La difficulté de pénétrer à la vallée de Natroun avoit éloigné toutes les occasions
d’observer les lacs, en sorte que leur exploitation n’étoit dirigée sur aucune
règle. Les bords des lacs sont couverts, comme nous l’avons déjà dit, de masses
■de cristaux auxquelles on ne touche point, et dont on pourroit cependant tirer
un grand parti ; car il y en a une immense quantité. On n’exploite dans ce moment
que le lac n.° 4- Les hommes entrent nus dans l’eau, brisent et arrachent le
natroun avec une pince de fer ronde , du poids d’environ soixante livres, formée
à un des bouts en champignon, et terminée de l’autre en pointe acérée ils ne
font aucune attention à celui qui est à la surface du terrain , et qu’on pourroit
enlever avec beaucoup moins de peine. C ’est un spéctacle assez bizarre de voir
ces Egyptiens noirs ou basanés sortir blancs de sel de cette opération.
Commerce du natroun. —- La mise dans le commerce du natroun dépendoit
également d analyses qu’on n’étoit point en état de faire, et d’une sorte d’activité
et de soins dont on ne se piquoit pas dans un pays où les gains de l’industrie étoient
en proie aux avanies des gouvernans. On laissoit subsister dans le natroun le
mélangé de differens sels avec la soude, principalement celui du sel marin, d’où
il resultoit une augmentation de poids préjudiciable au transport. D’un autre côté,
les fabricans de Marseille se plaignoient qu’ils éprouvoient des pertes considérables
, en ce que les chaudières se détérioroient par les cuites. On commençoit à
regretter la soude d Alicante; et l’Égypte étoit au moment de perdre ce débouché
en Europe, lorsque la guerre survint, et rendit les communications plus difficiles.
Cest dans les années 1788, 1789 et 1790, que les négocians de Marseille, se
livrant a 1 engouement dune spéculation nouvelle, importèrent en France une
quantité considerable de natroun, dont une partie est restée dans leurs magasins.
Lexportation du natroun a 1 étranger avoit lieu sur Venise, la France et l’Angleterre.
Les demandes pour la France et l’Angleterre étoient à-peu-près les
mêmes; Venise ne tiroit que le cinquième de ce qui étoit demandé par le commerce
des deux autres pays.
M. Regnault s’occupe d’un objet bien essentiel, celui de séparer en grand la
soude contenue dans le natroun, afin de l’offrir au commerce dans son plus grand
état de pureté; ce qui, en augmentant de très-peu les frais d’exploitation, doublera,
avec les memes moyens, les produits et la valeur de la soude. Dans
quelques especes de natroun, le sel marin se trouve compris entre deux couches
horizontales de soude, en sorte que le premier pourroit être en quelque sorte
détaché par une opération mécanique.
Le commerce du natroun, dans 1 Egypte devenue colonie, dépendra donc de
deux considérations essentielles :
1. De la libre exploitation des lacs. Cette exploitation sera favorisée par des
escortes, par des dispositions militaires, telles que le rétablissement du Qasr, 1 occupation des couvens Qobtes, &c. et parce que les Arabes, mieux connus,
seront moins à craindre.
2. Du choix et de 1 épuration du natroun. Les établissemens pour l’épuration
du
du natroun devront être faits dans les endroits les plus rapprochés des lacs, tels
que le Qasr et Terrâneh.
Productions des trois régnés dans la vallée. — Les lacs de Natroun possèdent sur
leurs bords des roseaux, des joncs plats en très-grande abondance, et d’autres
productions du règne végétal ; le vert de ces plantes contraste d’une manière
piquante avec la blancheur des cristaux de sel, et la couleur terne et grise des
graviers du désert.
On voit près des-lacs, le roseau à tige élevée (i), la statice sans feuilles (2), le
tamarisc de France (3), l’armoise maritime (4), le jonc épineux (y), et la massette
à larges feuilles (6) : cette plante Européenne, qui croît en France dans les étangs,
est une des plus abondantes au bord des lacs de Natroun. On y trouve le grémil
à feuilles étroites (7), le zygophyllum à fleurs blanches (8), la fagonia à feuilles
ternées (9), la suoeda vera (10), espèce de soude, ainsi appelée attendu que les
Arabes la nomment souhed. On y voit aussi quelques palmiers qui s’élèvent peu,
forment d’épais buissons, et ne portent point de fruit. Nous avons trouvé, un
peu au-delà du dernier lac, une vingtaine de palmiers hors de terre, réunis confusément
en un tas, et qu’on diroit avoir été arrachés et fracassés par un mouvement
violent.
Les diverses espèces d’animaux n’y sont pas très-nombreuses. On y voit, dans la
classe des insectes, la pimélie épineuse f 11), le carabe varié (12) , la fourmi ordf
naire, une grosse fourmi à ailes , et une espèce de moustique dont la piqûre
occasionne des enflures considérables ; dans la classe des testacées, le colimaçon
de la petite espece; dans celle des quadrupèdes, le caméléon et les gazelles : ces
dernieres se décelent à l’empreinte de leurs petits pieds fourchus qu’elles laissent
sur le sable. Nous avons reconnu, parmi les oiseaux, la poule d’eau, le canard et
la sarcelle : ces.oiseaux y sont en très-grand nombre, sur-tout au dernier lac, qui
est le moins fréquenté.
On ne trouve dans la vallée des lacs de Natroun aucun reste d’anciens monu-
mens. Nous n’avons vu, au-delà du quatrième lac, que l’emplacement d’une verrerie
, que nous avons reconnue à ses débris de fourneaux en briques, et à des frag-
mens de scories et de verre dans différens états. Le local où elle étoit située ,■
fournissoit abondamment les deux matières propres à la fabrication du verre, le
sable quartzeux et la soude ; et le bois pouvoit ne pas être aussi rare dans la vallée
qu il y est aujourd hui. Nous ne saurions à quelle époque rapporter un pareil établissement.
Une médaille ou une pièce de monnoie que nous y avons trouvée,
auroit peut-etre pu nous donner quelque indication ; mais elle étoit oxidée au
point quil na pas été possible d’y rien déchiffrer.
( ') Arundo maxima, Fors. (5) Juncussp'imsus, Lin. (9) Fagonia scabra, Fors.
(2) Statut afhylla, Fors. (6) Typha latifolia, Lin. (10) Suxdavern, Fors.
(3) amarix Gallica, Fors. (7) Lilhospermum angustifillum,L in . (11) Pimelia muricata. (4) Artemisia mariiima , Lin. (8) Zygophyllum album, Lin. ( ,,) Carabut Wri,SatuS.
É. M.