
 
        
         
		pour la. parole ,   s’il  ne  l’a  tout  auffi  beau  pour  le  
 chant ;  car  il  n’y   a  pas  une  telle  liaifon  entre  la  
 voix  parlante  &   la  voix  chantante,  que la beauté  
 de  l’une  fuppofe  toujours  celle  de  l’autre.  Si  l’on  
 pardonne à  un  acteur le  défaut  de  quelque  qualité  
 qu’il  a pu fe  flatter  d’acquérir,  on  ne  peut lui pardonner  
 d’ofer  fe  deftiner  au  théâtre,  deftitué  des  
 qualités naturelles  qui  y  font néceffaires ; telles  en-  
 t r ’aiitres  que  la  voix  dans  un  chanteur.  Mais  par  
 ce  mot  voix  j’entends  moins  la  force  du  timbre  
 que  l’étendue  ,  la  jufteffe  &   la  flexibilité.  Je penfe  
 qu’un  théâtre ,  dont l’objet  eft d’émouvoir  le  coeur  
 par  les  chants ,  doit  être  interdit  à  ces  voix  dures  
 &   bruyantes  qui  ne  font  qu’étourdir  les  oreilles.  
 &   que  quelque  peu  de  voix  que  puiffe  avoir  un  
 acteur, s’il  l’a  jufte ,  touchante  , facile, &  fuffifam-  
 ment  étendue,  il  en  a  tout  autant  qu’il  faut  :  il  
 faura  toujours  bien  fe  faire  entendre,  s’il  fait fe  
 faire  écouter. 
 Avec  une  voix  convenable  l'acteur  doit-l’avoir  
 cultivée  par  l’a r t ,  &   quand  fa voix n’en auroit  pas  
 befoin,  il  en  auroit befoin  lui-même  pour  faifir &   
 rendre  avec  intelligence  la  partie  muficale  de  fes  
 rôles.  Rien  n’eft  plus  infupportable &   plus  dégoûtant  
 que  de  voir  un  héros  dans  les  tranfports  des  
 pallions  les  plus viv es ,  contraint &   gêné dans fon  
 rô le ,  peiner  &   s’affujettir  en  écolier  qui  répété  
 mal  fa leçon ,  montrer  au lieu des  combats de  l’amour  
 &   de  la  vertu ,  ceux d’un mauvais chanteur  
 avec  la mefure &   l’orcheftre ,  &  plus incertain  fur  
 le  ton que  fur  le  parti  qu’il  doit  prendre.  Il n’y  a!  
 ni  chaleur  ni  grâce  fans  facilité ,  &   Y acteur, dont  
 le  rôle  lui  coû te,  ne  le  rendra  jamais  bien. 
 Il  ne  fuffit  pas  à  l'acteur  d’opéra  d’être  un  excellent  
 chanteur  ,  s’il  n’efl:  encore un excellent  pantomime  
 ,  car  il ne  doit  pas  feulement faire fentir ce  
 qu’il dit lui-même,  mais aufli ce qu’il  laifle  dire  à la  
 fymphonie.  L’orcheftre  ne  rend pas  un  fentiment  
 qui  ne  doive  fortir  de  fon  ame ;  fes  p a s,  fes  regards  
 ,  fon  gefte ,  tout doit  s’accorder  fans  ceffe  
 a v ec  la mufique , fans pourtant qu’il paroiflfe y   fon-  
 ger  ;  il  doit  intéreffer  toujours,  même  en gardant  
 le  filence  ,  &   quoiqu’occupé  d’un  rôle  difficile,  
 s’il laifle un inftant oublier 'le  perfonnage pour  s’occuper  
 du  chanteur,  ce  n’eft  qu’un muficien  fur  la  
 fcene,   il  n’eft  plus  acteur.  T e l  excelle dans  les autres  
 parties  qui s’eft  fait  fiffler  pour  avoir  négligé  
