par la médiation de Lepîdus, qui entra pour un
tiers dans le partage de l’empire romain. Cet empire,
élevé par 500 ans de vertus & cte victoires,
devint la proie de trois ambitieux qui l’aeheterent
par les crimes les plus atroces. Chacun d’eux exigea
le facrifice de fes amis : « la haine , dit Plutarque , &
» là vengeance l’emportèrent fur l’amitié & fur la
» parenté. Augufte facrifia Cicéron au reflentiment
» à.’Antoine; Antoinefacrifia à Augufte, Lucius Cefar;
» & tous deux fouffrirept que Lepidus mît fon
» propre frere au nombre des profcrits. Rien jamais
» ne fut plus cruel,, plus brutal que cet échangé. En
» payant ainfi le meurtre par le meurtre, ils tuoient
>> chacun également ceux que les autres leur aban-
» donnoient & ceux qu’ils abandonnoient aux
» autres : 'mais leur injüftice étoit inconcevable à
» l’égard de leurs amis qu’ils facrifioient avec la
» derniere inhumanité, fans avoir contre eux aucun
» fujet de haine, pas même de plainte ». Antoine
perdit en cette occafion cette réputation de bonté
& d’humanité qu’il s’étoit acquife. Après s etre fait
livrer la tête , ainfi que la main droite de Cicéron,
il fit éclater .une joie barbare -en la voyant. Apres
s’être raflaflié de ce fpeftacle , il les fit porter au
milieu de la place publique, infultant encore aux
mânes de cet illuftre orateur, & né fentant point,
dit Plutarque , qu’il infultoit plutôt à fa- fortune
par l’abus de fa puiflance. Loriqu’il eut affouvi fes
vengeances , & réglé fes affaires dans Rome , il
partit avec Augufte pour la Macédoine qui devoit
être le théâtre de la guerre contre Brutus & Gaf-
fius, chefs des conjurés. Les écrivains s’accordent
à lui donner l’honneur de cette guerre. Ils aflurent
qu’Augufte qui devoit feul en recueillir tout le fruit,
n’en fut que le timide témoin. Antoine, vainqueur
dans deux grandes batailles qui furent livrées dans
les plaines de Philippe j, ufa de fa victoire avec la
plus grande modération. Ayant trouvé le corps de
Brutus dans la pouffiere du camp, il gémit des
malheurs de ce vertueux républicain, & voyant
que la cupidité du foldat lui avoit enlevé jufqu’à
fes vêtemens, il détacha fa cotte d’armes, & après
l’en avoir couvert, il ordonna qu’elle fervît à orner
fort bûcher. Il fit même punir du dernier fupplice
un de fes affranchis, pour avoir retiré des flammes
cette cotte qui étoit d’un prix ineftimable.
La journée de Philippe changea les deftinees du
monde ; ce ne fut plus au fénat que les peuples & les
rois allèrent offrir-leur hommage & leur encens, mais
aux triumvirs qui exigèrent bientôt du fénat même
de femblables honneurs. Antoine, en parcourant la
G re ce , eut à fa cour tous les potentats de l’Afie.
Les uns mendioient le'prix de= leurs fervicés , les
autres imploroient fa clémence. Sa marche fembloit
un véritable triomphe. Des femmes des rois fe dif-,
putoient l'honneur de mettre à fes pieds les plus
magnifiques préfens , & fe croyoiept un nouveau
mérite d’en obtenir quelques regards : mais rien ne
flatta plus fon amour-propre que la réception que
lui firent les Ephéfiens. Les rues étoient jonchées
de fleurs, & les murs décorés de tirfes de couronne
de lierre ; les dames parées de leurs plus fomptueux
habits, portoient les attributs de Bacchus; les hommes
déguifés en faunes & en fatires, allèrent à fa
rencontre dans le plus fuperbe appareil ; & au milieu
des concerts les plus mélodieux , ils chantaient
des vers à fa louange, & lui donnoient la valeur
& la bonté de Bacchus.
• Après avoir remercié les Ephéfiens , Antoine fit
dreffer un tribunal au milieu de leur ville , & y
cita tous les princes alliés & fujets de Rome, à qui
il parla en maître. Il prit enfuite le chemin de la
Cilicie. Ce fut dans cette, contrée qu’il donna audience
à la fttmeüfe Cléopâtre-qui yenoit s’exeufer
d’avoir fourni dés fecou.rs aux partifans de la république.
