ils étoïent fournis, par rapport à Y analogie ', n’eft
pas fenfible pour nous. Prefque rien ne nous fem-
ble bas dans les écrits des Grecs & des Latins; les
nuances délicates nous échappent * les inégalités du
ftyle ont dïfparu dans l’éloignement» Nous fommes
bien juges des chofes, mais nous ne le fommes
plus des mots ; & ce n’efl guère que fur parole
que nous croyons Térence 6c Horace plus élégans
que Plaute & Juvenal.
Il y a de pins entre l’expreffion & la penfée,
une autre efpece d'analogie, & celle-ci eft donnée
ou par là nature ou par l’habitude.
Quand la parole exprime un objet qui, comme elle,
affefte l’oreille, elle peut imiter les fons par desfons,
la vîteffe par la vîteffe , & la lenteur par la lenteur,
avec des nombres analogues» Des articulations molles
, Faciles & liantes, ou rudes , fermes 6c heurtées
, des> voyelles fonores, des voyelles muettes,
des fons graves, des fons aigus, & un mélange de
ces fons plus lents ou plus rapides fur telle ou fur
telle cadence, forment des mots q u i, en exprimant
leur objet à l’o reille, en imitent le bruit ou
le mouvement, ou l’un & l’autre à la fois, comme
en latin: boatus , ululants , fragor, frendere, fremi-
tus ; en Italien, rimbombare , tremare ; en François,
hurlement, gazouiller , mugir.
■ C’eft avec ces termes imitatifs , que l’écrivain
forme une fucceffion de fons0qui, par une ref-
femblance phyfique , imitent l’objet qu’ils expriment
:O
lli inter fefe magna vi brachia tollunt
In mimer um. . . . .
Soupire, étend les bras, ferme l'oeil & s'endort*
Les exemples de cette expreffion imitative font
rares, même dans les langues les plus poétiques.
On a mille fois Cité une centaine de vers Latins ou
Grecs, qui par le fon 6c le mouvement, reffem-
blent à ce qu’ils expriment. Mais plût au ciel que
notre langue n’eut que cet avantage à envier à
celles d’Homere & de Virgile !
Une analogie plus fréquente' dans les poètes anciens
& dans nos bons poètes modernes, eft celle
du ftyle qui peint, non pas le bruit & Je mouvement
, mais le caraftere idéal ou fenfible de fon
objet. Cette analogie confifte non-feulement dans
l’harmonie, mais fur-tout dans le coloris. Alors
le ftyle n’eft pas l’écho , mais l’image de la nature.
Il eft doux 6c lent dans *la plainte, impétueux dans
la colere , rompu dans la fureur. Il peint le calme
des pallions comme celui d’un nuit tranquille ; il
peint le trouble des efprits comme celui aes élé-
m'ens.
Ilia graves ûcülos conata attollere , rurfus
Déficit, lnfixum firidet fub pectore vulniis,
Ter fefe alto liens ; cubi toque innixa levavit ;
Ter revoluta tord ejl. Oculifque errantibus alto
Qucefivit cczlo lucem, irigemuitque repertâ-.
Cette forte d’analogie fuppofe un rapport naturel
, 6c une étroite correfpondanee du fens de la
vue avec celui de l*ouie, 8c de l’un & l’autre, avec
le fens intime , qui eft l’organe des pallions. Ce
qui eft doux à la vue nous eft rappellé par des fons
doux à l’oreille , 8c ce qui eft riant pour l’ame,
nous eft peint par des couleurs douces aux yeux.
H en eft de même de tous les caraôeres des objets
fenfibles ; le tour ,1e nombre, l’harmonie le coloris
du ftyle peut en approcher plus ou moins ; ,
mais cette reffemblance eft vague , & par-là peut
être plus au gré de l’ame qu’une imitation fidelle;
car elle lui lailfe plus de liberté de. fe peindre à
elle-même ce que l’expreflion lui rappelle : exercice
doux 8c facile qu’elle fe plaît à fe donner.
\2analogie d’habitude eft celle que des impreffions ■
répétées ont établie entre les fignes de nos idées*
'& nos idées elles-mêmes.