 celle-ci ;  il  n’y   a point d’acteur à  qui  l’on  ne  puiffe  
 à  cet égard «donner le  célébré  Ckajfé pour modele ;  
 cet  excellent pantomime,  en mettant  toujours  fon  
 art  au-deffus  de  lui  ,  &   s’efforçant  toujours  d’y   
 exceller,  s’eft  ainfi mis  lui-même  fort  au-deffus de  
 fes  confrères :  acteur unique , &  homme  eftimable,  
 il laiffera l’admiration &  le regret  de  fes  talens  aux  
 amateurs  de  fon théâtre, 8c un fouvenir  honorable  
 de  fa  perfonne  à  tous  les  honnêtes  gens.'  ( 5\)  
 ACTINIA - SOCIATA  ou  Animal - fleur ,  
 (  Hiß.  nat.  )   ce  zoophtye  qu’Aldrovande,  Jonfton  
 &  d’autres appellent ortie  de mer,  8c  auquel  les An-  
 glois  ont donné  le nom d’animal-fleur,  femble  réellement  
 unir  la forme d’une fleur à la ftruriure 8c aux  
 organes  d’un  animal,  &  démontrer  d’une maniéré  
 bien fenfible que  l’auteur de la  nature  en  organifant  
 la matière  fe  joue de nos fyftêmes 8c  de  nos  définitions. 
   Quand  il  étend  fes  bras,  comme  a.,fig.  i.  
 planche  I I ,  <£Hifioire naturelle  dans  ce Supplément,  
 il  ne reffemble  pas  mal  à un  anémone ,  ou à  toute  
 autre  fleur  radiée,  telle  qu’une  marguerite ,  &c.  
 Ceux  que  la  figure  repréfente  ont  la  forme  d’une  
 figue  dont  le  pied  feroit  fort alongé  ;  mais il y   en  
 a d’hémifphériques  &   de  cylindriques,  qui  font  
 comme  autant d’elpeces d’un même  genre.  Cet  animal 
 fleur n’a  qu’une  feule ouverture  qui eft  fa bouche  
 ,   fituée au fommet  de  la  partie  fupérieure  de 
 fon  corps,  qu’on  peut  regarder pour  cëla  comme  
 la  tête  de  l’animal.  Autour  de  cette  bouche  font  
 difpofés  fes  bras  qu’il alonge  ou  retire  comme  les  
 cornes  d’un  limaçon.  Avec  ces  bras  il  faifit  avidement  
 fa  nourriture  ,  des  crabes ,  des  huîtres ,  
 &c.  qu’il  avale ;  fa  bouche  ayant  la  faculté  de  fe  
 dilater  fuffifamment  pour  engloutir  des  corps  de  
 deux  &   trois  pouces  de  diamètre ;  8c  lorfque  l’animal  
 en a  fucé  ou  mangé la  chair,  il  rejette  les  
 écailles  par  la  même  ouverture.  M.  Ellis  foup-  
 çonne  que  Y animal -  fleur  produit  par  cette même  
 bouche,  fes  petits  vivans,  fk  garnis de  petits bras  
 qu’ils  étendent  pour chercher leur  nourriture ,  dès  
 qu’ils  fe  font  attachés  au  rocher,  ou  à  quelque  
 fubftance  dure  ,  car ils  ne  flottent  point fur  l’eau,  
 mais  dès  qu’ils  font  nés ,  ils  fe  fixent  à  quelque  
 corps  folide  par  leur  pied pu tige ,  qui eft un  tube  
 alongé,  comme  le  repréfente la figure.  Cette multiplication  
 n’auroit  peut-être  rien  de  bien étrange;  
 mais elle  n’eft  pas  prouvée.  Il  eft plus  fûr  que l’animal  
 a ,  fig,  i  ,  attaché  au  rocher  par  fa  tig e,  
 pouffe  un  tube  rampant fur le même rocher,  d’oîi  