On fait par quelle magie cette reine vojup-
tueufe parvint à mettre ce juge des rois à fes pieds
( V. C léopâtre , Suppl. .)• Antoine oubliant qu’il te-
noit dans fes mains le feeptre du monde , s’afloupit
dans le fein de cette princefle ; jnfenfible à^i'a gloire,
il laifla à fes lieutenans le foin de faire triompher les
aigles romaines, & alla s’enivrer- des délices d’Alexandrie.
Depuis cette fatale époque, il ne- fit plus
rien de confidérabje par lui-même. 11 remporta à
la vérité quelques avantages fur les Parthes ;,mais
il les acheta par tant de malheurs qui tous furent
occafionnés par fa paffion pour Cléopâtre, qu’on
ne fauroit lui en faire un mérite. O&avie , foeur
d’Augufte , qu’il avoit époufée depuis la mort de
Fulvie , pour fceller fon alliance avec Augufte, fit
d’inutiles efforts pour le tirer de cette langueur
ftupide. Elle partit de Rome * refolue de l’accompagner
dans ,une nouvelle .expédition qu’il méditpit
contre les Parthes. . Arrivée à Athènes , elle lui
écrivit à Leucopolis ( autrement Leucocome ) , le
priant de fe reffouvenir de leur union. Elle lui
annonçoit de riches préfens, & de nouvelles.levées
d’hommes & de chevaux qu’ elle lui amenoit elle-
même. Antoine fe'difpofoit à recevoir cette tendre
& vertueufe époufe, lorfque Cléopâtre craignant
d’être fupplantée par une rivale dont les attraits
étoient relevés par la modeftie & les moeurs , employa
les artifices d’une galanterie rafinée pour con-
ferver fa conquête ; & pour prouver l’excès de
fon amour, cette artificieufe princefle feignit d’être
refolue à mourir. Ses abftinences attenuoient fon
corps, & rendoientfabeauté plus touchante. Fourbe
jufqu’à contraindre la nature , elle verfoit des.lar-
mes dont elle affeâoit de rougir. Antoine trompé par
ces artifices , porta la déférence pour elle jufqu’à
défendre à Oftavie de venir le joindre , fous pré-
texte qu’il alloit pafler l’Euphrate. O cia vie n’oppofa
à ces mépris que la douleur d’avoir perdu le coeur
de fon époux. Cette vertueufe romaine , occupée
de fes devoirs , tandis 'que fa rivale étoit livrée aux
voluptés, menoit une vie privée & obfcure, n’ayant
d’autre plaifir que d’élever fes enfans, & de leur
infpîrer une refpeâueufe tendrefle pour un pere qui
les facrifioit à l’amour d’une étrangère.
Cet affront fait au fang des Céfàrs, indifpofa contre
lui les Romains. L’affe&ation qu’il eut de triompher
dans Alexandrie , honneur que Rome préten-
doit avoir feule le droit de déférer, & l’indiferétion
qu’il eut de s’afleoir fur le trône d’Egypte, porta
l’indignation publique à fon comble. C’étoit pour
la première fois qu’on voyoit un Romain revêtu
des ornemens de la royauté. Son front étoit ceint
d’un diadème, il portoitun feeptre d’or à la main,
fa robe pourpre étinceloit de diamans ; c’eft ainfi
que foulant la majefté romaine , il ne vquloit pas
même lui appartenir p'ar la forme des habits. Cléopâtre
aflife à fa droite.., parée des attributs de la
déefle Ifis , dont elle fe donna le nom, fut reconnue
pour fa femme , & proclamée reine d’Egypte,
de Chypre , de la Lybie, de la Célé-Syrie, & Cé-
farion qu’elle avoit eu de Céfar, lui fut donné pour
collègue. Les enfans qu’elle lui avoit donnés, eurent
aufli leur partage. Tous eurent le fuperbe titre de
roi des rois. L’aîné, nommé Alexandre, devoit avoir
l’Arménie , la Médie & la Parthie , après qu’il en
auroit fait la conquête. Pfolémée, le plus jeune, eut
la Syrie , la Phénicie & la Cilicie. Ces jeunes princes
prirent auflî-tô* les habits des peuples fur lefqtiels
ils dévoient bientôt régner, & choifirent leurs gens
d’armes parmi les principales familles.
