
Férocité de Fes derniers usurpateurs, des villes écra-
fées des campagnes vouées à l’infertilité, de vaftes
folitudes, des bourgs fans habitans, des champs fans
cultivateurs ; l’induftrie . étouffée , le commerce
anéanti, les loix oubliées, les moeurs corrompues,
l’adminiftration publique dirigée par l’ignorance ou
par l’avidité, plus funefte que l’ignorance; l’indigence
, la mifere 6c la famine prêtes à dévorer le
refte des fujets échappés à la barbarie Danoife. Quel
affligeant fpe&acle pour le coeur compatiffant à’A lfred!
& quel autre que lui eût pu feulement efpérer
de ramener quelque ordre dans fes états, 6c de remonter
la machine du gouvernement, fi cruellement
dégradée, écrafée par tant de violences, de chocs 6g:
de fecouffes 1 Ce qu’il y avoit de plus preffant étoit
de prévenir de nouvelles invafions, 6c de mettre les
côtes britanniques à l’abri des defcentes des pyrates.
Dans cette vuè, Alfred fe hâta de former une marine
qui pût fervir de défenfe naturelle : il fit conftruire
& perfectionner la conftru&ion des vaifleaux ; en-
fuite il engagea, par fon exemple, fes difcours, des
éloges, des récompenfes, fes fujets à s’appliquer à
l’art de la navigation, & à celui de combattre fur mer.
Cette marine naiffante fe fignala bientôt par une
victoire éclatante contre des pyrates Danois qui
tombèrent au pouvoir de la flotte Angloife. Ce triomphe
acheva d’intimider les Danois qui, ne pouvant
plus efpérer de faire des courfes heureufes, furent
contraints de refpeCter les côtes britanniques , qu’ils
avoient tant de fois infultées. Le moyen le plus
prompt qu'Alfred crut devoir prendre pour faire
ceffer l’indigence qui accabloit fes peuples, fut de
rétablir le commerce ; 6c pour y parvenir, il céda
aux plus habiles commerçans du royaume un grand
nombre de vaifleaux, qui, paffant en Afie, 6ç ramenant
de riches cargaifons, excitèrent plufieurs cir
toyens à commercer auffi ; enforte qu’en moins
#d’une année l’Angleterre fi.it le centre du commerce
de l’Europe 6c de l’Afie. A ces premiers bienfaits
fuccéderent le rétabliffement des beaux-Arts, 6c la
reconflruCfion des villes. Alfred appella dans fes
é tats, par dès diftinCtions flatteufes, & par l’attrait
des récompenfes les artiftes & les ouvriers les plus
habiles de l’Europe. Il fit élever des palais, apprit à
fes fujets à bâtir en pierre & en brique, aggrandit &
décora Londres, & la plupart des villes des provinces;
établit des manufactures qui, hâtant le progrès
du commerce britannique, déjà très-floriffant,
animèrent l’agriculture par le produit que rappor-
toit aux cultivateurs l’emploi que l’on failoit des madères
premières dans le iein de l’état même. Un roi
fa g e , éclairé,peut faire, lorfqu’il le defire, le bonheur
de fes fujets; mais ce bonheur n’eft que momentané,
lorfqu’il ne prend point les moyens de
perpétuer les établiflemens utiles qu’il a formés ; car
il eft rare alors que les inftitutions paffent au-delà
de la génération qui les a vu s’établir. Alfred penfa
que la feule maniéré de rendre fiable & permanente
la gloire de fon régné, étoit de pénétrer le coeur
des citoyens, lors même qu’il ne feroit plus, du
zele qui l’animoit lui-même pour les fciences, les
beaux-Arts, les vertus fociales, l’amour de la patrie.
11 n’y a que le fecours des études, il n’y a qu’un plan
fuivi d’éducation nationale qui foient capables de
donner aux jeunes citoyens 6c de perpétuer de race
en-race les fentimens 6c les connoiflançes qui doivent
diftinguer & cara&érifer tous les fujets d’un
même état. Dans cette vue , Alfred érigea des colleges
dans les villes principales, 6c fonda l’univerfité
d’Oxford : inftitution qui feule eût fuffi pour l’im-
mortalifer. .
