
9 ^ 2 D E S C R I P T I O N d e s i n s t r u m e n s . d e m u s i q u e
C H A P . I T R E V I .
D une espece de F lûte champêtre appelée en arabe Arghoul
A r t i c l e I ."
D u Caractère et d itS ty le de VArghoul (i)H de l ’Origine et de VÉpoque de
l invention de l A rg h o u l, et du Téom dé son Inventeur.
A juger de farghoul seulement par sa forme, ainsi qu’on peut le faire quand
on n’en connoît encore que l’image, on se persuaderait difficilement que c'est
là 1 ouvrage de paysans grossiers, de rustres à demi sauvages, comme le sont les
fellâh de 1 Egypte moderne, pay$ o ù , depuis bien des siècles, l’homme végète
dans la plus stupide ignorance et la plus honteuse barbarie. Cependant c’est une
chose digne de-fixer 1 attention des voyageurs, que l’extrême simplicité des ins-
ti umens qu on y emploie dans les arts qui n’ont point éié à portée d’être modifiés
par quelque influence étrangère. Cette simplicité, quelle que soit la grossièreté de
là main-d’oeuvre, décèle néanmoins, selon nous, le haut degré de perfection où les
arts parvinrent jadis en Egypte, et d’où ils sont déchus aujourd’hui : car la simplicité
des moyens est ordinairement, dans les arts qui remontent à une trèf-haute antiquité,
un des caractères les plus réels de la peifection ; et si, dans ce pays, cette simplicité
s est conservée dans beaucoup de choses, il ne faut l’attribuer qu’au naturel insouciant
des Egyptiens, et a leur-éloigncment pour toute sorte de changemens.
Certes, on ne peut, avec des moyens plus simples, ni avec un art mieux entendu,
composer un instrument plus élégant, plus en harmonie dans son ensemble, que
I arghoul. Comparé aux autres instrumens de musique de ce genre, il ne le cède
à aucun d eux pour la grâce. Il n’est nullement vraisemblable ni possible que cette
espèce d instrument ait pris naissance chez un peuple absolument dépourvu de goût
pour les arts d agrément et dans des siècles d’ignorance. ‘
Les flûtes de roseau telles que celle-ci (a), les flûtes doubles, les flûtes impaires ou
inégales, étoient connues dans la haute antiquité. L ’invention de la flûte à plusieurs
tuyaux inégaux (3) se perd tellement dans la nuit des temps, qu’on lui a donné une
origine fabuleuse (4 ) : on 1 attribue à Pan (y), un des plus anciens dieux de l’Égypte.
II est vrai qu on nous décrit cette flûte comme étant composée de sept tuyaux
inégaux (6), et quil n y en a que deux à farghoul; que, dans la première, chaque
son est rendu par un tuyau différent (7), et que, dans farghoul, un seul tuyau
suffit pour rendre plusieurs sons,.ce qui suppose un art plus perfectionné dans
ce dernier instrument. On rapporte aussi à Silène l’invention d’une.flûte à plusieurs
tuyaux dont on ne détermine pas Je nombre (8), et à Marsyas (9) celle de la flûte
(r) Voyez ylanche C C ,fg. z t , 22,2?* (2) Euripid. Iphig.jn Aulide, v. t 037.. -.
(5) Theocrit. Bucol. idyll. v ill, v. 21 et seq. VirriL Bucol.. e clog. 11.
(4) Pausan. Arcad. p. 518. Virgil. Bucol. eclog. 11,
v. 32 et seqq. Q vid. Afetatn. Ijb. I , v. 707 et seqq.
(j) Virgil. Bucol. eclog. VI I I .
(6) V irgil* BucoL eclog. II, y. 2 4 ,lib. 11, eieg. v , v. 29' et seqq. 31 et seqq. Tibul.
(7) Lucret. De rerum nat. lib. IV, v- 589.
(8) Athen. Deipnos. Hb. I V , c. 35, p. 184.
(9) Virg* AEneid. Iib, x , v. 617 et seqq.
dont les tuyaux étoient .collés avec de la cire ; on cite encore Daphnis (1) comme
l’inventeur de la flûte pastorale ; en un mot, nous ferions une très-longue énumération,
si nous voulions rappeler les noms de tous ceux qui se sont occupés à
perfectionner la flûte à plusieurs tuyaux.
