Nous voyons d’abord les Phéniciens, qui, déjà maîtres de la Méditerranée, fei-
soient des courses au-delà du détroit de Gibraltar, s’emparer de plusieurs ports sur
la mer Rouge; aller chercher de là, dans l’Arabie et les Indes, de riches cargaisons;
les transporter par terre, des bords de la mer Rouge, à Rhinocolure (i) sur la
Méditerranée; ensuite, les amener à Tyr (2), et les répandre chez les autres
nations.
Les rois de la Palestine, voisins de la Phénicie,notamment Salomon, qui fut le
plus riche et le plus puissant d’entre eux, se réunirent aux Phéniciens pour partager
le fruit de ces expéditions. Us tenoient avec eux la même route pour commercer
en Arabie et sur les côtes orientales de l’Afrique, et jusque dans les Indes.
Les Egyptiens, auxquels leurs lois et la fertilité de leur pays inspiroient une
si grande aversion pour le commerce extérieur et la navigation lointaine, se réveillèrent
un moment de leur apathie, sous le règne de Sésostris.
Quand même on adopteroit les doutes qui ont été élevés, avec quelque fondement,
sur l’expédition de ce roi dans les Indes, on ne peut refuser de convenir,
au moins, que, sous ses deux successeurs Psammétichus et Nécos (3), le préjugé
national n’ait été surmonté (4), et qu’on n’ait eu le projet d’activer particulièrement
les relations avec l’Arabie et les Indes ; car on travailla alors à la construction d’un
canal qui devoit communiquer de la mer Rouge au Nil, ouvrage qui frit l’objet de
nos recherches. On voit, d’après ces observations, que c’est toujours la même
voie, c’est-à-dire, celle de la mer Rouge et de l’Isthme de Soueys, que suivoit,
dans ces temps reculés, le commerce de l’Inde.
Vers la même époque, les Persans y prenoient aussi une part très-active,
quoiqu’ils eussent pour la mer et les marins étrangers une forte antipathie, enfantée,
comme celle des Égyptiens, par des préjugés religieux : c’est elle qui les avoit
portés à fermer par des digues les embouchures du Tigre et de l’Euphrate.
Mais, en s’interdisant eux-mêmes ainsi l’entrée des Indes par le golfe Persique, ils
suivoient avec plus de constance et d’activité une autre route, plus longue, mais
plus sûre, pour y arriver: les marchandises étoient transportées, à dos de chameau
, des bords de l’Indus à ceux de l’Oxus, qu’elles descendoient jusqu’à la mer
Caspienne, d’où elles refluoient vers le nord ou le midi, au moyen des rivières
navigables que reçoit cette mer. Ce frit pour assurer et agrandir ce commerce,
que Darius fils d’Hystaspe , cherchant à établir sa puissance dans les Indes,
étendit ses conquêtes sur les bords de la mer Caspienne, de l’Oxus et de l’Indus.
II paroît qu’il eut, de plus, le dessein d’abréger le chemin que parcouroient les
marchands pour aller dans l’Inde, en leur faisant suivre dorénavant celui de la mer.
C ’est sans doute dans cette vue qu’il fit faire cette fameuse reconnoissance des
pays voisins de l’Indus, par le satrape Scylax, auquel il donna le commandement
d’une flotte équipée sur la mer Rouge, et qu’il s’occupa du projet de canal déjà
entrepris par les rois d’Egypte dans l’Isthme de Soueys.
(1) P';rojü)A»g5t, e l-A ’rych. le projet d’une expédition maritime autour des côtes de
(2) Sour. l’Afrique, et il fit exécuter ce voyage par des marins qu’il
(3) D e 83 à 140 d e R om e , 600 ans environ avant J .C . tira de la Phénicie.
