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une armée moins nombreufe & plus légère qui l’attaquera
par des manoeuvres? La moitié ou les deux
tiers de cette énorme quantité de bouches à feu fera
dans Pinaâion en fécondé ligne, ou en réfer,ve : les
petites pieCes de régimens, dont les portées font
courtes & incertaines, éparpillées deux à deux fur
le front de l’armée, ne pouvant que difficilement fe
joindre pour réparer par le nombre de leurs coups:
réunis l’incertitude de chaque coup particulier, ne
feront que peu ou point d’effet : les pièces-de-parc
de 8 & de 1 2 , allégées & raccourcies, ne pourront
porter à des diftances raifonnables. fans etre tirees
fous des angles d’élévation qui rendront leur direction
peu fûre ; leurs boulets tombant fous des angles
trop ouverts, ne frapperont qu’un point &
s'enfonceront dans la terre, & l’on perdra par-là
leur principal effet qui eft d’emporter plufieurs
hommes à la fois & de ricocher à des grandes di-
ftances. L’armée attaquante fe gardera bien d’ailleurs
d’engager un combat d’artillerie qui donneroit le tems
à fon ennemi de faire une bonne difpofition ; ce fe-
roit perdre le fruit de fa marche rapide & de fa manoeuvre.
Que deviendra donc cette armée fùrchargée
de canons & d’attirails, & trop enivrée de la maxime
moderne, qu’il faut multiplier l’artillerie dans les
armées, puifqu’elle doit à l’avenir décider feule de
la vittoire ? Nous dirons avec l’auteur de VE [fai fur
l'ufage de Ûartillerie, que quelque favorable que foit
cette maxime au corps où nous avons l’honneur de
fervir, elle eft trop contraire aux folides principes
de la guerre & en particulier au génie qui a fait tant
de fois triompher notre nation, pour que nous l’admettions
jamais. C’en eft fait de l’art militaire, fi on
le réduit à la feule méthode d’employer bien fon feu :
tôt ou tard les nations qui l’adopteront, feront
domptées par celles qui fauront s’en tenir à la bonne
combinaifon de l’infanterie, de la cavalerie & de
Xartillerie , & à l’ufage bien raiforiné des armes à feu
& des armes blanches. Puiffions-nous nous en tenir
aux vrais principes de la taftique , à l’ordonnance
& aux armes les plus conformes au génie de la nation
, à la quantité & à l’efpece d’artillerie la plus favorable
aux armées peu nombreufes, mais bien
exercées & bien inftruites aux manoeuvres (ƒ) ! Revenons
à notre objet.
‘ « Dès le tems de Guichardin, les artilleurs
François étoientregardés comme les meilleurs de l’Europe
(g). L’art fe perfe&ionna dans le XVI. fiecle,
& l’hiftoire prouve encore que les artilleurs François
conferverent leur fupériorité, quoiqu’ils aient
moins écrit que les Allemands, les Efpagnols & les
Italiens. Heureux tems où la bravoure & les belles
a étions étoient la meilleure pierre de touche du
mérite militaire l
Notre nation fut la première à rejetter peu-à-peu
ce fatras de piecçs, dont chacune avoit un nom
barbare.
Le régné immortel de Louis XIV, la fuite étonnante
de fes fuccès, fournirent de nouvelles lumières
aux prédéceffeurs de nos chefs de Yartillerie. Ils commencèrent
à former des plans réguliers pour les
équipages, foit de fiege , foit de campagne. Toujours
guidés par une fage pratique & par une théorie
nfuelle , fi on peut s’exprimer ainfi, ils rejetterent
les bouches à feu & les attirails d’un poids exceffif ;
ils bannirent aulfi les pièces d’un trop petit calibre,
les pièces trop légères & trop courtes : car il eft à
remarquer que, de tous tems, il s’eft trouvé des
hommes déterminés à donner dans l’un &c l’autre
. (ƒ) In omni pnzlio , non tam multïtudo & virlus indofla , quam
ars & exercïtium, folent prejlare viSloriam.
