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l’instrument, de l’observation, de la manoeuvre des mires, de la lecture des résultats
sur ces mires, de leur inscription sur le registre, et enfin du calcul pour le rapport
des cotes au plan de comparaison : est-il une source d’erreurs aussi considérable
dans toutes les autres opérations qui exigent l’emploi des instrumens ! Un doute
est un motif suffisant pour reprendre l’opération jusqu’à son origine; aussi plusieurs
fois n avons-nous pas hésité de remonter à plus d’une lieue pour dissiper des doutes
de cette nature : ayant fait deux fois le nivellement du Mouqfiîr à Saba’h-byâr,
dont la distance est de 4o4° mètres, nous n’avons trouvé dans les deux résultats
qu’une différence d’un pouce et demi ; différence qui, répartie sur les' onze coups de
niveau entre ces deux points, donne seulement une ligne ~ pour chacun d’eux.
Cet aveu fait assez voir combien nous avons dû mettre de soins pour nous
affranchir de toute espèce d’inquiétude, et pour acquérir dans nos résultats la confiance
que nous voulions nous-mêmes inspirer. Cette opération étoit longue et
pénible : néanmoins elle devoit être accélérée par diverses considérations; car les
ennemis fàisoient de fréquentes excursions, et l’Isthme pouvoit devenir le théâtre
des premières actions : l’activité étoit encore nécessaire à cause de nos escortes,
qui, placées au coeur des déserts, y éprouvoient tous les besoins, et ne recevoient
que de mauvaise eau, que nous ne pouvions même leur distribuer qu’avec une
sévère économie.
L’importance et les difficultés d’une semblable opération, qui n’a pu être vérifiée
par une seconde, nous font donc un devoir de rassembler sous un seul point
de vue toutes les circonstances qui peuvent en établir et attester la précision. Pour
remplir toutes ces conditions d’exactitude et de célérité, nous nous sommes
assujettis à une marche simple et constante. L’ingénieur attaché au niveau prenoit,
à chaque station, les résultats recueillis par deux autres ingénieurs qui dirigeoient le
maniement des mires d’avant et d’arrière, et tous trois se les communiquoient
respectivement à chaque coup de niveau.
L’ordre du registre étoit te l, qu’au moyen d’une addition ou d’une soustraction
on savoit, à chaque station, les hauteurs respectives du terrain pour chacun des
points sur lesquels on avoit opéré; elles s’y trouvoient comparées à la haute mer
de vive-eau, repérée à l’embouchure du canal à Soueys. Enfin un quatrième ingénieur
relevoit au graphomètre tous les points de station, et formoit la topographie
de la partie de l’Isthme qui devoit se rattacher aux lieux déjà déterminés par
les observations astronomiques du Kaire, de Belbeys, et des bouches du Men-
zaleh. Mais le succès de ce travail dépendoit encore de la bonté de l’instrument
que nous devions y employer.
L’avantage essentiel de celui dont nous nous sommes servis, c’est qu’il se vérifie
par lui-même à chaque opération, de sorte qu’il n’apporte aucune erreur dont,
pour ainsi dire , il n’avertisse en même temps : telle est l’utilité qui résulte du
système des deux lunettes de cet instrument. En effet, à chaque station, après
l’avoir posé entre les deux mires, la bulle étant de niveau et les deux lunettes croisées
en sens contraire, on fixoit avec l’une la mire d’avant, et avec l’autre celle
d’arrière; ensuite on retournoit le niveau; et il suffisoit qu’une des deux lunettes
rencontrât
rencontrât le même point de la mire que l’autre venoit de déterminer, pour que
l’instrument fut vérifié: s’il avoit éprouvé quelque dérangement, on le rectifioit.
Toutes ces conditions étant remplies,.on étoit sûr du coup de niveau donné,
pourvu qu’il n’y eût pas de faute.dans la manoeuvre des mires, ou d’erreur dans la
lecture des cotes indiquées; aussi les avons-nous constamment suivies et observées
nous-mêmes : mais il falloit encore qu’elles eussent été vues bien nettement avec
les lunettes; et cette condition essentielle, jointe à l’impossibilité de bien s’entendre
à de grandes distances et de franchir les inégalités du terrain, devoit fixer la portée
de nos coups de niveau. Cette portée a communément été réduite entre 3 et 4oo
mètres : plus loin, la vue étoit troublée par les fortes ondulations que fàisoient
éprouver aux lignes de graduation de nos mires les vapeurs qui existent toujours
dans les parties basses de l’atmosphère ; et ce n’étoit que pendant les trois premières
et les deux dernières heures de la journée, que nous pouvions aisément nous
étendre jusqua600 mètres de chaque côté. Enfin, d’après cet état de choses, nous
n’avons jamais pu niveler plus de deux à trois lieues par jour (i) ; et cette limite
de la portée de nos stations est la première et la principale cause des obstacles
physiques que nous avons rencontrés.
Une autre cause d’erreur qu’il importoit aussi d’éviter, c’étoit la réfraction;
phénomène si difficile à bien apprécier, lorsqu’on veut avoir égard aux variations
produites par les changemens de température et la différence des distances
où l’on observe : le moyen le plus simple et le plus sûr de remédier à ces incon-
véniens étoit de placer toujours le niveau à des distances égales des deux mires.
On verra, dans le registre du nivellement, que nous avons rigoureusement suivi
cette loi dans notre premier voyage, quoique les inflexions du canal et les acci-
dens du terrain, toujours assez sensibles à de grandes distances dans le désert le
plus uni, nous forçassent, ou à les resserrer considérablement après les avoir mesurées,
ou à poser et déplacer l’instrument à plusieurs reprises; ce qui apportoit
des lenteurs toujours pénibles, dans des marches aussi difficiles.
'Mais dans le second voyage, et sur-tout dans le troisième, où des incidens de
toute espèce nous ont fait craindre de ne pouvoir jamais achever notre entreprise,
nous avons été obligés d’abandonner assez souvent cette méthode infaillible, mais
trop lente, et nous nous sommes plus ordinairement arrêtés aux positions déterminées
par le relief du terrain que nous devions franchir, pour ne pas trop multiplier
les stations et pour leur donner plus de portée (2). Cependant nous n’avons
cédé à ces considérations qu’avec circonspection, n’admettant jamais des différences
de distances trop considérables : au-delà de 30 mètres, leur nombre est
de plus en plus rare; et quelquefois seulement elles ont surpassé 100 mètres.
(1) Les nivellemens portant un développement de 60 été affranchi des difficultés inséparables de l’état de guerre,
lieues, entre le Kaire, Péluse et Soueys, n’ont exigé que (a) L e nombre des stations où les coups de niveau
25 jours de travail effectif; mais les reconnoissances, les d’avant et d’arrière ont porté sur des distances inégales,
contre-temps et les ntarchesrétrogradesontportécetemps, est de 3 9 , sur les 342 auxquelles a donné lieu le nivel-
pour six voyages, à plus de 100 jours. Nous desirions Iement de Soueys à la Méditerranée, sur un dévelopfatre
la vérification de cette grande opération, que nous pement de 180,852 mètres [92,790 to is e s ], équivaaurionspu
effectuer en un mois, dans un temps où l’on eût lens à 40 lieues 4 de 2283 toises.
É . A I. IC