Nous ne parlerons pas de la flûte double que les Phrygiens employoient dans
leurs chants en l’honneur de Cybèle (2). Cette flûte, qui étoit recourbée et de buis
chez eux, fut aussi connue des anciens Égyptiens sous le nom de pjiotinx; elle
étoit faite chez eux d’une espèce de lotus particulière à l’Afrique. Il s’agit ici
d’une flûte double de roseau, dont les tuyaux sont droits et inégaux, dont ¡’embouchure
n’est autre chose qu’une fente qu’on a faite en détachant, sans l’enlever
tout-à-fait, une portion longitudinale dans toute l’épaisseur du roseau, un
éclat enfin en forme de languette qui ouvre un passage au souffle qu’on introduit
dans' l’instrument pour produire des sons. C’est à ces caractères que nous devons
reconnoître cet instrument chez les anciens ; et ces caractères sont décrits par la
plupart des auteurs Grecs et Latins, de manière que l’on né peut ni les mécon-
noître ni même s’y méprendre.
D ’abord Théocrite ne laisse aucun doute sur l’usage des flûtes doubles pastorales
chez les anciens; il en parle positivement et en termès non équivoques (3); il les
appelle des flûtes jumelles, et les distingue de celles des bouviers en disant que
celles-ci sont composées de plusieurs tuyaux collés avec de la cire, de -même que la
flûte de Pan (4). Nonnus, dans ses Dionysiaques, ne s’explique pas moins clairement,
quand il dit : « Donnez - moi ces crotales consacrés à Bacchus avec les peaux de
» chèvre, et présentez à d’autre la flûte double, de peur que je n irrite Phoebus ;
» car il rejette le son que je produis avec mes flûtes (3 ). » Ovide fait mention d’une
flûte de berger composée de deux tuyaux inégaux (6). Ce Daphnis, originaire de
(1) Theocrit. Epigr., et Bucol. idyll. VIII. Virgil.
Bucol, eclog, y.
O n voit en Egypte des flûtes de roseau à sept, à h u it,
à neuf tuyaux, et même à un plus grand nom bre, d’inégale
grandeur, rangés dans le même ordre que ceux de
la flûte de Pan ; les tuyaux en sont aussi coljés avec,
de la cire , et serrés les-uns contre les autres par un lien
en fil ou en corde qui les embrasse .tous à la fois. Cette
espèce de flûte n’est en usage que parmi les fellâh-, ou
parmi les enfans de la classe du peuple. O n l’appelle
ginâh, ou JÜLyvj* mousyqâl. Nous avons négligé
de décrire cet instrum ent, parce qu'il est exactement fait
comme les instrumens de ce genre qu’on voit en Europe,
et qu’on entend assez fréquemment dans les rues de Paris
depuis quelques années.
(2) Virg. Æneid. lib. X, v. 617.
(3) AÎff 7X071 tov Yvpupùv StSb/xotç av\oiotv centrai, k.t.2.
V if ne , per.Nymphas, Juplicibus tihüs cantare
Suave aliquid mihi ! et ego, pectidem s umens,
Incipiam aliquid sonare ; buhulcus autan si/nul oblectabh
Daphnis, cçrâ compacta spiritu [fis tu lâ ] modulans.
Suintes péri prope hirsutam quercum post antrum,
Pana caprarium privaveritnus sotnno.
Theocrit. Epigr. v . (4) Theocrit; Bucol. idyll. V III, v. 18 et seq. Epi-
grainm. II.
Ê. M.
( 5 ) Eu/a /m i chin pôtrrçft x, a iy iJ itç ' jiJfyiuM1 x . t . a .
■Baçchica mihi date crepitacula et caprinas pelles ; dulcem veri -
Alte ri duplican tibiam pretbete, ne etiam excitan ■
Phcebum : mear uni enim fistularum récusât vivurn sonltum.
Nonn. Diànysiac. v. 39 et seqq.
II n’en est pas de même de la flûte dopble dont il parle
dans les vers 23 2 et 233 de ses Dionysiaques, liv. X L :
X a / K a îo^ » B ip in um ç vtjo çôput. JlÇvytç ctv\ot
(pe/tKièv ipivuM<m.rn A të v r y>vy, . . . , , . . , . .
E t Cleochi Bereçyntes sub ore gemina tibia
Horribilem mugiebant Libycum luctum.
Par ces flûtes dont le son mugissant exprimoit Un deuil
shioornr iabulex scermis bqluabi laec cào cmelpuaig dnea liean Lt ilbesy ecé, rNémononnuiess ffauint èabfrluesí
des morts qu’on enterroit dans les magnifiques tombeaux
que nous avons vus le long de la montagne Libyque. II
veut parler des flûtes Phrygiennes qui étoient employée?
au culte de Cybèle et dans les Bacchanales : ces flûtes
doubles étoient égales et divergentes ; leurs tuyaux étoient
non de roseau, mais de buis ou de lotus,et se terrqinoient
par un pavillon en corne recourbée. O n a représenté cette
espèce de flûte dans les grottes d’E Iethyia, à la suite d’un
convoi funèbre. O r cette espèce de flûte est entièrement
différente de l’arghoul. ,
(6) O vid. Remed. amor. v. 181.li i i i i a