C ’eft j comme hous l’avonS dit, là première réglé
de l’art de parler & d’écrire, que l’expreffion réponde
à la penfée. Mais obfervons que cette liai-
fçn qui l^plüs fouvent eft commune à toute une
filiation^ d idees 8c de mots , eft quelquefois auffi
particulière 8c fans fuite, fur-tout dans le langage
métaphorique. On dit la vertu des plantes , on ne
dit pas des plarites vertueufes. On -dit que ■ le travail
eft rude, & on ne dit point la rudeJJ'e du travail.
. On dit voler à fleur d'eau , & on ne dit pas que l’eau
effifiemie. On dit le myfiere pour le fecret, & on ne
dira point (comme a fait le traducteur des pôéfies de
Utz, poète lyrique allemand ) lesmyrtkes myjléàeux,
pour dire qui font Pajylè du myfiere. Quelquefois
même un fimple déplacement des mêmes mots
change le fens : achever de fe peindre, ÔC s'achever de
peindre, ne lignifient point la'même chofe. L’analogie
des mots entre eux n’eft donc pas une raifon de les
appliquer à des idées analogues entre elles. L’ufage
n’eft pas conféquent*
Obfervons aufli que la liaifon établie entre les
mots 8c les idées , eft plus ou moins étroite , félon
le degré d'habitude ; & que de-là dépend fur-tout
la vivacité;, la force, l’énergie de l’expreffion»
Toutes les fois qu’on veut dépouiller une idée
d’un certain alliage qu’elle à contracté , dans fon
expreffion commune 3 en s’aflbeiant avec des idées
baffes, ridicules 8c choquantes, on fait bien d’éviter
le mot propre, c’eft-à-dire le mot d’habitude. De
même lorfque par des idées accefloires on veut relever
, ennoblir une idée commune , au lieu de fon
, expreffion fimple & habituelle, on a raifon d’y employer
l ’artifice de la métamorphofe ou de la circonlocution.
Lorfqu’Egifte parlant à Mérôpe, veut lui donner
de fa naiffance l’idée noble qu’il en a lui-même -
il ne lui dit pas, mon pere efl un-honnête villageois ;
il lui dit:
Sous ces rufiiques toits Thon père vertueux
Fait le bien , fuit les loix , & ne craint que les dieüxl
Lorfque Don Sànche d’Aragon, avec plus de hauteur
8C plus de fierté, veut reconnoître fans détour
l’obfcurité de fon origine , il dit avec fran-
chife :
Je fuis fils a un pêcheur.
Ces deux exemples font affez fentir dans quelles
circonftances il eft avantageux d’employer le mot
propre , 8c dans quelle autre la*métàmorphore ou
la circonlocution.
Mais où le mot propre a l’avantage & ne peut-
être fuppléé, c’eft dans les chofes de fentiment,
à caufe de fon énergie * c’eft-à-dire à eaufe de la
promptitude 8c de la force avec laquelle il réveille
l’impreffioti de fon objet. Voyez cette exclamation
de Bofluet, qui fit une fi forte impreffion fur fon
auditoire, dans l’oraifon funebre d’Henriette : madame
fe meurt, madame efl motte !
Comme les lieux qui nous ont vu tlaître, 8c que
nous avons habités dans l’âge de l’innocence &
de la fenfibilité, nous rappellent de vives émotions,
& occafionnent des retours intéreflans fur nous-
mêmes ; ainfi, 8c par la même raifon, notre première
langue réveille en nous à tous momens dès
affeftions perfonnelles dont l’intérêt fe réfléchit. Ce
qu’on nous a dit dès nos plus jeunes ans, ce que
nous avons dit nous-mêmes d’affeftueux & de fen-
fible, nous touche bien plus vivement lorfque nous
l’entendons redire dans les mêmes termes , & dans
des circonftances à-peu-près femblables : ah mon
pere ! ak mon fils ! Som mille fois plus pathétiques
pour moi qui fuis françois, qu'heu pater! heu fili l
&
8c feXpremon- s’affoiblk encore fi l’on rraduit les
noms de fils 6c dp pere par ceux de nate & de genitor*
dont le fon n’eft plus reffembjant.