S'il y avoit moins d’unanimité dans les anciens rédacteurs
des annales Britanniques, je ferois tenté de
croire qu’ils ont attribué au feul Alfred, ce qui n’a
été fait que fuccefliyement .& fous les régnés de plufieurs
foüyerains : mais on ne peut fe méprendre ,
foit à l’unanimité de ces hiftoriens , foit à l ’uniformité
du principe qui me paroît avoir dirigé le grand
Alfred dans toutes ces inftitutions. Tout autre que
lui fans doute, eût cru faire beaucoup, de garantir
fon royaume des différentes eritr.eprifes que les
Danois, toujours humiliés & toujoursremuaqs, tentèrent
pour recouvrer leur ancienne fupériorité ;
mais à peine ils a voient fait une invafion, qu’ils
étoient repouffés par Alfred'.qui, fans ceffer de les
foumettre 6c de leur pardonner , ne paroiffqit s’occuper
que du foin d’affurer la durée , 6g d’ajouter à
l’utilité des établiflemens qu’il avoit fondés. Toutefois
il méditoit un ouvrage plus vafté ; & qui feul
eût rempli tous les momens du régné le plus long
6c le plus paifible. Cet ouvrage fi digne du génie Se
de l’ame à!Alfred, étoit la réda&ion des anciennes
loix Saxonnes liées à des nouveaux réglemens ; ce
corps de loix étoit fans contredit l’un des plus fages
codes qui eût paru jufqu’alors, 6c la feule législation
qui pût être donnée aux Anglois attachés aux
coutumes nationales 6c aux anciennes loix Saxonnes.
Le îems 6c les révolutions qui fe font fuçcédés depuis
les premières années du X fiecle jûfques vers
la fin du X V , ont caufé bien des défaftres en Angleterre
comme ailleurs. Mais la perte la plus irréparable
a été celle de ce corps de loix : on fait feulement
que c’eft à lui que la jurifprudençe Angloife
doit fon origine, 6c qu’il doit être aufîi regardé
comme la bafe de ce qu’en Angleterre on appelle
droit-commun. On fait enfin ^ A lfr e d s’attacha moins
à donner des loix nouvelles qu’à réformer .& à
étendre les inftitutions antérieures qui n’étoient pour
la plupart que les coutumes & la Jurisprudence fuir
vies pendant PHeptarchie, 6ç jadis introduites par
les Saxons. ( Voy. Angleterre, fu p p L ) .
La légiflation à'Alfred eut le plus grand fuccès ;
par elle le brigandage, trop long-tems toléré, le
v o l, le pillage, les crimes de toute efpeçe furent
réprimés, ou par le châtiment , ou par la réfprma-
tion des moeurs , qui s’adoucirent 6c changèrent en
peu de temps , au point que l’on raconte encore ,
d’après les analiftes du X fieçle , qu’Alfred, un jour
afin d’éprouver fes fujets. fufpendit des. bracelets
d’or au milieu d’un grand chemin ; qu’ils y refterent
plufieurs jours, & que perfonne n’eut la témérité ou
le defir d’y to.ucher.
Mais ce ne furent ni les lo ix , ni les inftitutions
d'Alfred, ni fa valeur,ni fes bienfaits qui contribuèrent
le plus à la réformation des moeurs. 6c au progrès
des fciences ; ce fut l’exemple qu’il donna des
.vertus douces 6c utiles ; ce futl’affiduité confiante-
avec laquelle il fe livra lui-même à l’étude des connoiflançes
humaines, malgré la multitude & l’importance
des affaires qui l’accabloient. Cette étude ne
fut point ftérile ; peu d’hommes ont été auffi fayans
que lu i, 6c nul de fes contemporains n’a écrit aufîi
utilement ni autant de bons ouvrages, ; car on fait
qu’outre plufieurs écrits vraiment philofophiques
dans lefquels il publia fes idées, morales fous le voile
ingénieux de l’apologue 6ç de l’allégorie, Alfred tra-
duifit en Saxon le dialogue de faint Grégoire , le
traité de Boece de la confolation de la Philofophie,
les pfeaumes de David, l’Hiftoire d’O ro fe, celle
d’Angleterre d’après Bede, 6c les fable$ d’Efope.
