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 armés  ne se hattroient  pas impunément;  et  les  suites  d’un meurtre sont si  graves !  
 Les  parens  du mort  doivent  le  venger,  et  l’assassinat  est  alors  permis :  le  talion  
 devient une  loi  sacrée,  à  laquelle  le cheykh  lui-meme  ne pourrait  se  soustraire;  
 et  ce  qu’il  y  a  de  terrible,  c’est que  le  meurtrier  n’est  pas  seul  poursuivi, mais  
 encore  ses proches  parens.  Quand  une famille a de  pareilles  vengeances à exercer  
 envers  une  autre,  on  dit  qu’il  y  a  du  sang entre  elles ;  elles  sont  forcées  de  se  
 séparer,  et  vivent  dans  un  état de  guerre  qui  se  continue  quelquefois  pendant  
 plusieurs  générations,  parce  qu’une  vengeance  en  nécessite  d’autres.  La  mort  
 même du meurtrier  ne  ramène  point le  calme;  et si  un de  ses  parens  périt  pour  
 lui,  les haines  s’accroissent  au  lieu de diminuer.  Ces querelles  intestines sont surtout  
 interminables, quand  les familles  ennemies appartiennent à deux tribus différentes; 
   car celles-ci  prennent assez ordinairement la défense  de  leurs concitoyens,  
 et  il  en  résulte  une  guerre générale ;  il  y  en  a de  ce  genre qui  existent depuis un  
 temps  immémorial.  Cependant,  avant  que  les  dissensions  se  compliquent  trop,  
 on  peut  quelquefois  apaiser  la  famille  offensée  par  des  présens  qui  consistent  
 principalement  en bestiaux; et Je  traité qui se conclut  alors,  se nomme  dyeh,  ou  
 rachat  -du  sang.  Nous  voyons  dans  la Bible  (i)  que,  dès  le  temps de Moïse,  ce  
 rachat étoit  connu des  tribus errantes  dont  il  fut Je  législateur. 
 Lorsque  les  deux  familles  ennemies  sont  de  la  même  tribu,  le  dyeli  est  plus  
 facile  à  conclure ;  le  cheykh  et  les anciens  de  la  tribu  y  emploient  toute  leur  
 influence. 
 Le talion et le  rachat  du sang ont également lieu pour  les blessures. 
 Les  hommes  ont  droit  de  mort  sur  leurs  enfàns,  et  ils  punissent  de  cette  
 peine  capitale  celles  de  leurs femmes,  de  leurs  filles  ou  de  leurs  soeurs,  qui  ont  
 cessé, d’être  sages. 
 Le  duel  n’est  pas  connu  des  Arabes ;  ils y suppléent,  comme  on  vient  de  le  
 voir,  par  des  assassinats,  et  l’on  remarque  la même  chose  chez  la  plupart  des  
 peuples anciens  ou modernes. Ce n’est que  chez les nations du nord de l’Europe,  
 que  la noble  coutume  de défier  son ennemi  et  de  le  combattre  à armes  égales  a  
 su  embellir  la  haine  odieuse  et  la  vengeance cruelle  des  couleurs de  la  loyauté  
 et  du courage. On  rencontre,  à  la vérité,  en parcourant l’histoire Arabe,  de  ces  
 combats  singuliers  qui  eurent  lieu  chez  tous  les  peuples ,  soit  entre  un  petit  
 nombre de guerriers charges,  par un commun accord, de défendre seuls les intérêts  
 de leur parti;  soit  entre  deux braves,  à  la  vue  des  années  ennemies,  par simple  
 ostentation  de  courage. Mais ces  faits  d’armes  ne  peuvent  se  confondre avec  le  
 duel  tel  qu’il  existe  chez  nous  depuis un  temps  immémorial,  pour  des  injures  
 personnelles. 
