Etat actuel du lac Menzaleh.
Le lac Menzaleh est compris entre deux grands golfes découpés chacun en
d’autres petits golfes, et une longue bande de terre basse et peu large, qui le
sépare de la mer. Les deux golfes, en se réunissant, rentrent sur eux-mêmes, et
forment la presqu’île de Menzaleh, à la pointe de laquelle se trouvent les îles
de Mataryeh, les seules du lac qui soient habitées. La plus grande dimension du
lac, dans la direction ouest-nord-ouest, est d’environ 83,850 mètres [43,000
toises]; elle s’étend de Damiette à Péluse : sa plus petite dimension, sur une
direction perpendiculaire à la première, en partant de Mataryeh, est de 17,000
mètres [8,722 toises].
Les îles de Mataryeh sont très populeuses. Les cahutes qui recèlent leurs
habitans, bâties de boue, ou partie en briques et partie de boue, couvrent entièrement
leur surface. Dans l’île de Myt el-Mataryeh, les cahutes sont pêle-mêle avec
les tombeaux; elles paroissent plutôt des agglomérations de tanières que des habitations
d’hommes. La population de ces îles comprend, outre les femmes et les enfans,
onze cents hommes occupés à la pêche, et à la chasse des oiseaux aquatiques.
Ils sont sous l’autorité de quarante chefs; et ceux-ci dépendoient de Haçan-
Toubâr, qui avoit la pêche du lac Menzaleh sous la redevance qu’il faisoit aux
heys: il étoit en outre un des plus riches propriétaires de l’Egypte, et peut-être
le seul qui eût ose accumuler des biens-fonds aussi considérables que ceux qu’il
avoit. Sa famille étoit de Menzaleh ; elle comptoit quatre à cinq générations de
cheykhs. L’autorité de Haçan-Toubâr étoit très-considérable; elle étoit fondée sur
son crédit, ses richesses, une nombreuse parenté, la grande quantité de salariés
qui dépendoient de lui, et l’appui des Bédouins, auxquels il donnoit des terres
à cultiver, et dont il combloit les chefs de présens. Ces diverses populations
d’Arabes pouvoient se rendre dans le canal de Moueys par le canal de Sâlehyeh,
qui en est dérivé, et de là déboucher dans le lac, pour se joindre aux habitans de
Menzaleh et de Mataryeh.
Ces derniers, avec de pareils voisins, et seuls propriétaires d’environ cinq à six
cents barques qui naviguent sur le lac Menzaleh, étoient les tyrans du lacet des pays
riverains. Leur commerce consiste en poisson frais, poisson salé, et houtargue. La
pêche du mulet, dont les oeufs donnent la houtargue, se fait près de la bouche de
Dybeh : quarante à cinquante pêcheurs habitent pour lors, avec leurs familles, sous
des cabanes en nattes, aux pointes des îles qui avoisinent cette bouche.
Les pêcheurs du lac Menzaleh et les Bédouins des villages sont très-cupides,
et profondément ignorans. Ils ne connoissent point la division du temps en heures,
ni, comme les Arabes du désert, par la mesure de leur ombre. Le lever, le coucher
du soleil, et le milieu du jour, sont les seules parties qu’ils distinguent dans
les vingt-quatre heures; et c’est en les supposant placés chez eux, et en rapportant
à ces divisions l’estime des distances, qu’on peut obtenir quelques renseignemens
sur la position des lieux de leurs cantons.
Menzaleh, qui à donné son nom au lac, est une ville peu considérable, en
partie ruinée, située sur la rive droite du canal d’Achmoùn, à trois lieues de Mataryeh,
et six de Damiette; sa population est à-peu-près de deux mille habitans :
on y trouve des manufactures d’étoffes de soie, et de toiles à voiles, qui fournissent
à Mataryeh ; elle a des teintureries, et quelques autres fabriques de peu
de conséquence.
On voit dans le lac Menzaleh des îles anciennement habitées, couvertes de
décombres : elles présentent un relief assez considérable au-dessus de l’eau ; ce qui
leur frit donner par les habitans le nom de montagnes (1). Nous ferons voir plus
bas que ces îles étoient des villes qui appartenoient à un continent qui a été
submergé.
Les îles de Tennys et de Tounah paroissent être les plus considérables. La
première a conservé son ancien nom; celle de Tounah a pris celui de Cheyhh-A 'bd-
allah, du nom d’un cheykh ou santon auquel on a élevé un tombeau dans cette île.
D après l’observation de M. de Volney, les dénominations de cheykh, santon, fou ,
imbécille, sont synonymes. Les santons, ces personnages qui fixent pendant leur vie
letonnement des peuples de l’Asie par la sombre extravagance de leurs actions,
ont après leur mort des tombeaux révérés, parce qu’ils excitent le zèle des fidèles,
et que la piété y dépose quelques aumônes pour les pauvres. Nos chapelles, nos
oratoires isolés dans les campagnes ou sur les routes, avec leurs troncs, leurs
lampes solitaires, et les images tracées sur leurs murs par le pinceau de la superstition
, n’avoient-ils pas le même objet î
Les îles du lac Menzaleh, qu’on voit à fleur d’eau, sont incultes, stériles, et 1 on n’y trouve d'autres productions que des plantes marines. Quelques-unes ont
des tombeaux de santons, qui, sur cette surface unie, sont les seuls points de
repère que nous ayons pu trouver pour la construction de notre carte.
Les eaux du lac Menzaleh ont une saveur moins désagréable que celles de la mer.
Elles sont potables, pendant 1 inondation du Nil, à une assez grande distance de 1 embouchure des canaux qui, tels que celui de Moueys, se déchargent dans le lac.
On les trouve légèrement saumâtres, ou d’un goût fade, sur les bords où pénètrent
les eaux qui découlent des rizières.
Les eaux du lac sont phosphoriques.
Lair du lac est très-sain : il y a plus de trente ans que les habitans de Mataryeh
n’ont point eu la peste dans leurs îles.
La profondeur générale du lac Menzaleh est d’un mètre : on trouve depuis deux
jusquà cinq mètres deau dans la direction des anciennès branches Tanitique et
Mendésienne.
Le fond du lac est d’argile mêlée de sable, aux embouchures;.de boue noire,
dans les canaux de Dybeh ou d’Omm-frreg ; de vase, ou de vase mêlée de
(1) Ils disent la montagne de Tennys, la montagne de Tounah, la montagne de Samnalu