De tous les.fouverains qui ont honoré le ti'ône,
Alfred eft le feul depuis l’inftitution de la royauté ,
q ui, avec un tempérament foible 6c très-fouvent
malade, ait livré en perfonne cinquante batailles
foit fur terre, foit fur mer;.le feul qui après, être
remonté fur le trône 6c avoir rétabli les moeurs, après
avoir délivré fa patrie des fléaux qui la ravage oient,
après avoir donné un excellent code de lo ix, foit
devenu dans un fiecle d’ignorance, & par les feules
forces de fon génie, bon grammairien , vrai philo-
fophe , orateur éloquent , hiftorien exaét, poète
aimable, excellent muficien , grand architeâe &
bon géomètre. Par quels moyens heureux A l fred
put - il fe livrer tour-à-tour à des occupations
fi variées , acquérir tant de connoiflances , 6c tranf-
mettre à la poftérité des preuves fi multipliées de
fon érudition ? Par le fage emploi du tems dont il
connut le prix ; par l’emploi bien combiné du temps
qui mene à tou t, quand on fait en ufer. Il parta-
geoit le jour en trois portions égalés , l’une pour
fon fommeil 6c la reftauration. de fes forces par les
alimens & l’exercice ; l’autre pour les affaires du
gouvernement, & la troifieme pour l’étude & l’exercice
de la religion. Afin de mefurer exactement fes
heures, il fefervoitde flambeaux d’un volume.fem-
blable , qu’il allumoit les uns après les autres dans
une lanterne, expédient ingénieux pour un fiecle
groffier, où la géométrie des cadrans & le mécha-
nifme des horloges étoient tout-à-fait inconnus.
Des talensfidiftingués , des vertus auffi éminentes
méritèrent à Alfred le furnom de grand, auquel la
poftérité a jugé qu’il avoit plus de droit que tant
d’autres rois malfaifans , qui, nés pour la ruine de
leurs fujets, & la défolation des nations voifins, ont
ofé l’ufurper. A juger du regne $ Alfred par les
grandes chofes qu’il fit, on croiroit qu’il a été d’une
très-longue durée ; cependant ce prince vertueux, le
modele des rois qui veulent être juftes , ne mourut
âgé que de cinquante-deux ans en 900. Il n’en avoit
régné que vingt-neuf. Sa mort fut un fujet de deuil
pour fes fujets , de joie pour les ennemis de l’Angleterre
, 6c de regrets pour la plupart des fôuverains
Européens, qui le regardoient après Charlemagne,
moins grand peut-être, comme le plus vertueux prince
que l’Europe eût vu naître, 6c comme le plus
fage 6c le meilleur des rois. ( L. C. )
ALGAROT ou Algerot (poudre d?) Chimie &
’Thérapeutique. Voye^ ANTIMOINE. (Chimie) Dict. des
fciences. 6cc.
§ ALGARVEo« Algarbe, ([Géogr.') province de
Portugal bornée au nord par FEntre-Teio e Guadiana
& au fud par l’Océan. On lui donnoit autrefois le
nom de royaume & on y comprenoit alors une partie
de l’Andaloufie, de la Grenade 6c du royaume
de Fez en Afrique. Elle n’a aujourd’hui, telle qu’elle
eft, que trente à'trente-deux lieues de longueur fur
fix à fept de large. Le froment, les figues, les olives
les amendes , les dattes 6c les raifins font fes
productions principales 6c fon premier ôbjetde commerce.
On y trouve fix villes , dont la capitale eft
Farô. On y compte douze bourgs, foixante-fept pa-
roiffes 6c foixante mille habitans. L’extrémité la plus
méridionale de VAlgarve, eft le cap de Saint-Vincent,
où l’on fait ordinairement une pêche affez abondante.
( c .^ . y
A L I , (Hiß. des Califes. Hiß. des fectes relig.') fils
d’Abu Thaleb, étoit coufin-germain de Mahomet
qui dans la fuite, le choifit pour fon gendre ; les
Mufulmans, pour relever fa gloire , difent qu’il fut
le premier difciple du prophète , 6c même qu’il fit
profeffion de l’iflamifme dans le ventre de fa mere
qui le mit au monde dans le temple de la Mecque ;
fis ajoutent que par des impulfions fecrettes , il
l’empêchoit dé fe profterner devant les fimulacres
des faux dieux ; ce fut ainfi qu’avant d’être citoyen
du monde , il en combattit les erreurs. Lorfque
Mahomet eut forme le deffein de déclarer fon apof-
tolat, A l i , âgé de neuf ans , fut choifi, par cet im-
pofteur, pour être fon lieutenant ou fon vifir. Comme
la fe fte naiffante ne comptoit point encore de nombreux
profelites , cette dignité n’impofoit point d’obligations
qui exigeaffent des lumières & de l’expénence.
