombreux que
les noms dérivés du grec dans la musique des Arabes.
Parmi les mots 'dérivés du grec, on remarque particulièrement
ceux-ci que l’on rencontre dans plusieurs de
leurs traités : mousyqy, mousyqâ,
mousyqeh, mots qui viennent du grec MOT2IKH, mou-
sikéj musique; mousyqâr, musicien;
mousyqâry, m usical; mousyqâl, flûte de Pan;
qüLwj* rnousyqân , autre instrument de musique; »jvJ
lyrali, en grec ATPA, lyra, lyre; »jiajjAs» kouytarah,
et BjIxa3 qytarâh, en grec KI0APA , kithara,
cithare; qânoun, en grec KAN£ÎN, canon, instrument
de musique, &c. &c.
(2) Gemâl el-D yn, au commencement de son Traité
sur la musique A rabe, dit positivement ;
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ÉSI
’ « Je vais rappeler les noms des tons suivant le sys-
» tème des Persans. »