— (g) Lettre en réponfe-aux obfervations fur un ouvrage attribué
à feu M. de Valiere, page 34.. Voye% aujji l’Hiftoire de
Guicciardin, liy, I , Venife, in-4Q3 1562,
ART
extrême ; enfin ils fimplifierent, autant que les cirv
confiances purent le permettre, ce q u i, étoit irop
compofé : de forte que , vers la fin du fiecle paffé
& dans les premières années de celui-ci, Y artillerie
du royaume étoit déjà fur un très-bon pied, quoique
de tous tems des novateurs étrangers au corps,
aient tenté d’y faire recevoir les fruits de leur
oifive imagination.
Ce fut fous les aufpices du prince éclairé qui gouverna
la France, pendant la minorité de Louis X V .
que Y artillerie prit enfin cette confiftance, dont toutes
les puiffances voifines ont été jaloufes. Nous pouvons
fixer à cette époque l’union bien entendue de
ces trois qualités, folidité, fimplicité , uniformité ,
dans tous nos attirails, pièces de canon , mortiers,
affûts , voitures, &c.
De ce moment, nous n’eûmes plus pour le fer-
vice de terre , en France, que des pièces de canon
de cinq calibres : favoir, de 24, de 16 , de 12, de
8 & de 4 livres de balles ».
Les pièces de 24 font trop pefantes & d’un fervice
trop difficile pour être tranfportées aifément : leur
objet eft de ruiner les défenfes des places, & d’y
ouvrir des breches ; celles de 16 feroient utiles dans
bien des occafions où il eft queftion d’attaquer des
poftes & des retranchemens , .mais elles font encore
embarraffantes par leur maffe, & leur effet n’a
pas affez de fupériorité fur celui des pièces de 12 ,
pour qu’on ne doive pas préférer les dernieres plus
mobiles & d’un fervice plus prompt : le poids des
munitions qu’on doit d’ailleurs principalement con-
fidérer par le nombre de chevaux & de voitures
néceffaires à leur tranfport, a prefqu’entiérement
banni les pièces de 16 de la guerre de campagne,
en forte que jufqu’à la paix de 1762, on n’y en a
mené, qu’une très-petite quantité de ce calibre, &
l’on s’en eft tenu aux pièces de 12 , 8 & 4 , dont
les dimenfions ont été fixées par une ordonnance du
roi, en 1732. Ces dimenfions les rendent affez fortes
pour fournir au moins à quinze cents coups, fans
dépériffement fenfible & nuifible au fervice, & affez
mobiles pour que les pièces de- 8 , de 4 & de 12 ,
puiffent être employées avec une raifonnable célérité
, fuivies de voitures de munitions dans toutes
les adions de guerre, relativement aux effets qu’elles
doivent produire.
Pour qu’une\piece de canon ait la plus longue
portée & la plus, grande jufteffe de diredion poffi-
bles , il faut fans doute qu’il y ait un rapport entre
fa longueur d’ame , fon calibre , fa maffe & fa
charge.de poudre : trop courte , trop longue, trop
foible en métal, chargée d’une trop grande ou d’une
trop petite quantité de poudre, elle ne fera pas
l’effet qu’on s’en étoit promis ; il y a donc des limites
entre ces excès , & c’eft d’après une fuite d’expériences
guidée par la théorie la plus éclairée, que
M. de Valiere, dont le nom fera toujours cher à
la France., & refpedable pour tôut officier d’artillerie
, a déterminé les dimenfions des pièces de canon
deftinées au fervice de terre , & les charges de
poudre qui convenoient le mieux à chacune d’elles :
en effet, leur portée & leur jufteffe ne paroiffoient
pas devoir Iaiffer à defirer de parvenir à une con-
noiffance plus exatte des véritables proportions qui
pourroient convenir à chacune d’elles; dans la fup-
pofition néanmoins qu’on pût parvenir à les con-
noïtre avec plus de précifion : d’ailleurs la fupériorité
qu’eut toujours Y artillerie de la France fur celle
de fes ennemis , la diligence & la précifion avec lef—
quelles elle a .toujours été portée où elle devoit
l’être, la célérité de fon exécution & fes effets,
fembloient lui affurer le droit imprefcriptible de
conferver à jamais la forme & les proportions
qu’elle avoit reçues, & qui furent .invariablement
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déterminées par une ordonnance du foi, ên '1732Î
; « Il ne faut pas croire que des réglemens de cette
importance aient été rédigés au hazard, fur des idées
vagues de perfection & fur des poffibilités incertaines.