 naiffent  d’autres  zoophtyes  femblables  les  uns  à  
 . côté  des  autres ;  on  en  voit  ici  de  tout  formés ;  
 &  d’autres, b , b  , b ,  qui viennent,  pour ainfi dire,  
 de naître, 8c qui n’ont pas  encore acquis la perferiion  
 de leur forme , n’ayant encore ni bouche  ni  bras. Je  
 ne  ferois  donc  guère  porté  à.  croire  la  première  
 maniéré  de  multiplier par  la bouche.  Quoi qu’il en  
 fo i t ,  l’dciinia-fociata  eft  d’une  fubftance  charnue  ,  
 tendre ,  formée  de  plufieurs  tubes qui  s’enflent  ou  
 grofliflënt  à  mefure  qu’ils  s’élèvent  vers  la  partie  
 lupérieure  de l’animal,  où  ils  fe  terminent  en  une  
 bulbe  au haut de  laquelle eft  la  bouche  qu’entoure  
 un  feul  rang  de  bras,  ou  de  griffes  ou  de pinces,  
 fi  l’on  aime mieux leur donner  ce  nom.  La figure  x  
 eft  une  feriion  perpendiculaire  d’un  animal-fleur,  
 afin  de  faire  voir  le gofier  c ,  les  intèftins ,  l’efto-  
 mac,  &   les  fibres  mufculaires  qui  fervent  au  jeu  
 des pinces  ou  bras  :  b ,  eft un jeune qui  s’élève  du  
 bas de la  tige. 
 A C T IO N , f.  f.  ( Belles-heures. )  Si Vaction ,  en  
 poéfie ;  étoit,  comme on l’a dit,  ce qui  fait le fujet  
 ou la matière  d’un poëme,  le poëme didactique  auroit  
 fon  action -comme -les  poëmes épiques  &   dramatiques  
 ;  la  nature feroit Y action du poëme  de Lucrèce  
 ,  l’agriculture feroit Y action des Géorgiques de  
 Virgile : ce  n’eft  pas ce  qu’on  a  voulu  dire ;  on  a  
 donc  mal  défini  Y action.  Effayons  d’en  donner  une  
 idée, plus  précife  8c plus  jufte. 
 L’aSion  finale  d’un  poëme  eft  un  événement  à  
 produire ;  Y action  continue eft le combat des caufes  
 &  des  obftacles  qui  tendent  réciproquement,  les  
 unes  à  produire  l’événement,  8c  les autres  à l’empêcher, 
   ou  à  produire  eux-mêmes  un  événement  
 contraire. 
 Dans  la  tragédie  de  Britannicus,  la  mort  de  ce  
 prince  eft  Y action  finale.  La jaloufie de Néron ,  fon  
 mauvais  naturel, fa paflion  pour  Junie  , la  feéléra-  
 teffe  de  Narciffe  en  font  les  caufes.  La  vertu  de  
 Burrhus ,  l’autorité  d’Agripine, un  refte de  refperi  
 pour  e lle ,  &  de  crainte  pour  les  Romains , l’horreur  
 d’un  premier crime  ,  en  font  les  obftacles ;  8c  
 le  combat fe  paffe  dans l’ame  de  Néron. 
 Ainfi Yaltion d’un  poëme  peut fe  confidérer comme  
 une  forte de problème, dont le dénouement  fait  
 la  folution. 
 Dans  ce  problème,  tantôt l’alternative fe  réduit  
 à  réuflïr,  ou  à manquer  l’entreprife;  comme dans  
 Y Enéide.  Tantôt  le  fort  eft  en  balance  entre  deux  
 événemens  ,  tous  les  deux  funeftes,  comme  dans  
 l’CEdipe ,   ou l’un heureux, 8c  l’autre malheureux  ,  
 comme  dans YOdiJfée  &   YIphi génie en Tauride. Ceci  
 demande  à  être  développé. 