L’abbé du BoS explique Paffoibïiffeïnent de la
penfée ou du fentiment exprimé dans une langue
étrangère, par une efpece de tradu«ftion qujfe fait,
d it-il, dans 1*efprit, comme lorfqu’un françois entend
le mot’ anglois God, il commence par le traduire,
8c Ce dit à lui-même Dieu, enifuite il penfe
à, l’idée que ce mot exprime , ce qui ralentit l’effet
de l’expreffion, & par copféquent l’affoiblit.
Mais la véritable caufe de cet affbibliflèment,
c’ eft que le mot étranger, quoique je l’entende à
merveille, fans réflexion ni délai, n’eft pas lié dans
ma penfée avec les mêmes impreffions habituelles
& primitives, que le mot de ma propre . langue ;
& que les émotions qui fe renouvellent au fon du
mot .qiii les a produites , ne, fe réveillent pas" de.
même au fon d’un mot étranger , & fi j’ofois le
dire , infolité à mon oreille & à mon ame. Ainfi
quoiqu’il'y,ait beaucoup à gagner, du côté de l’abondance
& de la nobleflè , à écrire dans une langue
morte, parce qu’elle n’a rien de trivial pour
nous , il y a encore plus à perdre du côté de l'analogie
& de la fenfibilité-.
Pour ce qui regarde le ftyle métaphorique &
l'analogie des imagés., foitavec la penfée , foit avec
elles-mêmes, voye^ Im a g e s { B elles-Lettres.) Suppl»
( M. MARMONT EL, )
§ ANALYSE, ( Mathématiques.') Le judicieux &
profond écrivain qui a compofé l'article A n a l y s e
du Dictionnaire des Sciences, Sic. s’eft borné au fens
que les modernes donnent à ,ce mot; & dans ce
fens il a traité ce fujét d’une manière digne de lui
dans l’article-Cité & dans les autres auxquels il ren- •
voie. Cependant je ne crois pas inutile de dire quelque
chofe de la méthode des anciens".
L'walyfiç, dir Pappus dans’la préface du feptièmé'.
livre de /es Collections mathématiques * eft la méthode
dq parvenir, par des eonféquencés néceffai-
res depuis ce qu’on cherche, & qu’on rega.rde «Somme
déjà trouvé , à’ une conclufion qui fournifie 'la', rë-
ponfe à la queftion propofée,, c’gft-à-dire . à une
propofition connue & mife au nombre des principes.'
Le but de l'analyfe eft ou de découvrir la vérité,
ou de trouver le moyen d’exécuter ce qu’on .s’eft
propofé. Confidérée fous le premier point de vue,
Y analyfe s’appelle théorétique ; elle.fuppofe certaine
la propofition douteufe , & en tire des conféquen-
ces jufqu’à ce qu’elle parvienne à une cbncîufion
manifefteraent vraie ou nianifeftemeût fauffe. Dans
le premier cas la propofition pfifé pour vraie,Teft
réellement, & dans le fécond cas elle eft fauffe.
Sous la fécondé face Xanalyfefie piomrpeprobfima- !
tique / elle regarde comme fait ce qiî’ori doit faire,
■ 6c tiré de cette fuppofitioa des confëquences jufqu’à
ce qu’elle parvienne à une conclufidn évidemment
poffibleêc exécutable,ou certainement impof- ■
fible ; dans le premier cas , le problème eft poflible ; :
dans le lecond il eft impoffible ; toujours il eft ré-
foKi , comme'il" eft manifefte.
... Je me. fuisfervi du n\ot exécutable pour rendre
le' nou?» dés Grecs , parce que : les’:anciens diftin-
guoient, pour ce qui concerne''les problèmes, ce
que nous favons ôc'pouvons exécuter de ce qui eft
poffible en fo^, mais que npxis ne pouvons pas déterminer.
Ainfi la trifeêïion" de l’angle eft pbffiblé
e?n^ i » effe<eftpoffible géométriquement,
ceft-à-dire î par la ligne droite & le cercle : la quadrature
indéfinie du cercle eft poffible en elle-
meme ; mais -nous ne la coqpoiflpns pas. Les anciens
ne.regar.dqient pas comme pleinement & géométriquement
réfolu un problème qui étoit ramené
Tome L
à la trifeâion de l’angle ou à la quadrature du
cercle.