O&ave tenoit à Rome une conduite bien différente
; jaloux du rang fuprême, ij ménageoit l’ef-
time des peuples, & ne négligeoit rien pour perdre
Antoine. Cç prince politique cacha fes motifs d’ambition
fous les apparences du bien^niblic, & faifoit
des plaintes continuelles de ce que fo.n collègue
dépouilloit l’état par fes profufions, & én refîerroit
les limites au lieu de les étendre. Il fit auffi-tôt
fes préparatifs , fous prétexte de tirer vengeance
d,u mépris qa Antoine avoit fait de. la majefté romaine;
Antoine inftruit,de l’abîme qui fe creufoit
fous fes pas, envoya des députés à Rome, & quitta
les . bords de l’Araxe. Il rejoignit Cànidius qui cam-
poit aux environs d’Ephefe avec feize légions. Cléopâtre
ne tarda pas à le fuivre 'dans cette v ille ,
pour prévenir toute réconciliation avec Céfar &c
Odavie. Les plus fagçs murmuraient de voir une
femme dominer dans le camp, & introduire, fous
la tente le luxe d’une cour efféminée. Antoine fen-
toit .lùi-même combien ce fcandale révoltait, les
efprits, mais entraîné par la force de fon penchant,
il n’éçoutoit que les confeils de fes flatteurs qui lui
repréfentoient què la préfence de cette reine étoit
néçeflaire pour entretenir le courage des.Egyptiens ;
que d’ailleurs Cléopâtre inftruite dans l’art de gouverner
, pouvoit marcher de pair avec les grands
hommes. C e confeil flattoit trop la paffion d’Antoine t
pour être rejette,. Il fe , rendit à Samos où fe trouvèrent
tous les rpis fes alliés , qui ne fembloient
que les premiers fujets d’une reine enivrée de fa
grandeur. Tous les jours furent marqués par des
fêtes & des.feftins où l’on étàloit tout le luxe afia-
tique. Dans un voyage qu’il fit à Athènes, il voulut
que l’on rendît à fon amante les mêmes honneurs
qui avoient été déférés à Q&avie quelque te ms
.auparavant. Il exigea qu’ils lui fiflent. une députation
dont lui-même étoit le chef. Ce fut-là qu’il
tint un confeil où l’on opina qu’il falloit déclarer
la guerre à Augufte , & répudier Oâavie. S’il eût
profité du moment, il accabloit fon ennemi qui
n’avoif point encore raflemblé toutes fes forces :
mais, plongé , dans une ivrefle brutale , . il remit à
l’année Suivante une guerre qu’il eût terminée fans
péril.
Des députés admis au fénat y déclarèrent fon
divorce avec Octavie. Les efprits déjà, révoltés par
ce premier outrage, furent faifis de la plus vive indignation
à la leâure d’un teftament qu’Augufte pré-
tendoit être le lien. Antoine, par ce teftament qui
paroît avoir été fuppofé par fon rival, inftituoit pour
fes héritiers, les enfans qu’il avoit eus de la reine d’Egypte
, & ordonnoit que fon corps fut transféré à
Alexandrie , n’importe dans quel lieu du monde il
mourût.. Autorifé par un décret du peuple, Augufte
déclara la guerre à Cléopâtre. Ce prince artificieux
auroit blèfte la politique, en comprenant Antoine
qui ne pouvoit combattre pour cette reine , qu’en
s’avouant l’ennemi de fa patrie. C’étoit;, un ménagement
pour les chefs du parti contraire qui avoient
fin refte de crédit dans Rome. La guerre devint inévitable.
Ces deux rivaux intérefferent à leur querelle
prefque tous les peuples connus. Antoine eut fous fes
enfeignes toutes les nations Africaines , depuis l’Ethiopie
jufqu’à la Cyrénaïque, & les Afiatiques
foumifes, alliées ou tributaires de Rome. Il comptoit
parmi fes lieutenans Bocchus, Tarcondeme, Arçhe-
laiis, Philadelphe, Mithridates & A dallas, tous décorés
du diadème. Oâave commandoit à tous les
peuples Africains , placés à l’occident de la Cyrénaïque
, & à tous ceux de. l’Europe , dont il faut
Cependant excepter les Sàrmates , les Germains &
les Bretons dont il n’avoit què quelques effaims.
Vainqueur du fils du grand Pompée , fes flottes lui
afîiiroient l’empire des mers, Ses troupes qui fixoient
les yeux de l’univers étonné, fe rendirent par mer
& par terre aux environsd’Aâium. Cànidius,lieutenant
général dû Antoine^x çonfeilia d’éviter le combat
de mèr qu’Augufte defirpit, & fur-tout de renvoyer
Cléopâtre en Egypte ; mais la volonté de cette reine
impérieüfe l’emporta fur la fagefle de' ce confeil.
