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insurmontable de former d’autres établissemens ne put foire éviter : ajoutez à cela
que les blesses occupoient les salles du rez-de-chaussée, dont l’humidité fovorisoit
le développement de la maladie.
En effet, les troupes qui fournirent ces blessés, étoient campées à l’ouest du
Kaire, entre cette ville et Boulâq, dans des lieux bas et humides, remplis d’émanations
putrides, sur-tout depuis la retraite des eaux du Nil, qui s’y étoient décomposées
en raison de la chaleur et du séjour qu’elles y avoient feit. Le passage subit
de la chaleur brûlante du jour à l’humidité que les soldats éprouvoient pendant
la nuit, devoit nécessairement les affoiblir et les disposer à la maladie. L’atmosphère,
dans cette saison, celle du khamsyn, est chaude et humide, et par conséquent
pernicieuse à la santé des individus. C’est aussi alors que règne la peste;
et 1 on peut dire que la fièvre jaune, sous le rapport de ses effets et de sa prompte
terminaison, a quelque analogie avec ce fléau.
Le célèbre physicien Humboldt, qui a eu occasion de voir ces deux maladies,
la première en Turquie, en Egypte et en Afrique, et la deuxième sur les bords
de 1 Orénoque, a fait la meme remarque. Si l’on suit les phénomènes de ces deux
affections, en supposant qu’elles soient aiguës et attaquent des personnes du même
âge, du meme sexe et du même tempérament, on verra que, dans la première-
période , 1 anxiété, le trouble, 1 inquiétude du malade, les douleurs des lombes et
des hypocondres, les vomissemens, la rougeur de la conjonctive, la chaleur brûlante
des entrailles, la sécheresse de la peau, la dureté et la fréquence du pouls,,
sont, à quelques variations près, les mêmes dans la peste et dans la fièvre jaune.
Dans la seconde période, la prostration, l’assoupissement interrompu par des accès
de defiie, 1 altération sensible des fonctions intérieures, caractérisée par la dyspnée,
les palpitations, les vomissemens convulsifs de matières noirâtres et nauséabondes,
d abord la suppression des évacuations alvines, puis les déjections involontaires et
colliquatives , 1 irrégularité du pouls, sont les symptômes quelquefois communs
à ces deux maladies. Dans cette période, l’une se caractérise par une couleur jaune ’
qui se manifeste et se répand sur toute l’habitude du corps; l’autre, par des taches
livides, des petéchies, des charbons ou des bubons qui peuvent également survenir
dans la fièvre jaune, mais beaucoup plus tard ; et cette circonstance est fort
rare. Dans la troisième période, il y a disparition presque totale des fonctions de
la vie animale: les sphincters ont perdu leur action, les déjections sont forcées;
1 affection gangréneuse se déclare dans les solutions de continuité, s’il en existe,
ou elle attaque le tissu cellulaire et cutané, et successivement tous les organes.
Aux causes que nous avons déjà citées, on peut ajouter les fotigues excessives
du soldat, la disette des vivres de toute espèce, le défaut de boissons acides, et
le manque de capotes pour se couvrir la nuit.
La reddition du Kaire ayant rétabli toutes les communications , nous mit en
état de former de nouveaux hôpitaux, de nous procurer de bons alimens, des
medicamens, du linge et des fournitures de lits : nous évacuâmes une grande
partie de nos malades sur d’autres établissemens. Ces circonstances et le retour
des vents du nord firent disparaître presque entièrement la maladie.
Lorsque la fièvre jaune étoit aiguë et préscntoit les symptômes d’une fièvre
inflammatoire avec ictère, vomissemens spasmodiques, délire, &c. &c. les ventouses
scarifiées à la nuque et sur les hypocondres produisoient de très-bons
effets (i) ; à leur défaut, on foisoit une petite saignée au bras : les saignées copieuses
sont mortelles, et même l’on ne doit pratiquer la première qu’avec beaucoup de
circonspection.
L’eau de tamarin nitrée et édulcorée avec le sucre ou le miel, quelques verres
d’émulsions camphrées, nitrées et anodines, pris la nuit, calmoient la soif et
apaisoient l’irritation intestinale. Si à l’aide de ces remèdes la détente s’opéroit
dans les premières vingt-quatre heures, on avoit beaucoup à espérer ; dans cette
circonstance, on continuoit l’usage des rafraîchissans, des anodins, des antispasmodiques
, suivis des laxatifs, des toniques et antiputrides par degrés : les
émétiques auroient été pernicieux. Mais si, malgré tous ces moyens, les accidcns
persistoicnt, la maladie avoit une issue funeste.
Lorsqu’au contraire la maladie commençoit par des symptômes ataxiques, tels
que la prostration, l’assoupissement, les frissons, la teinte noirâtre de la langue
et la constipation, une boisson légèrement émétisée et la limonade minérale
sulfurique dissipoient le spasme, et rétablissoient les forces de l’estomac ; nous
employions ensuite les toniques et antiseptiques avec quelque succès, tels que le
quinquina (2), le camphre combiné avec l’opium, la liqueur minérale d’Hoffmann,
et les amers aux doses convenables : on insistoit sur ces moyens, dont on modi-
fioit 1 usage, tout le temps de la maladie. Le garou, et la moutarde pilée avec le
vinaigre, appliquée sur les hypocondres ou sur le dos, secondoient efficacement
ces remèdes. C’est dans cette maladie que j’ai remarqué le mauvais effet des can-
tharides : aussi me suis-je fort peu servi de vésicatoires.
Les plaies compliquées de ces fièvres bilieuses étoient pansées suivant l’indication
particulière : on les saupoudrait de camphre et de quinquina, lorsqu’elles
étoient menacées de gangrène; et lorsqu’elles prenoicnt un caractère de putridité,
on employoit les acides végétaux, sur-tout les citrons, abondans en Égypte.
Tous ceux qui ne succombèrent pas à la fièvre jaune, eurent une convalescence
longue et pénible ; quelques-uns même éprouvèrent des rechutes, et périrent en
Tort peu de jours. Elle n’épargna point les blessés des Turks. Invité par le général
en chef, après la reddition du Kaire, à leur donner des soins, je les fis réunir
dans une grande mosquée, pour les panser plus commodément. Une partie des
blessés attaqués de cette maladie en furent les victimes. On peut attribuer ce fâcheux
résultat au mauvais traitement qu’on leur avoit foit suivre, et aux privations
qu’ils avoient supportées pendant le siège.
(1) Les sangsues à la marge de l’anus auroient sans nous a été d’un grand secours, et nous l’avons employé
doute ete employées avec le même avantage, si l’on avec de grands avantages, sur-tout lorsque la maladie
avoit pu s en procurer. avoit passé sa seconde période, que la crise étoit faite, ou
(2) Le quinquina m’a paru produire moins d’effet que que le mal étoit sur son déclin; il hâtoit, dans ce cas, le
le bon vin coupé avec de la limonade sucrée. Le café retour des forces vitales, et nourrissoit le malade.