Lai dit (|ue la quadrature indéfinie du Cercle eft
poffible ; j’âi voulu, dire que l’impoffibilité de trouverun
efpace terminé par des droites 6c égal à la
nirface d un fegment dp cercle quelconque, n’eft
pas demontree. Au refte je fais qu’il eft démontré
qu on. ne peut pas exprimer par nombres la vraie
railon du diamètre à la circonférence. Ainfi je regarde
comme impoffible la quadrature arithmétique
du cercle , mais je crois très-poffible la quadrature
géométrique ; nous en avons, un exemple dans les
Lunules d’Hippocrate. Revenons»
Les anciens n’avpient rien qui reffemblât à notre
calcul : ils pratiquoient leur analyfe à force de tête»
Pour en diminuer la difficulté, ils avoient compofé
.des livres qui eontenoient la folution détaillée de
quelques problèmes généraux , auxquels ils tâ-
choient de ramener les autres. La note de ces
livres fe trouvent dans le Dictionnaire des Sciences ,
o ç ç . f article Analyse). Ainfi,l’on regardoit comme
refplu un problème qui étoit réduit à .celui de faire
paffer un cercle par deux points donnés, enforte
qu il touchât une droite donnée de pofition ; parce
que ce dernier problème étoit réfolu dans le traité
de Taclionibus d’Apollonius,
4 ^ nous refte des écrits analytiques des anciens
que les Data d’Euçlide, & le traité de fectione
ratiqnis d’Apollonius. Nous devons ce dernier à l’étonnante
patience & à la merveilleufé fagacité du cé-
(ebre Edmond Halley qui le traduifitde l’ Arabe qü’il
ignoroit. FeuM.Simfon,profeffeur à Edimburg,a fort
bien reftitiip tes lieux plans d’Apollonius.. Quelques
autres traités ont été'rétablis par d’autres auteurs
qui tous fe font fervis de l’algèbre, 6c ont fourni
une tâche qui de cette maniéré n’étoit pas fort difficile.
« Mais, dit Halley, autre chofe eft réfoudre
» en quelque façon un problème , ce qu’ordinaire-
» nient on peut exécuter de plufieurs maniérés dif-
» férentes ; autre chofe-eft le réfoudre par la mé-
» thode la plus élégante, en faifant ufage de Yana-
» l$fe la Pll>s courte & la plus claire , & de la fin-
»-thefe ou cpnftru«aion la plus convenable & laailus
facile *>, Ç’eft ce que les anciens ont fait, &c. ( Ve-
rum perpendum efl, aliud ejfe problema aliqualiter refo-
luttent dure, quod modis variés plerumque fieri potefl,
aliud methodo elegàniijfimd -idipfuni. efjficer.t, analyfi
breyijjima 6* Jtniul perfpiçuâ, fyntheji èoncinnâ & mi-
mmè operofâ. Hoc veteres proeflitijfe, argumemo efl
Apcflonii liber, quem in prajentarium tibi Jîfiimus*
Halley , praf. ad Apoll. defect. rat. circafihem).
Si nous en croyons get homme illuftre , qui certainement
poffédoit les calculs des modernes, la méthode
des anciens difpute à l’algèbre l’avantage de
la.facilite , & l’emporte de beaucoup fur elle par
l’évidence & l’élégance de fes démonftrations ( me-
.thodus hoec cum algebra fpeciofa facilitate contendit,
evidentiâ verà & demonfiratiônum degantid eam lon°6
fuperare yidetur. Halley Ïoc. cit. pag.fi). Je ne vais
■ PQê A foin* A mon avis les découvertes étonnantes
que; les modernes ont faites dans la phyfique & dans
•les mathématiques, font uniquement dues à leurs
calculs. Pour s’elever au-deffus des connoiflances
Ordinaires, les anciens dévoient péniblement eittaf-
fer raifonnement fur raifonnement , comme les
.géans entafferent montagne fur montagne pour escalader
les ci e ux. Les modernes, comme Dédale, fe
font fait, des ailes, avec lesquelles ils montent aifé-
ment aux plus fublimes régions auxquelles puiffe s’élever
l’entendement humain, Ceux qui ont perfectionné
les calculs, & qui les perfectionnent journellement
avec tant de peine 6c avec tant de fagacité ,
méritent toute notre admiration & toute notre re-
connoiffance.
C c c