Feu M. de Valiere , qui y préfidoit, joignoit
à la force naturelle de fon génie , une expérience
acquife par un grand nombre de fieges, de batailles,
de marches dans des pays difficiles, & de retraites,
toujours fi embarraffantes pour ceux qui font chargés
de Y artillerie. Il auroit pu certainement s’en tenir à
fes lumières ; mais il eut la prudence & la modeftié
de confùlter les plus éclairés & les plus expérimentés
d’entre les officiers fupérieurs du corps, fés collègues,
des capitaines d’ouvriers, même des ouvriers
entendus, hommes précieux qui connoiffent d’autant
mieux le bon & le mauvais des objets dont il
s’agit, qu’ils en ont la pratique manuelle*
' D’après une recherche fcrupuleufe & des épreuves
réitérées, les avis fe réunirent & l’on choifit
fur tout ce qui exiftoit lés pièces & autres attirails
qui avoiënt été du meilleur ufage. A la folidité dés
machines, combinée avec leur mobilité raifonnable ,
eft unie dans ce fyftême , cette fimplicité fi nécef-
faire pour leur conftruftion & leur réparation. Car
on fait que tout charron, tout charpentier, toutfor-
geur, en un mot tout ouvrier paffablement inftruit
dans fa profeffion , peut être mis très-promptement
au fait de nos conftruftions & les exécuter en tout
pays avec fes outils ordinaires, ou les réparer promptement
au befoin ( à) ».
Nous ne prétendons pas inférer de-là que notre
artillerie eût atteint le plus haut dégré de perfection
théorique : comment fe flatter d’y parvenir jamais
avec les variétés inféparables des matières qui
entrent dans la cOmpofition des bouches ,à feu, des
mobiles qu’elles projettent & de la poudre ? Mille
accidens qui fe combinent de mille façons différentes
, couvrent la fcience de Yartillerie d’un nuage
qu’il eft difficile d’écarter. La combinaifon des matières
dont on fabrique les bouches à feu, a é té ,
pour ainfi dire , arbitraire jufqu’ici. Chaque fondeur
a fes ufages & ils ne fe reffemblent pas ; on n’eft pas
d’accord fur la quantité précife de rofette, de laiton
& d’étain, dont il feroit le plus avantageux de
compofer les pièces d’artillerie, ni fur le dégré de'coc-
iion qu’il conviendroit de lui donner (i). Les chan-
gemens qui arrivent dans la diredion de l’ame des
pièces, par la chaleur qu’elles contrarient & la fatigue
qu’elles effuienf en tirant, changemens d’autant
plus prompts & d’autant plus confiderables, pour le
dire en paffant, que la piece eft moins épaiffe ; les différentes
denfités des fers dont on coule les mobiles
; les différentes polirions de leur centre de gravité
; le mouvement de rotation qu’ils acquièrent,
fouvent de la maniéré la moins favorable à l’effet
du coup ; les bizarreries de la poudre dans fes effets
, bizarreries inféparables de fa fabrication, qui
ne permet pas de croire qu’il y ait deux grains dans
un baril, où les trois matières qui les compofent
foient mêlés dans la proportion convenue ; lés différentes
températures de l’air, l’affiette des plates-
formes ; la fituation des pièces fur leurs affûts ; la
pofition de leurs tourillons ; leur encaftrement dans
lés flafques ; la maniéré de charger & de refouler,
&c.- font autant d’obftacles à l’exa&itude & à la
(h) Lettre en réponfe aux obfervations, &c. pages 3s , 36
& 37-
■ 0) Si quelqu’ un pouvoit fixer les incertitudes' fur un objet àufli
important, ce feroit furement M. Béranger, commiflàire des
fontes de- 1 artillerie^ à Douai, Nous faififfons avec plaifir cette
Qccauon de rendre à fes talens & à fon intégrité toute la juftice
qui leur eft due ; mais on fait bien qu,e ce ne font pas toujours
les gens de cette trempe qui font confultés, écoutés & employés*
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perfe&iôn cherchée, enfortë que M. de Valiere etl
conclut que de mille coups de canon , tirés avec là
meme piece , à la même charge , au même dégré $
il n’y aura peut-être pas deux amplitudes exaftement
égalés. « Ces irrégularités, dit cet habile militaire ,
peuvent venir de la part de là poudre , de la part de
l’air, de la part delavîteffe de l’inflammation , dé
la part du boulet, de là part de la piece, de fon affût *
de fa plate-forme , de la part de quelques-unes de ces
caufes féparément en plufieurs maniérés, ou de toutes
conjointement (&) ».
