seigneur. Il est effectivement le maître de ces terres, puisqu’il peut augmenter
ou diminuer les impositions qu’elles lui payent (i), puisqu’il peut les donner ou
les vendre à d’autres moulteiim, et qu’elles deviennent, après lui, le bien de ses
enfans; et enfin, puisqu’il les réunit à son bien propre, si le fellâh possesseur vient
à mourir sans héritiers : circonstance qui n’a pas lieu pour les autres parties de
la propriété du fellâh; car, dans lé cas où il vient à mourir sans héritiers, sa maison,
ses meubles et ses troupeaux sont pris par le fisc, et non par le moultezim.
Lorsqu’un moultezim vient à mourir, ses enfans, pour avoir le droit d’hériter
de ses biens, doivent en obtenir l’agrément du pâchâ : cet agrément s’obtient en
lui payant une taxe déterminée, regardée par lès Turks comme une espèce de
rachat de la terre, qui, sans cela, retourneroit de droit au fisc.
Si un propriétaire meurt sans enfans et sans avoir testé, ses biens sont pris par
le fisc ; mais s’il a fait un testament, ce testament est exécuté, à la charge par les
légataires, quels qu’ils soient, de payer la taxe au pâchâ.
Je n’ai dit ici sur les héritages que ce qu’il étoit nécessaire d’en faire connoître
pour savoir à quels titres on acquiert la propriété. J’aurai occasion de revenir
sur le même objet, en parlant des fonctions des effendy (2).
Lorsquun fellâh se trouve être trop pauvre pour cultiver la totalité de ses
terres, il en engage une partie pour une certaine somme d’argent, qui lui sert à
cultiver la portion qu’il a gardée. Cet engagement cesse, et sa terre lui est rendue,
aussitôt qu’il peut rembourser la somme qui lui a été donnée. On appelle cette
espèce d’hypothèque, hharouqah (3).
Le moultezim ne peut ôter au fellâh la terre qu’il cultive, à moins qu’il ne soit
constaté que celui-ci ne peut la cultiver, et par conséquent payer les impôts; mais
le fellâh conserve la faculté d’y rentrer, lorsqu’il a acquis les moyens de tenir ses
engagemens (4). Les fellâh jouissent d’ailleurs de toute liberté sur le genre de
culture qu’ils veulent donner à leurs terres : ils peuvent les ensemencer en blé
en riz, en doûra, selon qu’il leur plaît; et pourvu qu’ils payent la taxe au moultezim,
celui-ci n’a rien à exiger d’eux.
La taxe que les terres des fellâh doivent payer aux moulteiim, est le mâl el-
hour (y), ou droit libre. Elle est toujours plus forte que le myry (6), et c’est sur
elle que cet impôt du grand-seigneur est prélevé. Ce qui reste après ,1’acquit-
tement de ce droit, appartient aux moulteiim, et porte le nom de fàyi (7), ou
profit.
Le myty a été établi par Selym, ou plutôt par son successeur, suivant l’observation
que j’ai déjà faite. Il paroît que, lorsqu’après la conquête de l’Egypte par
les Turks, on voulut établir l’impôt territorial pour les sultans de Constantinople,
on trouva que les registres des contributions avoient été bridés : il fallut alors
(1) Ces augmentations ne sont peut-être que des vols; (4) Cela dépend beaucoup de la volonté particulière
mais ces vols sont exerces depuis si long-temps, que le du moultezim.
droit de les commettre n’est plus contesté. '(5) j£ \ JU .
(2) W m L
avoir recours aux connoissances que les Ogâqlu tchâouchyeh (i) avoient sur cet
objet; et ce fut d’après cela que l’on répartit le myry, non parfeddân (2) de
terres, mais par villages : ensuite les moulteiim partagèrent entre eux cette charge,
selon l’étendue de leurs possessions. C ’est cette première répartition du myry sur
les villages, qui subsiste encore aujourd’hui; elle fut faite si inégalement, que,
pour cinquante medins de mâl el-hour, le nombre correspondant du myry varie
depuis deux jusqu’à vingt medins.
Solymân établit aussi dans la haute Egypte le myry en denrées, pour subvenir à
la nourriture de la milice des Ogâqlu, qu’il venoit de réorganiser.
J’aurois encore d’autres détails à donner sur la perception et l’emploi du myry;
mais ce n’est pas ici le lieu de les placer : il sera plus convenable de le faire
lorsque je parlerai de l’administration particulière qui a le myry pour objet.
Le mâl el-hour est établi par un ancien usage du pays, que les sultans de
Constantinople ont laissé subsister, et qu’ils ont confirmé. Ce droit paroît être
le seul que les moulteiim devroient légitimement percevoir; mais successivement
ils ont exigé, sous divers prétextes, une plus forte rétribution des cultivateurs,
et leur ont imposé deux nouveaux droits : le premier, qui ne paroît être bien
constaté que depuis environ-cent ans, est le moudâf[f), qui signifie sur-ajouté: le
second, qui n’étoit d’abord composé que des présens que les cultivateurs fai-
soient aux moulteiim, s’est successivement affermi et augmenté, au point detre,
dans quelques endroits, plus considérable que le fàyz; il n’est perçu régulièrement
que depuis cinquante ans environ ; on le connoît sous le nom de barrâny (4), qui
veut dire extraordinaire (y).
Au reste, ces deux impôts, ayant la même origine, sont généralement confondus,
et nen forment qu’un seul, qui porte indifféremment, et suivant les pays,
les noms de moudâfon de barrâny.
C est principalement au temps d’A ’ly-bey (6), que ces nouveaux impôts ont été
établis. Ce Mamlouk, ayant presque entièrement détruit le corps des Ogâqlu, dont
la plupart étoient grands propriétaires, s’empara des villages qu’ils possédoient, et
les distribua à ses partisans. Il augmenta beaucoup les charges des fellâh ; et tous
les moidteiim qui avoient quelque crédit auprès de lu i, l’imitèrent en exigeant
aussi des droits excédans. Depuis lui, la maison de Mohammed-bey (7], et en
dernier lieu Ibrâhym-bey (8), donna encore de nouveaux accroissemens aux
revenus des moulteiim : il n’y en a qu’un petit nombre qui, regardant ces impôts
comme injustes, ou nayant pas le pouvoir .de les exiger, se soient contentés du
mâl el-hour; a ces exceptions près, la cupidité des moulteiim, et sur-tout des
moulteiim Mamlouks, avoit atteint sa dernière limite.
Je viens de faire connoître la manière dont les fellâh possèdent leurs terres, et
comment la propriété est partagée entre eux et les moulteiim; je vais actuellement
parler d une autre partie de la propriété de ces derniers. Elle consiste dans des
(■) j b 'W - (4) ^13,. (7) uL , j Xî .
(2) ü ld i . (5) Littéralement, étranger. (8)
( 3 ) u C . (6 ) c L J e .
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