 Les  Troyens s’établiront-ils,  ou  ne  s’établiront-  
 -ils  pas  en Italie ?  Voilà  le problème  de Y Enéide.^ On  
 voit  que  ,  du .côté  d’Enée,   le  mauvais  fuccès  fe  
 réduit  à abandonner  un  pays  qui  n’eft  pas  le  fien.  
 La  deftinee  des  Troyens  ne  feroit  pas  remplie,  
 Rome  ne  feroit  pas  fondée ;  mais  ce  malheur n’a  
 jamais  pu  intéreffer  vivement  que  les  Romains. La  
 fituation  du  côté  de  Turnus,  eft  d’un  intérêt  plus  
 univerfel  8c plus  fort ; il  s’agit pour lui  de  vaincre ,  
 ;ou de  périr,  ou de fubir la.honte  de fe   voir enlever  
 fa  femme,  &   les  états  de  fon  beau-pere :  aufli les  
 voeux  font-ils  en faveur de Turnus. 
 Dans YOdijJée, il ne s’agit pas  feulement qu’Ulyffe  
 retourne à  Itaque, ou qu’il périffe dans fes vo yag es,  
 ou  qu’il  foit  retenu  dansTifle  de  C irc é ,  ou  dans  
 .celle  de  Caiypfo ;  cet intérêt, perfonnel  à un héros  
 froidement, fage-,  nous  toucheroit foiblement.  Mais  
 fon.fils ,  jeune -encore ,  eft  fous le  glaive ;   fa femme  
 eft  expofée aux violences  des prétendans;;  fon pere  
 •eft  au  bord  du tombeau ,  incapable  de  s’oppofer à  
 leur  criminelle  infolence ;  fon  île eft  dévaftée, fon  
 palais  faccagé,  fon  peuple  &  fa  famille  ;én  proie à  
 des  tyrans. Si  Ulyffe  revient,  il peut  tout  fauver ;  
 tout  eft  p e r d u s ’il  né  revient  pas:  voilà  toits  les  
 grands  intérêts du  coeur  humain  réunis  en  un  feul;  
 &   c’eft  le  plus  parfait  modèle  de  Y action  dans  
 l ’épopée; 
 Dans l ’Iphigénie en Tauride  , Orefte pourfuivi par  
 les  furies,  en  fêra-t-il  délivré ou non? Sera-t-il reconnu  
 par  fa foeü r,  avant  d’être immolé  ?  ou  l’im-  
 molera-t-elle  avant  de  le  connoître ?  Enlevera-t-il  
 la  ftatue  de Diane ,  ou fera-t-il égorgé  au  pied  de  
 les autels ?  L’événement peut  être  heureux  ou malheureux  
 ; &   plus  l’alternative  en eft  preffante, plus  
 elle  eft  fufceptible  des  grands  mouvemens  de  la  
 crainte  &  de  la  pitié. 
 Dans l’OEdipe, la pefte achevera-t-elle de  défoler  
 les  états  de  Laïus;  ou  le meurtrier  de  ce  Roi fera-  i  
 t  il reconnu dans fon fils &  dans le mari de fa femme ?  
 Voilà  les  deux  extrémités  les  plus effroyables,  8c  
 l ’alternative la plus tragique  qu’il foit poffible d’imaginer. 
   Le  défaut  de  cette  Fable,  s’il y   en  a  un  ,  
 c’eft  de  ne laiffer  voir aucun milieu  entre  ces  deux  
 malheurs  extrêmes,  &  de  ne  pas permettre  à  l’ef-  
 pérance  de  fe mêler  avec la  terreur. 