Antoine difpofa (a flotte campofee de deux cens gros
vaifteaux bien garnis de foldàts, mais dépourvus de
matelots. Un vieil officier, qui fervoit fous lui depuis
un grand nombre, d’années, gémit de ce qu’il s’ex-
pofoit à être vaincu, lorfqvie fes troupes de terre
lui promettoient la yi&oire la plus complette. Mon
général, lui;ditril, que ne vous fiez-vous à ces cicatrices
& à cette épée , plutôt qu’à ce bois pourri?
Laiffez la mer aux Egyptiens ôc aux Phéniciens, gens
nourris fur çef élément; mais à nous autres Romains,
donnez-nous la terre où nous Tommes accoutumés
à braver la m ort, & à chafler devant nous nos ennemis.
Antoine le-raflura eri lui tendant la main. Cinq
jour^ après que les deux flottes eurent été en préfence
, Antoine le va l’ancre, & s’avança à la hauteur
qu’il avoit réfolu de. tenir pendant l’aclion.' Elle commença
vers les fix heures du matin. Cette bataille
femhloit un combat de terre., ou plutôt un fiege de
ville. Les galerés d?Antoine s’élevoient au-deflus de
celles d’Oftave, comme autant de citadelles ; elles
étoient garnies de tours,' d’où les foldats lançoient
les mêmes armes1 dont onHife dans la défenfe des
places. Celles de Céfar plus légères, mais plus nom-
breufes & mieux équipées, attachèrent cès lourdes
mâfîes, & ne pouvant les. endommager avec leurs
éperons , elles jetterent dans les tours des matières
enflammées ; le combat continuoit avec une ardeur
égale des deux côtés, lorfque Cléopâtre déployant
fes voiles, paffe à travers les deux armées, & dirige
fa route vers le Péloponefe avec fon efeadre , coin -
pofée de foixante galeres. Antoine oubliant fa flotte ,
& s’oubliant foi-même, vole à fa fuite. Ayant atteint
fon vaifîeau, il quitte le fien & s’aflîed fur le rillac
la tête dans fes p a in s, les coudes fur fes genoux,
il pafla trois jpurs dans cette attitude , & gardant
un morne filence, également humilié de fa paffion
& de fa défaite. Arrivé au cap de Tenare , il leva
enfin les y e u x , & les tournant vers Cléopâtre , il
oublia fa perfidie, & fe livra avec une nouvelle
complaifance à fes carefles trompeufes. Sa flotte
combattit lông-tems avec courage, & ne fut vaincue
que par un vent contraire. La plupart de fes vaif-
feaux furent pris , coulés à fond ou difperfés. Son
armée de terre , qui étoit forte de cent mille hommes
, fe rendit fans tirer l’épée , ayant été trahie
& abandonnée par fes chefs. De Tenare , Cléopâtre
fe rendit en Egypte, & Antoine en Lybie où il avoit
une armée qui étoit fa derniere reflource. Ayant
appris que ces troupes infidelles s’étoient déclarées
pourOélave, il fe feroit donné la mort, fi fes amis,
ne lui euflent confeillé de vivre pour les défendre.
Se voyant alors général fans armée, il alla rejoindre
Cléopâtre à Alexandrie, où il la trouva occupée du
plus vafte projet qu’eût pu concevoir une femme :
c’étoit de voiturer fa flotte à travers Flftme de
Suez , & de gagner par la mer Rouge des régions
inconnues , pour y vivre à l’abri des guerres & de
la fervitude. L’ayant détournée de ce projet , il
fe livra à des fêtes qui marquoient plus fa flupi-
dité , que fon goût pour les plaifirs. L’impoflïbilité
de continuer la guerre , l’engagea de recourir à la
négociation. Il demandoit à Oftave de le kifler vivre
fimple particulier dans Athènes, s’il lui refufoit le
gouvernement d’Egypte.’ Il crut le fléchir en lui rap-
pellant le fouvenir de leur ancienne amitié. Oftave
reçut fes préfens, & ayant renvoyé fes ambaffadeurs
fans réponfe ,-il continua fa route vers Alexandrie.
Antoine inftruit de la prife de Pelufe, réfolut d’arrêter
fort ennemi dans fa marche. Il le chargea avec
autant de valeur que de prudence, & le vainquit
dans un-combat dé cavalerie. Ce premier avantage