C ’eft ainfi que s’exprimoit ce fàvant militaire fur
la théorie d’un art qu’il avoit trouvée lui-même. Per-
fonne n’aurpit été plus en état que lui de raffurer
fur ces incertitudes , s’il avoit rendu compte de la
multitude d’aftions où il fut employer Yartillerie
avec le plus grand fuccès ; la modeftie qui accompagne
toujours les vrais talens, ne lui permit pas
d’e,ntrer dans de pareils détails , puifque le fi m pie
récit des faits auroit été fon éloge. S’il a gardé lé
filence fur la partie purement mechanique de l’ar-
tillerie , citons quelques faits qui puiffent, au moins *
donner une idée de fes effets, encourager les jeunes
gens qui fe deftinent à ce genre de (èrvice,
perfuader à ceux qui n’ont aucune jconnoiffance de
cette partie de l’art militaire , qu’il n’eft pas impoffi-
ble de parvenir aux effets qu’on fe propofe. Un ea*
nonnier & un bombardier exercés, comme ils le
font prefque tous , fans favoir ce que c’eft que fluidé
élaftique , dilatation, milieu, réfiftance, après q,ueb
ques coups d’épreuve , connoîtront leur poudre ô£
leur piece , & frapperont leur but avec prefqu’au-
tant de jufteffe qu’un chaffeur peut s’en promettre
de fon rufih Nous avons vu un canonnier pointer
fa piece à un canon d’une place affiégée, duquel
il avoit été fort fatigué pendant la conftruftion de fa
batterie, & le frapper à la bouche avec tant de jufteffe
, que le boulet y feroit entré s’il n’avoit pas été
d’un trop grand calibre ; un bombardier diriger fort
mortier fur une piece de canon qui faifoit beaucoup
de défordre, fes trois premières bombes tombèrent
fur lé parapet & l’embrafure , & la quatrième fur
la piece. Les mines nous fourniroient encore bien
des exemples capables de raffurer ceux qui croi-
roient, au pied de la lettre , qu’il n’y a qu’incerti-
tude à attendre de la part de la poudre & de l’exé*
cution des bouches à feu ; mais nous craindrions
d’être trop longs. La théorie nous fait connoître les
inconvéniens poffibles, & la pratique qu’elle éclaire,
nous apprend à nous en garantir, à les prévenir ou à
les diminuer ; & avec des précautions nous parvenons
à un dégré de précifion fuffifantpour opérer, à très*
peu de chofes près, tous les effets que les différentes
cireonftanees exigent à la guerre : car il eft d’ailleurs
rarement néceffaire de frapper un feul point ; au
contraire , & fur-tout dans la guerre de campagne
ce font des maffes de troupes, des débouchés , qui
préfentent une certaine étendue, enforte qu’avec
des pièces bien proportionnées , bien placées &£
bien rrfanoeuvrées, on auroit peine à citer un exem-»
pie où notre artillerie n’ait pas rempli fon objet
où elle n’ait pas eu une fupériorité marquée fur celle
de nos ennemis.
La .révolution qui s’eft faite à la paix de 1 7 6 1 , a
bouleverfé notre artillerie encore plus que les autres •
parties du militaire. On ne pouvoit pas reprocher
à nos pièces de canon de ne pas porter jufte & loin :
des expériences de guerre, les feules peut-être qui .
puiffent infpirer une jufte confiance , avoient érabli
& foutenu leur réputation ; mais on leur a reproché
d’être trop pefantes & trop difficiles à manoeuvrer*
(/fe) Mémoire fur les charges & les portées 3 &c. page 2, Imprimerie
royale, '174W