 Je  Iaiffe  à  balancer  les  avantages  de  cette  fable  
 terrible &  touchante d’un bout à l’autre, fans aucune  
 efpece  de  foulagement  pour l’ame des fpeélateurs ,  
 avec la fable de T’Iphigénie en Tauride, où quelques.  
 rayons  incertains  d’une  efpérance  confolante  brillent  
 par  intervalles;  &  laiffent  entrevoir  une  ref-  
 fource  dans les  malheurs  &   les  dangers  dont  on  
 frémit  ;  je  veux  feulement faire  voir  que  tout  fé  
 réduit  à ces deux problèmes ;  l’unfimple, &  l’autre  
 compliqué.  Celui-ci  ,  en  faifant  paffer  l’ame  des  
 fpeâàteurs  par  de  continuelles  viciflitudes,  varie  
 fans cefle les mouvemens de la terreur &  de la pitié;  
 l’autre  les  foutiènt Sc  les preffe ,  en  faifant  faire  à  
 l ’intérêt le même progrès qu’au malheur. 
 De cette  définition  de  Yaçlion  confidérée  comme  
 un problème ,  il  fuit d’abord qu’il  eft de  fon  effence  
 d’être  douteufe  &   incertaine,  &   de  l’être  jufqu’à  
 la fin ;  car. fi  l’aftion  eft telle  qu’il n’y   ait pas  deux  
 façons  de  la  terminer,  &  que  l’événement  qui  fe  
 préfente  naturellement  à la  prévbyance des  fpefta-  :  
 teurs,  foit  lé  feul  moralèment  -poflible  ,  il  n’y   a  
 plus d’alternative ,  &  par conséquent plus  de balancement  
 entre  la  crainte &  l’efpérance :  tout fe paffe  
 comme  on  l’a prévu ; &   s’il  arrive une  révolution,  
 ou  elle  a  befoin  d’une  caufe  furnaturelle , Comme  
 dans le  Philo rie te  de Sophocle,  ou  elle  manque de  
 vranemblan.ee,  comme  dans  le Cid.  'C’eft un  effort  
 de  lart  qu’on  n’a  pas  affez  admiré  dans  le Télémaque  
 ,   d avoir  par  la  feule  force  de  l’éloquencè 
 d’Ulyffe,  rendu  naturel &  vraifemblable  le  retour  
 de  Philoriete,   que  Sophocle  avoit  jugé  lui-même  
 nnpoflible  fans  l’apparition d’Hercule.  A  l’égard du  
 Cid ,  Corneille n’a fçu  d’autre moyen d’en  terminer  
 1 intrigue ,  que de ne pas  la  dénouer. 
 D ’un autre  co té,  f i ,  dans  les  poflibles ,  Y action  
 avoit  deux  îffues,  mais  que  par  la mal-adreffe  du  
 P°Aete »  &   ia prévoyance  des  fperiateurs  ,  le  problème  
 fût.réfolu dans  leur opinion avant  le dénouement, 
   il  n’y   auroit  plus d’inquiétude;  8c il ne  faut  
 ;  pas  croire que l’art de rendre  l’événement douteux,  
 &  de  laiffer le  fperiateur dans ce doute,  ne foit utile  
 qu’une-fois.  L’illufion théâtrale  confifte  à , faire  oublier  
 ce^qu’on  fa it,  pour  ne  penfer  qu’à  ce  qu’on  
 !  voit.  J’ai lu Corneille , je fais par coeur  le  cinquième  
 ;  -arie de Rodogune ; mais.j’en  oublie le  dénouement :  
 & ,à   mefure  que  la  coupe  empôifonnée  approche  
 des  levres  d’Antiochus  ,  je  frémis, comme  fi  je ne  
 ;  fayoîs  pas  . que  Timagene  arrive.  Ayez  feulement  
 foin  que  ,  dans  faction même,  rien ne  trahiffe  le  
 fecret de  la  derniere révolution  :  j’aiirai beau le fa-  
 voird’ailleurs, je me.le diflimulerai, pour me  laiffer  
 jouir  du  plaifir d’être  ému ;  effet  inexplicable  ,  &   
 pourtant bien réel, de l’illufion théâtrale. Mais autant  
 la folution doit  être  cachée,  autant les  termes  op-  
 pofés,  où f  action  peut  aboutir,  doivent  être  marques  
 &  mis en évidence. Je n’en excepte qu’une forte  
 de  fable :  c’eft  lorfqu’entre  deux malheurs,  dont  il  
 femble  que  l’un ou l ’autre doive arriver inévitablement, 
   il y  a pourtant  un moyen  de  les  .éyitër  tous  
 les deux ,   &  qu’on .a  deffein de tirer par  cette  heu-  
 reufe révolution les perfonnages intéreffans du double  
 péril qui les preffe. .Ce moyen doit être, caché comme  
 ï’ifliie du  labyrinthe : mais tout ce qu’il y  a de funefte  
 à  craindre ,  doit  être  connu ,  &   le plutôt poflible.  
