L’amour des Bédouins pour fa poésie est une conséquence naturelle de ce que
nous venons de dire. Leurs poëtes jouissent de ce respect, de cette vénératior
que nous avions jadis pour nos bardes; car ils sont ce quetoient ceux-ci, les dispensateurs
de la gloire : et quel homme n’en seroit épris 1 Quelquefois aussi leurs
chants sont consacrés à l’amour. Souvent l’un d’eux s’assied devant sa tente vers
1 heure où la fraîcheur vient ranimer les esprits et inviter à des plaisirs simples,
délassemens dune journée pénible. Aux accords de sa mandoline, les Arabes
accourent en foule et s’asseyent autour de lui les jambes croisées sur le sable ; tous
prêtent une oreille attentive ; et lui, après avoir préludé quelques iristans, les yeux
tantôt fixes vers le ciel, tantôt ramenés vers la terre, dans le recueillement de
1 homme qui cherche à se rappeler les faits des temps passés, chante les victoires
de sa tribu, les exploits d’un brave, ou les malheurs de deux jeunes amans (i).
Combien de fois, assis avec eux, n’ai-je pas vu le soleil disparoître à l’extrémité
du désert ! les derniers rayons du crépuscule éclairoient la figure animée du barde
et ses gestes expressifs; les spectateurs, le corps en avant, écoutoient en silence;
tout entiers au récit, iis quittoient insensiblement leurs longues pipes sans s’en
apercevoir, et 1 attendrissement, l’admiration , la fierté courageuse, venoient se
peindre sur leurs visages basanés. Que l’on se représente tous ces hommes drapés
de la manière la plus pittoresque, leur barbe noire, leurs dents blanches comme
1 ivoire, leurs yeux noirs et vifs, le vent frais de la nuit agitant leurs schâis et leurs
longues robes; auprès d’eux sont leurs armes; le désert morne et silencieux les
environne; le calme de la nature n’est troublé que par la voix de l’homme inspiré,
et de loin en loin par le hennissement des chevaux qui, sellés et prêts pour les
combats, frappent du pied la terre, impatiens de leurs liens, tandis que des
chameaux, couchés patiemment sur leurs genoux, broyant lentement et avec
gravité quelques plantes épineuses, font entendre leurs sombres et plaintifs
grommellemens : qu on se représente encore un Français dans le costume de son
pays, admis avec confiance aux plaisirs de la tribu, et l’on aura une idée d’une
scene du désert, qui ne fut jamais sans intérêt pour moi. Lorsque les chants sont
suspendus, on rallume sa pipe au foyer qui est placé au milieu du cercle ; c’est
la que dans une grande cafetière le café est préparé : des tasses remplies de cette
boisson passent de main en main; elle répare les forces épuisées, procure une
douce ivresse, et, loin d’engourdir, comme nos liqueurs fermentées, elle ranime
les sens et 1 imagination. La veillée se prolonge quelques instans encore, et l’on
se sépare avec des idées de gloire et d’amour qui embelliront le sommeil.
^ Les Arabes ont une foule de contes dans le genre des mille et une nuits (a)
ou les gemes et les fées jouent un grand rôle, et l’on ne doit point s’en étonner;
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la vie des guerriers est féconde en aventures, cela détermine leur goût pour les
histoires merveilleuses : les soldats Français n’ont-ils pas aussi les leurs, où k diable
et les magiciens ne sont pas oubliés (i) !
On pourroit, au premier abord, être étonné du feu et de la délicatesse que
les poëtes Arabes mettent dans leurs expressions lorsqu’ils chantent l’amour. Quoi!
dira-t-on, chez une nation où l’état des femmes diffère peu de l’esclavage, peut-
on leur payer ce tribut d’hommages! Soumise à l’homme, peut-il en faire, comme
chez nous, l’arbitre de sa destinée! Ces observations paroissent fondées; mais la
réflexion les fait bientôt disparoître. Les femmes, chez les nations Orientales,
vivent, il est vrai, dans une retraite absolue ; la société des hommes leur est
interdite ; et quand elles sortent, un grand voile les cache à tous les regards :
les intrigues d’amour doivent donc y être plus rares. Mais tant de réserve, tant
de précautions contre la plus forte , la plus indomptable des passions, doivent la
rendre plus vive ; et lorsque, par une rencontre fortuite, un jeune homme apercevra
les traits d’une belle femme, ou que son imagination lui en aura créé le
portrait enchanteur, les obstacles irriteront ses désirs, et les expressions les plus
brûlantes peindront mal tout ce qu’il éprouvera.
Qu’importe, en effet, que les femmes soient plus ou moins dépendantes de leurs
maris, qu’elles soient plus ou moins considérées dans l’intérieur de leur famille!
ce n’est point le possesseur, mais celui qui envie la possession, qui en exagère le
prix et en parle avec enthousiasme.
Chez nous, l’habitude de voir un grand nombre de femmes, de vivre dans leur
société, nous aguerrit contre leurs charmes; nous avons des désirs, mais ils sont
plus vagues : et sr une seule personne en est quelque temps l’objet, cela est rarement
de longue durée ; de nouvelles' beautés attirent bientôt notre hommage.
On chantera donc plus souvent en France les plaisirs de l’amour, ses peines chez
les Arabes ; et les accens de l’élégie ont aussi leur douceur.
Au surplus, les femmes sont généralement plus considérées chez les Arabes du
désert que chez les autres peuples de l'Orient ; on a vu même des femmes de
cheykh, à la mort de leur époux, gouverner la tribu ; et un événement dont
nous avons été témoins, prouve bien que le sort des femmes Arabes n’est pas
aussi pénible que l’on pourroit le croire. Des Bédouins surprirent Mansourah,
(i) Dans nos bivouacs, lorsque tout le monde a
cphoortiesi- mlea nHteeauu oeùs t ilp lpaacsés eàra telrar en puoitu, rq sueer vlier sda’oc reoiull elre,
on se couche, et un soldat prononce à haute voix un
cri convenu; c’est comme s’il disoit : Voulez-vous m’é-
couter f Si de tous côtés se fait entendre le cri qui annonce
le consentem ent, alors le conteur commence par
un H y avoit autrefois. Dans ces sortes d’histoires, il
est assez ordinairement question d’une jeune et jolie
princesse qui, méprisant tous les élégans petits-maîtres
de sa cour et les plus puissans m onarques, devient
amoureuse d’un simple soldat, d’un la Tulipe, l’épouse
et le comble d’honneurs et de richesses. L’orateur s’étend
avec complaisance sur la bravoure et les autres
qualités de son héros; il lui fait combattre et vaincre
jusqu'au diable, boire des tonneaux de vin sans s’enivrer,
et égaler Hercule dans ses travaux amoureux; les
cghiqaurme eqsu id nee sgaa zbee lrliee na,m eite tsoountt cdeélac rsi’tass dsa’uisno nstnyel ee néncoerre
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de juremens aussi forts que multipliés. Voilà ce qui
plaît aux soldats; leur imagination les flatte un instant
d’un sort semblable à celui d’un homme qui leur ressemble.
M ais, avec des personnes fatiguées, le sommeil
peut l’empo.rter sur l’intérêt de la narration; aussi le
conteur a-t-il soin de s’assurer qu’on l’écoute, en poussant
de temps à autre son premier cri : ceux de ses
auditeurs le rassurent; et lorsqu’ils deviennent rares, ou
ne se font plus entendre, il imite ses compagnons et ’
s’endort auprès d’eux.