d’être confirmée par des exemples, on citerait les Tartares et les Kourdes, qui
vivent sans demeure fixe, conduisant, comme les Arabes, leurs troupeaux de
pâturage en pâturage, et qui ont les mêmes habitudes de vol et de pillage.
Les Barâbras sont Mahométans, et paraissent très-zéléa pour leur religion. Malgré
leur douceur, ils ont beaucoup d’aversion pour les étrangers; c’est toujours
avec peine qu’ils les ont vus arriver dans leur pays. L’un de ceux avec qui j’eus des
rapports à Philæ, me dit : Ce sont ces monnmens qui attirent ici les étrangers ; dès
que vous serez partis, nous les démolirons, afin qu’on nous laisse tranquilles chez nous.
Heureusement ils ne sont ni assez forts ni assez habiles pour exécuter ce projet
absurde. Cette disposition ombrageuse des Barâbras n’avoit rien d’inquiétant pour
nous, parce que nous étions protégés par une force suffisante : mais les voyageurs
isolés qui seront dans le cas de visiter les monumens situés à Philæ et au-dessus ne
pouvant pas jouir de la même sécurité, feront bien de prendre, pour leur sûreté,
toutes les précautions possibles.
La couleur des Barâbras tient en quelque sorte le milieu entre le noir d’ébène
des habitans du Sennâr et le teint basané des Égyptiens du Sa’yd : elle est exactement
semblable a celle de 1 acajou poli foncé. Les Barâbras se prévalent de
cette nuance pour se ranger parmi les blancs. Je demandois un jour à l’un d’entre
eux si une peuplade dont il venoit de me parler, étoit noire ; il me répondit : N on,
non; ils sont aussi blancs que nous. Les traits des Barâbras se rapprochent effectivement
plus de ceux des Européens que de ceux des Nègres : leur peau est d’un tissu
extrêmement fin ; sa couleur ne produit point un effet désagréable ; la nuance
rouge qui y est mêlée leur donne un air de santé et de vie. Leur physionomie
expressive et animée respire la bonté ; celle des jeunes gens sur-tout est pleine
de douceur. Ils différent aussi des Negres par leurs cheveux, qui sont longs et
legerement crépus, sans etre laineux. J ’ai remarqué plusieurs enfkns dont la chevelure
étoit mélangée de touffes noires et de touffes blondes : mais la nuance de
ce blond n’est pas la même que chez les Européens; elle se rapproche beaucoup
de la couleur de cheveux roussis par le feu : rien n’annonce cependant quelle ait
été produite artificiellement.
A leur première entrée dans l’île de Philæ, les Français trouvèrent une jeune
fille Barbarine, que sa famille avoit abandonnée, après avoir pris, pour .conserver
sa virginité, la précaution la plus cruelle, celle d’une suture complète de l’organe
de la génération. Ce fait annonce un peuple en proie à la plus excessive jalousie :
cette passion se manifeste d’ailleurs par le soin avec lequel les Barâbras dérobent
leurs femmes aux regards des étrangers. Dans une visite que nous fîmes à quelques
villages Barâbras voisins de Philæ, nous étions suivis par une foule nombreuse
: nous vîmes des hommes armés de bâtons, sans cesse occupés à chasser les
femmes que la curiosité attirait près -de nous. L’usage de se voiler, si universel en
% p te , n est cependant pas établi parmi les femmes Barâbras ; elles paraissent avec
le visage découvert : leur chevelure est distribuée en une multitude de petites
boucles, frisees en tire-bouchon, qui flottent sur le front et sur tout le contour
delà tete. Elles ont un vêtement qui couvre entièrement le corps. Nous en avons
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vu qui étoient drapées de manière que le bras droit et l'épaule demeuroient à
découvert : sous cette draperie, leurs mouvcmcns et leurs poses ne manquoient
ni de grâce ni d’une sorte de noblesse.
Le vêtement des filles impubères est composé d’une ceinture faite- de cordons
tressés entre eux, dont les bouts descendent comme une frange jusqu’au tiers des
cuisses. Leur nudité n’a pas d’autre voile. Cet usage , quelque peu conforme qu’il
soit aux idées de pudeur qui existent parmi les nations policées, s’en éloigne
pourtant moins que la nudité absolue, qui est assez commune dans les villes
d’Égypte et même au Kaire.
Les hommes faits sont vêtus d une chemise bleue ou rousse, comme les paysans
Égyptiens. Les enfàns demeurent nus jusqu’à l’âge de la circoncision ; alors ils
prennent un vêtement. Nous en avons vu plusieurs avec une écharpe blanche qui
descendoit de lepaule droite à la hanche gauche, et revenoit à droite en enveloppant
les reins et les parties sexuelles; cette draperie produit un effet assez agréable.
La langue des Barabras est douce; elle n’a point de ces sons gutturaux qui sont
si communs dans la langue Arabe, et qui paroissent si étranges à une oreille
Française qu’ils frappent pour la première fois. Elle peut être écrite avec le seul
alphabet Français, sans que la prononciation des mots soit altérée : j’en ai fait l'expérience
plusieurs fois ; et j’ai toujours réussi, au jugement des Barâbras mêmes. Ils
ont remarqué l’identité de leurs accens et des nôtres. L’un d’eux me disoit : La
première fois que j'a i entendu les Français, j ’ai cru que c’étoient des gens qui parloient
ma langue sans que je pusse les comprendre.
M. Vincent, membre de la commission des arts en Égypte fil, qui s’étoit rendu
très-habile à parler Arabe, avoit la complaisance de me servir d’interprète pour
recueillir les diverses informations consignées dans ce Mémoire : nous ne pouvions
converser qu’avec ceux d’entre 'les Barâbras* qui savoient l’arabe. Les aspirations
fortes de cette langue s’adoucissent dans leur bouche: les Arabes en prennent sujet
de les railler; car chaque nation voit dans ses habitudes la règle des convenances
et le modèle du beau.
Le séjour que nous avons fait parmi les Barâbras n’ayant été que de quelques
jours, presque entièrement remplis par l’étude des monumens antiques, je n’ai pas
eu le temps de recueillir sur la langue Barbarine des renseignemens suffisans pour
mettre en état de juger de son mécanisme et des affinités qu’elle peut avoir avec
les autres dialectes en usage parmi les différens peuples de l’Afrique; cependant
je crois pouvoir affirmer qu’elle ne se confond avec celle d’aucun peuple connu
jusqu’à ce jour.
Quelques personnes ont pensé que les Barâbras pourroient bien être une colonie
des Berberes, peuple qui habite le mont Atlas, et qui parle aussi une langue distincte
de celle de tous ses voisins : mais cette conjecture, suggérée par l’analogie des
noms, est destituée de fondement; il est facile de s’en convaincre, en compàrant
les noms qui désignent les premiers nombres cardinaux dans les deux langues. Ceux
(i) M . Vincent est aujourd’hui capitaine du génie impérial.