C’eft à cet âge que le coeur fufceptible de
toutes fortes d’impreffions eft ouvert à la féduCtion.
A li_naturellement complaifant & docile, fut bientôt
/ fiibjugué par le ton impôfant du prophète. La gloire
detre aflocie aux fonctions de l’apoftolat-, facilita
les progrès de la feduCtion, 6c quoiqu’il eût une
conception vive & facile, quoiqu’il eût le goût de
tous fes arts, il tint fa raifon captive fous le joug
des préjugés. Sa foumiffion aux volontés du prophète,
6c fon imbécille crédulité le firent regarder
comme l’inftrument le plus propre à élever l'édifice
de la. religion naiffante, dont l’auteur avoit coutume
dé dire , A li eft pour m o i, & je fuis pour lu i, • il
tient auprès de moi le même rang qu’Aaron tenoit
aiiprès de Môyfe : je fuis la ville ou l'a véritable
fcience eft renfermée , 6c A li en eft Importe.
Auffi-tôt que l’âge lui permit de faire l’effai de fon
courage , il donna des témoignages d’une intrépidité
impétueufe qui fe précipitoit dans les dangers, 6c
fembloit défier la mort. Mahomet l’employoit dans
les occafions fes plus périlleufes, afluré que l'exemple
de fon courage transforrhoit fes plus pufillanimes en
héros. La religion qui devroit adoucir les moeurs,
lui avoit infpiré une férocité brutale dans la guerre ,
dont il fe dépouilloit dans la vie privée. Il fembloit
qu’il eût deux natures. Guerrier, cruel 6c fans pitié ,
il étoit dans les emplois pacifiques humain 6c com-
patiffant. Ce fut fur-tout dans les combats particuliers
qu’il fignala fon courage 6c fon adreffe. II
en fortit toujours vainqueur, & les trophées fes
plus chers à fon coeur , étoient les têtes de fes ennemis
tombés fous fes coups. Son courage s’aviliffoit
par fes minifteres dont le prophète aVoit l’indignité
de le charger. Il l’envoyoit couper-des têtes, ou
percer 1e coeur des rebelles 6c des incrédules ; l’emploi
de bourreau , loin d’être ignominieux, étoit alors
chez fes Arabes un miniftere de gloire 6c de noblefîè,
parce qu’il ne s’exerçoit que contre les ennemis de
Dieu.
A la mort de Mahomet, les droits de la naiffance,
fes talens militaires 6c le mérite perfonnel appel-
loient A li au califat, 6c comme il n’avoit point dé-
lïgné de fucceffeur, il femble qu’on devoif fuivre
l’ordre de la nature. Un fi riche héritage fut envahi
par une faction puiflante qui éleva Abu-Becre au
califat. C’étoit un pieux fanatique qui avoit vieilli
dans une éternelle enfance ; il n’étoit recommandable
que par cette auftérité de moeurs-qui en impofe
davantage que l’éclat 6c la folidité des talens fur-
tout dans .la chaleur d’une fefte naiffante. A li exclu
d’une dignité fi éminente, ne put diffimuler fon ref-
fentiment. Mais il étoit trop foible pour en faire
reffentir les effets. Ses partifans perfifterent en fe-
cret à le reconnoître pour: légitime calife 6c Abu-
Becre pour un ufurpateur.
La même faction qui avoit déféré cette dignité
à AbiuBecre , y éleva après fa mort le farouche
Omar , qui né pour la guerre la fit toujours par fes
lieutenans. A li, privé pour la fécondé fois du califat,
fouffrit cette injuftice fans murmurer , 6c même il
aida de fes confeils l’ufurpateur qui lui fut redevable
de fes profpérités, jufqu’au moment qu’il fut affaffiné.
Il ne aéfigna point fon fucceffeur, 6c lorfqu’on lui
confeilladè nommer A li, il répondit que fes moeurs
n’étoient point affez graves pour remplir une place
qui exigeoit un extérieur férieux. Othman lui fut
encore préféré. Son régné fut orageux, l’efprit de
révolte fe répandit dans les provinces. Othman
affiégé dans fon palais par fes rehelles, implora le
fecours d’A li qui fut affez généreux pour oublier
qu’il avoit été offenfé. Ses deux fils furent détachés
pour défendre le palais , 6c leur préfence en impofa
aux rebelles ; mais ces deux princes s’étant éloignés
pour chercher de l’ea u , les mutins profitèrent de