 L’intérêt de  leur sûreté porte les  cheykhs Arabes à étudier  le caractère des  souverains  
 des nations voisines,  et  nous  avons  été  souvent  étonnés  de  la justesse  de  
 leurs  jugemens.  Ils négocient  avec  une  sorte  de  dignité,  et  savent défendre  leurs 
 {•i)  Nombres,  chap. x x x v » 
 droits 
 droits avec une  adresse, une  finesse.tçfiplomatique, que  ne désavoueroient pas  nos  
 politiques  consommés.  Nous  les  avons  souvent  accusés  de  mauvaise  foi;  mais  
 sait-on  si  quelque acte  hostile  de  notre  part  envers  des  tribus  amies,  toujours  
 très-difficiles  à  distinguer  de  celles  qui  étoient  encore  en  guerre  avec  nous,  ne  
 leur  donnoit pas  de  justes  raisons  de  reprendre  les  armes !  J’ai  plusieurs  fois  été  
 témoin  de  ces  malheureuses méprises,  et je me souviens, entre autres,  que,  traversant  
 l’Ouâdy-Toumylât avec  un  détachement  d’infanterie,  notre  avant-garde  
 rencontra, vers la fin du  jour,  un Arabe Bédouin  assis à terre  avec  deux femmes.  
 Auprès de lui étoient son cheval et ses armes, et non loin de là paissoient quelques  
 boeufs  et quelques moutons.  Surpris à l’improviste, cet Arabe  eut encore  le temps  
 de  sauter  sur son  cheval : mais  il  ne  se sauva  point;  il  s’empressa  de  faire  à  nos  
 soldats  ce  signe  d’amitié  qui  consiste à  rapprocher  l’index  de  chaque  main,  en  
 prononçant saonâ, saouâ  (i). Ce fut en  vain  :  nos soldats, excités par un  janissaire  
 Turc  qui nous  servoit  de guide,  insultèrent ses femmes,  coururent après  ses  bestiaux, 
   et un  coup de fusil dirigé  contre lui  le  décida à  la fuite.  Piquant  des  deux,  
 il s’élança dans  le désert,  en  écartant  de  sa  lance  ceux  qui  l’entouroient  :  on  lui  
 tira  plusieurs  coups  de  fusil ;  aucun  ne  l’atteignit.  Le  bruit  de  cette  fusillade  fit  
 hâter le  pas  au reste  de  la  troupe;  j’étois  à  cheval,  je  devançai  tous  les  autres,  
 et  j’atteignis bientôt  l’avant-garde. 
 Pendant  que  je m’informois de  ce qui s’étoit  passé, mon  domestique Egyptien  
 me montrant de la main aux deux femmes Arabes, leur dit :  « Adressez-vous à celui-  
 »  là, il vous protégera»  ; et à l’instant elles se pressèrent autour de moi, baisant en  
 suppliantes les pans de mon habit. Je les rassurai, et parvins, avec les autres officiers  
 qui  arrivaient,  à  rétablir  l’ordre.  Le  janissaire  dont  j’ai  parlé  nous ayant  assuré  
 que  le  Bédouin  qui  s’étoit  sauvé  appartenoit  à  une  tribu  ennemie,  nous  nous  
 emparâmes  de  son  troupeau,  et  emmenâmes  ses  femmes  pour  les  remettre  au  
 cheykh du premier village que nous rencontrerions. Durant le reste de la marche,  
 je m’aperçus  que notre  janissaire  excitoit  les  soldats  à  être  sans  pitié pour  leurs  
 prisonnières,  et vouloit  enlever à  ces  infortunées  le peu  d’effets  qu’elles avoient  
 conservés : je fus obligé de le menacer d’un châtiment sévère, pour lui faire cesser sa  
 lâche  persécution. La nuit venue,  nous nous  arrêtâmes,  et le lendemain,  comme  
 nous nous  disposions  à  quitter notre  bivouac,  nous vîmes arriver  les  cheykhs des  
 Toumylât,  tribu alors en paix avec nous : ils avoient avec eux le Bédouin que nous  
 avions  attaqué  la  veille,  et  ils  se plaignirent à  nous  de  notre  injuste  agression,  
 avec  plus  de modération  que  nous n’étions  en droit  de l’attendre.  On s’empressa  
 de  leur  donner  toutes  les satisfactions possibles  :  la plupart  des bijoux volés  aux  
 deux  femmes  furent  retrouvés  sur  le  janissaire,  qui  reçut  de  suite,  en  présence  
 des Bédouins,  un  certain nombre  de  coups  de  bâton ;  les  bestiaux furent  rendus  
 ou  payés,  et  les  cheykhs  Arabes,  après  avoir pris  avec nous  quelques  tasses  de  
 café,  s’en  retournèrent  fort  contens.  Mais,  je  le  demande,  si  ces  Bédouins,  au  
 lieu  de  venir  franchement nous  parler  de  leurs  griefs,  avoient massacré  ceux  de 
 ( i )  Ensemble,  ensemble.  
 É.  M. H h h h