Il
III
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Article III.
Sens allégorique et emblématique que les anciens. Egyptiens attachèrent à la
représentation des diverses formes du Canon. Application que ces peuples,
et plusieurs anciens philosophes Grecs après eux, firent de ces sortes d’ins-
trumens dans la démonstration de l’Harmonie céleste. Motifs du sens allégorique
qu’on attacha à la représentation du Canon.
De même que le canon trichorde, ou la lyre antique à trois corcîes de Mercure,
fut vénéré comme un emblème des trois saisons (i) qui partagent l’Égypte,
le canon dichorde put être aussi l’emblème du jour et de la nuit, ou des deux
moitiés de l’année, pendant la durée de chacune desquelles le soleil passe d’un
tropique à l’autre ; ce que les anciens exprimoient aussi par la fable allégorique
de Proserpine qui passoit six mois dans les enfers avec Pluton (ce temps étoit celui
que le soleil ou plutôt que la terre met à passer de l’équateur au tropique du capricorne,
et à revenir de là à l’équateur), et six mois sur la terre avec sa mère Cérès
(cest le temps qu’emploie le soleil à passer de l’équateur au tropique du cancer ,
et à revenir de ce tropique à l’équateur). Or, quand on réfléchit que les anciens
Egyptiens (au rapport de Platon et de Plutarque), dans la vue d’unir par un lien
commun toutes les connoissances humaines, et d’en former un seul système où
chacune d’elles pût acquérir une plus grande évidence, étant éclairée par l’éclat
des autres ; quand on se rappelle le soin scrupuleux qu’ils prenoient à rattacher
tout à un seul et même principe, et à ne laisser échapper aucun des rapports
communs que les sciences et les arts ont ou peuvent avoir entre eux, soit qu’ils
considérassent leurs rapports directs et naturels, soit qu’ils envisageassent ceux que
leur prêtoit le génie allégorique de ces temps reculés, on doit bien présumer que
le monochorde, comme étant le prototype de tout le système de l’harmonie
musicale, put devenir, par analogie, l’emblème de tout le système de l’harmonie
universelle et astronomique. Cela paroît même d’autant plus certain, que Pythagore
et Platon, qui puisèrent à l’école des prêtres de l’antique Egypte leur philosophie,
et qui y étendirent et perfectionnèrent toutes leurs connoissances, étoient persuadés
aussi que les principes fondamentaux de la musique avoient une très-
grande affinité avec ceux de l’astronomie ; qu’ils pensoient même qu’on étoit
plus capable de se livrer avec succès à l’étude de cette dernière science, quand
on possédoit bien la première. Mais, afin qu’on ne nous attribue pas une semblable
idée, qui, sans doute, doit paroître absurde et chimérique à bien des gens,
et sur-tout à ceux qui renferment la science musicale dans les étroites limites où
l’ignorance et la routine l’ont resserrée parmi nous aujourd’hui, nous rapporterons
littéralement un passage fort curieux du vn.e livre de la République de Platon, où
il s’agit des rapports qu’ont entre elles la musique et l’astronomie, et des secours
qu’on peut obtenir des principes de la première de ces deux sciences pour
- (i) Orphei hymn. Apollinissujfimentum mannam. Diod. Sic- Bibiwth. histor. Iib. I , cap. XVI, p. 48 ; Bipond,
*'793* Gr. et Lot.
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démontrer la seconde. L’entretien roule entre Socrate et Glaucus sur les sciences
qu’il convient d’admettre dans une république, et Socrate range la musique au
nombre de ces sciences. Le peu que nous allons en extraire fera aisément juger
du reste.
« Socrate. Mais quelle est, parmi les sciences qui doivent nous convenir, celle
» que vous pourriez citer !
> Glaucus. Ma mémoire ne m’en présente point en ce moment.
» Socrate. Cependant le mouvement nous en offre, non une seule, mais de
»"plusieurs espèces.
» Glaucus. Quelles sont-elles !
» Socrate. D’abord il y en a une analogue à l’astronomie et également im-
» portante.
» Glaucus. Quelle est-elle enfin!
» Socrate. De même que les yeux sont faits pour observer l’astronomie, les oreilles
» paraissent constituées de manière à saisir aussi les mouvemens harmoniques:
» c’est pourquoi les Pythagoriciens pensent que ces sciences (la musique et l’as-
» tronomie) sont soeurs, et nous le reconnoissons comme eux. »
La certitude que nous avons qu’on a comparé de temps immémorial l’harmonie
céleste à l’harmonie musicale, qu’on a fait correspondre les sept planètes
aux sept sons de la musique (1), qu’on a représenté les saisons par les cordes de_
la lyre, et ce que nous apprend ici Platon, qui tenoit des Égyptiens ses opinions
philosophiques, nous autorisent donc à croire que le monochorde que nous avons
vu parmi les emblèmes sacrés sculptés sur les temples antiques de la haute Egypte,
étoit employé là non-seulement comme instrument de musique, mais encore
comme un emblème de l’harmonie des mouvemens du ciel, des révolutions périodiques
des saisons, et des distances respectives des astres entre eux, puisque tous
les mystères et toutes les allégories avoient pour unique objet d’étendre et de
perpétuer la connoissance des lois de la nature par une étude constante et réfléchie
et par des observations continuelles. C’est, on n’en peut douter, sous ce
double rapport que Pythagore recommandoit expressément à ses disciples d’avoir
sans cesse recours au monochorde : car, selon l’opinion de ce disciple des prêtres
de l’Egypte, les mouvemens célestes formoient une harmonie sensible qui étoit du
ressort de la musique; et c’est encore sur ce même principe que Panacme, philosophe
Pythagoricien, a dit depuis (2), que le devoir d’un musicien étoit, non-
seulement d’ordonner des sons entre eux, mais encore d’étudier et de suivre
les lois de l’harmonie dans tout ce qu’embrasse la nature.
f i ) L’usage de faire correspondre les consonnances et Sola nu rem arspreedicta ( musica scilicet ) per omnem,
les sons du système musical à l’harmonie céleste et aux ut breviter dicamus, materiem est extensa, ac per omne
planètes, s’est perpétué chez les musiciens Grecs et chez vagatur tempus, tum animant harmonies ornamentis con-
ies musiciens Latins; on en retrouve encore des traces decorando, tum corpus decoris rhythmïsconfonnando; cum
jusque vers le huitième siècle de I’ère Chrétienne. et pueris apta sit, ob ta quæ ex cantu habentur commoda/
(2) Voici ce que nous rapporte à ce sujet Aristide- et oetate proficientibus, tum modulatoe dictionis , tum
Quintilien, dans son Traité'dela musique, liv. i , p. z summatim orationis ornais tradat ornamenta ; provectis
etj, édit. de Meibomius, in-eff, Amstelodami, 1652,011 deinde, et numerorum exponat naturam, proportionum-
on lit ce passage remarquable : que varietatem; harmonies vero quæ fer ¡sens in omnibus