(4) Selon Hérodote ( lib, I I , Euterpe), Nécos conçut
Deux siècles après (i), Alexandre, vainqueur des rois de Perse, les surpassa
encore par l’étendue de ses projets ; il voulut faire affluer le commerce des Indes
au sein de ses vastes états par deux canaux principaux : par le golfe Persique, il
vouloit, d’abord, le répandre dans le continent de 1 Asie, en lui faisant remonter
le Tigre et l’Euphrate, comme le prouvent cette belle expédition de Néarque sur
l’Indus et le golfe Persique , à laquelle il prit lui-même une grande part, et la démolition
qu’il fit faire des digues qui obstruoient les embouchures des deux fleuves ;
d’un autre côté, en construisant Alexandrie, qui devoit hériter du commerce et de
la splendeur de T y r , que le conquérant venoit de détruire, il vouloit que les richesses
de l’Inde, après avoir traversé le golfe Arabique et le territoire de I Egypte,
arrivassent dans ce nouveau port de la Méditerranée, d’où elles auraient ete répandues
chez tous les peuples qui habitent les bords de cette mer. Levenement
confirma la sagesse de ses dispositions, et Alexandrie fu t , depuis, le principal
entrepôt des marchandises de I Inde.
Ptolémée I.cr, fils de Lagus, en s’emparant d’une partie des conquêtes d’Alexandre,
s’appropria aussi ses projets d’établisscmens commerciaux. Son successeur, Phila-
delphe, leur donna encore plus de suite et plus d’éclat : on lui attribue la gloire
d’avoir achevé l’entreprise du canal de Soueys, dont nous avons déjà parlé. Quelque
succès qu’elle ait eu, on sait que Philadelphe préféra ensuite une autre voie pour le
commerce; celle deCoptos (2), sur les bords duNil, à Bérénice, sur la mer Rouge:
il fit même bâtir cette dernière ville, creuser des puits dans le désert, et construire
des mansions. On employoit douze jours à parcourir cette distance de 258 milles
Romains. Le commerce continua de suivre cette direction avec une grande activité
, et combla l’Egypte de richesses, tant qu’elle forma un royaume indépendant,
c’est-à-dire, pendant une période d’environ 250 ans (3).
Séleucus Nicanor, l’un des rivaux les plus puissans de Ptolemee dans les querelles
que fit naître le partage de l immense succession d Alexandre, et auquel la
Syrie étoit échue, s’efforça, de son côté, d’attirer le commerce de llnde dans ses
états par l’une des voies que nous avons déjà indiquées, celle de 1 Indus a I Oxus
et la mer Caspienne. Pour rendre cette route plus continue, il forma le projet
d’unir, par un canal, la mer Caspienne avec le Pont-Euxin.
Sous ses successeurs, les voyages de l’Inde par le golfe Persique, le Tigre,
l’Euphrate et la Mésopotamie , se prolongèrent à travers les déserts jusqua
Palmyre (4) , ville dont l’origine remonte à Salomon, et dont la splendeur se
maintint au plus haut degré jusqua sa ruine par Aurélien (j).
Bientôt après ces succès des Ptolémées et des Séleucides (6), Rome, maîtresse
(1) Vers l'an 418 de Rome , 332 ans avant J .,C . Kaire [I\Iasr-el-Qàhirah], â dos de chameau, ou bien
(2) Qobt. elles viennent directement par le retour de la grande
(3) Après la ruine de Coptospar Dioclétien, on suivit, • caravane de la Mekke [ Mekkeh ] .
selon Abou-l-fedâ, une route plus courte , celle de (4) Tadmor.
Qoçeyr à Qous ; et le trajet du désert ne duroit que (5) Cette voie n’est qu’une extension de celle de l in-
quatre jours: par la suite, les caravanes se dirigèrent térieur de la Perse, dont nous avons déjà fait mention,
vers Qené, comme elles font encore aujourd’hui; mais de même que celle d’AIep [H a le b ] , qui figure de nos
la plus grande partie des marchandises est transportée jours parmi les principales échelles du Levant,
maintenant par mer de Geddah à Soueys, et de là au (6) L’an 706 de Rom e , 44 ans avant J- U.