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quelles offrorent cl invariable, pour voir si, par ce moyen, nous découvririons la
forme reelle de lair, imaginant bien que toutes les variétés que nous y avions
reconnues appartenoient au goût de chaque musicien, et nous fumes bientôt
convaincus que nous ne nous étions pas trompés: car, après l’avoir simplifié en
le dépouillant ainsi de ses accessoires , et l’avoir fait entendre successivement à
tous ceux qui nous lavoient chanté, tous le reconnurent fort bien; seulement
tous nous reprochèrent de l’avoir privé des ornemens qui l’embellissoient. Mais
nous leur fîmes observer que , pour nous, la mélodie simple étoit la personne
meme du chant, et que les ornemens n’en étoient que l’habit ; que par conséquent,
désirant faire connoissance avec la personne de la manière la plus intime, nous
n avions pu nous dispenser d ecarter tout ce qui déroboit à nos regards ses formes
les plus intéressantes. Ils approuvèrent notre réflexion, et il fut convenu entre
nous que chaque fois quils cxécuteroient désormais devant nous de la musique,
ils nous la feroient entendre d abord sans ornemens; qu’ensuite ils pourroient
1 orner autant qu il leur plairoit, sans que cela nous empêchât de la reconnoitrc.
Nous n’obtînmes pas rigoureusement ce que nous leur avions demandé ; l’habitude
qu ils avoient contractée du contraire, leuravoit rendu impossible cette
exacte simplicité : mais enfin, comme ils mettoient toute leur application à se
conformer à notre convention, leurs airs devinrent moins confus, et nous les
distinguâmes davantage.
Par ce moyen, et avec le secours de leurs instrumens dont nous nous servîmes
pour leur faire mieux comprendre ce que nous voulions leur dire, nous eûmes
la faculté de les aider a nous démontrer ce que nous voulions savoir. Dès ce
moment, nos séances devinrent moins oiseuses, moins pénibles et plus profitables ;
et nous ne craignons pas d assurer que si nous n’avons pas plus de choses à dire
sur la pratique de la musique Arabe en Égypte, c’est que les musiciens Égyptiens
n’en savent pas davantage.
Ces musiciens n étant plus dirigés dans leur art par d’autres principes que ceux
que 1 usage leur a transmis, nous devions bien prévoir qu’une semblable tradition
etoit trop susceptible dabus, par 1 ignorance ou la négligence de ceux qui en
avoient été les organes depuis deux ou trois siècles, pour que ces principes se
fussent perpétues, pendant un si long laps de temps, sans la moindre altération;
c est pourquoi nous ne nous y sommes pas toujours arrêtés avec une entière confiance
: mais nous devions bien penser aussi que des choses consacrées par un
usage qui na été que négligé sans avoir jamais été entièrement interrompu, et
auxquelles on na point eu 1 intention d’ajouter quelque innovation, ne pouvoient
avoir néanmoins été tellement dénaturées, qu’il n’en restât absolument rien; nous
ne dûmes donc négliger aucun des moyens qui nous parurent propres à nous
les faire reconnoître.
Quelle que soit la routine des musiciens Égyptiens, elle n’étoit point à
dédaigner pour nous; elle pouvoit même éclaircir ou confirmer ce qui, dans
les traites manuscrits que nous avions de la musique Arabe, nous laissoit encore
quelques doutes. En effet, sans elle, nous n’eussions jamais obtenu les notions
que
D E L A R T M U S I C A L E N E G Y P T E . 6 7 3
que nous avons acquises sur la pratique de cette musique, nous n’eussions jamais
pu apprécier et déterminer le diapason de l’échelle musicale dont on y fait usage,
nous n’eussions eu que des idées confuses sur les modes et sur les tons qu’on y
emploie, nous n’eussions pu connoître les exceptions ou additions qui ont été
établies dans les règles de la pratique, soit par le goût, soit par quelque autre
motif; il nous eût été impossible enfin de donner, comme nous le faisons ici,
des exemples notés, qui rendissent sensible à la vue ce que nous desirions de faire
connoître.
A r t i c l e I I .
Quelle connoissance les Musiciens Egyptiens ont actuellement du Système de la
Musique Arabe.
U n e des principales causes qui ont fait que les musiciens Égyptiens n’ont pas
entièrement perdu la connoissance du système de la musique Arabe, c’est que
la tablature de leurs instrumens, de même que celle de tous les instrumens de
musique des Orientaux, est formée d’après ce système : ce qu’ils y comprennent
néanmoins, se borne à très-peu de chose.
Ils distinguent bien, à la vérité, par leurs noms les divers degrés de l’échelle
diatonique des sons; ils savent aussi qu’il y a d’autres degrés intermédiaires aux
précédens, et ils en font usage même assez fréquemment : mais ils ne sauroient
dire au juste quelle est la nature et l'étendue de l’intervalle qui sépare ces degrés
les uns des autres; seulement ils désignent par les noms d'a’fq (1) et de baneh (2)
les intervalles moins grands que les diatoniques : mais ils ignorent que leur échelle
musicale se divise par dix-huit degrés qui renferment dix-sept petits intervalles
d’un tiers de ton chacun. Ils accordent leurs instrumens par quarte, par quinte
et par octave : mais ils ne comprennent pas toute l’importance de ces intervalles
dans la formation de leur système de musique ; ils ne savent pas que quatre sons
diatoniques consécutifs portent le nom de m er dans le langage technique de la
théorie musicale Arabe. En un mot, les notions qu’ils ont de leur art ne sont
ni méthodiques ni réfléchies; elles ne sont, comme nous l’avons déjà observé,
que le résultat d’une pratique routinière et d’une aveugle expérience.
A r t i c l e III.
Des Modes musicaux et des Modulations en usage dans la pratique che£ les
Égyptiens modernes.
Il s’en faut bien que les musiciens Égyptiens connoissent et emploient tous
(1) a’fq, mot au.quel ils donnent en musique
l’acception de retranchement, soustraction d’intervalle j c’est à-peu-près d’une partie Yapotome des Grecs. La-
borde a donc été mal informé quand il a écrit, dans
É. M.
son Essai sur la musique, que ce mot indiquoit une
marche rapide du cliant. (2) «û baqeh , reste : cet intervalle répond au leirnma des Grecs. Te 11