 Qu e,  dès  le premier arie d’CÉdipe.,  par  exemple,  
 le fperiateur rûtinftruit qu’OEdipe eft l’affaffin de fon  
 pere &   le mari de  fa mere  ,  dès  ce moment,  tous  
 les  efforts  de  ce  malheureux  prince i, ..pour  découvrir  
 le meurtrier de  Laïus, feroientfrémir; &   l’approche  
 des  ineidens ,  qui  ameneroiènt  les, recon-  
 noiffances,  rempliroit  les  efprits  de  compaflion  &   
 de  terreur.  On  peut  rendre  raifon  par-là de  ce qui  
 arrive  aflèz  fouvent,  qu’une  piece  fait  plus  d’im-  
 preflion la fécondé  fois  que  la  première. 
 De  notre  définition,  il  fuit  encore  que  plus  les  
 événemens oppofés font extrêmes, plus l’alternative  
 de l’un à l’autre  a  d’importance  &  d’intérêt.  Si, d’un  
 cô té,  il y  va de  l’excès  du  bonheur,  &   de  l’autre  
 de  l’excès  du malheur,  comme  dans  l’Iphigénie  en  
 Tauride &  dans la Mérope ,  la folution du problème  
 eft bien  plus intéreffante,  quelorfqu’il ne s’agit  que  
 d’un malheur  peu fenfible ,.ou  d’un bonheur foiblement  
 fouhaité. Par exemple,  dans Polieurie ,   fup-  
 pofons  quePauline  fût  paflionnément amoureufe de  
 fon  époux,  le  problème feroit bien  plus  terrible , 
 &   la fituation  de Pauline  bien  plus  cruelle  &   plus  
 touchante.  Corneille,  en  la  faifant  amoureufe  de  
 Sévere ,  a  évidemment préféré l’intérêt de L’admiration  
 à celui  de la  terreur  &   de  la  pitié;  en  quoi il  
 a  obéi  à  fon  génie , 8c  compoféune fable plus  étonnante  
 &  moins  tragique. 
 Dans  la  comédie,  même  alternative  ;  l’intérêt  
 confifte  i° . à faire fouhaiter  que le ridiccïle puni par  
 lui-même, foit à la  fin  livré  à  la rifée &  au mépris ;  
 i° . à faire naître  une  curiofité inquiété, &   une vive  
 impatience dë voir par quel moyence qu’on fouhaité  
 arrivera. L’Avare  époülera-t-il Marianne ,' oula cé-,  
 dera-^t-il  à  fon  fils  ?  Tartuffe  fera-t-il  confondu Sz  
 démafqué  aux  yeux  d’O rgon,  ou  jouira-t-il  de  fa  
 fourberie ?  Voilà  le problème  à  réfoudre.  Au  lien  
 du trouble * &  du danger qui régné dans  la tragédie ,  
 c’eft l’agitation des querelles domeftiquesrau lieu des  
 revers, Ce font les méprifes ;  au  lieti du pathétique,-