
il réfulte du procès-verbal des épreuves, que depuis
l’horizontale, jufqu’à f ix degrés inclufivement,
fl y a eu 3 5 coups fur 45 en faveur de la piece
longue, & 10 feulement pour la piece courte: fur
quoi il faut remarquer que ces dix coups favorables
à la courte , ont tous été fous l’horizontale &
fous trois degrés , dire étions fous lefquelles, Suivant
le procès-verbal, les ricochets de la piece
longue ont été confidérablement plus loin que ceux
de la piece courte ; de forte qu’ayant egard aux
ricochets , comme on a fait voir ,quon le devoit,
il n’y aura peut-être pas un feul coup pour la piece
courte, fauf les accidens & erreurs inévitables qui
doivent avoir été quelquefois en fa faveur. Comment
ne pas conclure que la différence dans les
portées totales, c’eft-à-dire, y compris les ricochets,
eft affez grande pour qu’un artilleur inftruit ne puiffe
pas la regarder comme de peu de confequence ?
puilqu’avec la piece longue , on pourra afliirer fes
coups, dans le tems qu’avec la courte, on ne pourra
tirer qu’à coups perdus, & qu’on pourra prendre
des directions obliques & croifer fes feux , dans le
tems qu’avec la piece courte, on ne pourra employer
que le feu direét. »
L’expérience a donc confirmé ce qu’avoit indiqué
la théorie , qu’une piece courte, toutes conditions
«gales d’ailleurs, a une moindre portée qu’une
piece plus longue de même calibre ( Voy. C a n o n
de bataille., Suppl. ). Les partifans des pièces courtes
convinrent en effet, après les expériences de 1764»
que les portées de ces dernier es font moindres que
celles des pièces longues, d’environ 50 à 60 toiles;
or-dans combien d’occafions cette diminution de
portée n’efl-elle pas une perte réelle ? s’il s’agit de
favorifer un paffage de riviere que nous voulons
exécuter, ou de nous oppofer à ce que l’ennemi
conftruife fes ponts & la paffe ; quel avantage ne
doit-on pas fe promettre des pièces qui auront la
plus longue portée dans ces fortes d’occafions, où
les finuofités d’une riviere, fa grande largeur, fes
bords fangueux & bourbeux , ne permettent pas
toujours de choifir l’emplacement le plus à portée
de l’objet qu’on veut battre ? L’expédient qu’ont
propofé les novateurs, de porter les pièces courtes
plus en avant, poûr regagner cette diminution de
portée, n’eft donc pas admifiïble dans ce cas, &
lorfque des marais, des rivières, des ravins & autres
obftacles, en empêchent abfolument. De quelle
conféquence n’efl; - il pas d’ailleurs d’atteindre l’ennemi
à une diftance où fes boulets ne peuvent
pas venir jufqu’à vous ? vous empêcherez fes
manoeuvres & fes difpofitions, vous démonterez
fes pièces, avant qu’elles aient été mifes en batterie
à la portée qui leur convient. S’il eft queftion
de s’oppofer à un débarquement, ne comptera-
on pas pour quelque chofe la poffibilité de tirer
fur des batteaux, & de les atteindre à une plus
grande diftance ? & quel défordre.n’y jetterez-vous
pas en brifant les rames, en emportant les rameurs,
& en coulant les batteaux à fond ? Nous pourrions
citer d’autres circonftances , où la longueur de la
portée eft d’une très-grande conféquence ; mais tout
militaire qui a quelque expérience fe les repréfen-
tera aifément, & concevra l’importance d’avoir des
pièces qui, dans des proportions plus exaftes que
celles des ennemis, aient fur elles une fupériorité
marquée. Obfervons encore que la piece qui porte
le plus loin, imprime au boulet une plus grande
vîtefle , & par conféquent une plus grande force ,
d’où il réfulte un grand avantage, lorfqu’il eft queftion
de rompre & d’ouvrir des retranchemens, des
abattis, des paliffades, les murs de quelques portes,
& autres obftacles dont l’ennemi, qui connoîtroit
la .nature de vos armes, ne manqueroit pas de fe
couvrir pour vous réduire à l’impoflibilité de l’at»
taquer autrement que par une infulte de vive force*
où l’on perdroit beaucoup de monde avant de
réuflîr. Si le principal mérite du canon eft de préparer
le chemin à la viftoire, il paroît effentiel d’employer
des pièces qui puiffent. imprimer au boulet
une vîtefle affez grande pour atteindre de très-loin,
& une force fuffifante pour détruire lés différens
obftacles que l’ennemi peut oppofer dans la guerre
de campagne. Remarquons de plus que pour rapprocher
les portées des pièces nouvelles de celles
des pièces anciennes , on a augmenté le diamettre
des boulets, afin qu’ayant moins de vent, ils laif-
faffent moins de vuide entre leur furface & les
parois intérieures des pièces ; d’où il réfulte la difficulté,
pour ne rien dire de plus, de tirer à boulets
rouges au befoin; car chacun fait que le fer, comme
les autres métaux, augmente de volume étant
chauffé, & les boulets,' dans cet état de renflement
, nè peuvent plus entrer dans, leurs pièces.
Ajoutons encore que ces pièces feroienttrop courtes
pour être exécutées dans des embrafures , reffource
qu’on ne pourroit pas fe procurer dans les occa-
fions où il feroit avantageux de s’en fervir. Le recul
des pièces courtes a encore des inconvéniens qui
peuvent tirer à conféquence ,- car il a été vérifié
plufieurs fois que le recul de la piece ancienne de
1 z fur un terrein ordinaire, étant de 3 à 4 pieds,
celui de la piece de douze courte, étoit de 14 à 16.
« C’eft en vain, dit le procès-verbal des épreuves
faites à Douai, qu’on voudroit pallier les reculs
exceffifs de la piece de 4 courte , on en a fenti
les inconvéniens ; on a prévu l’embarras de regagner
continuellement un terrein perdu, & ceux qui
en doivent réfulter, à caufe de l’aflfociation des
pièces courtes avec l’infanterie : on a prévu enfin
que la piece longue, dont le recul eft plus que
moitié moindre , pourroit tirer fans rifqùe fur des
rideaux & autres terreins étroits, où la piece courte
fe culbuteroit elle-même par fon recul. »
Terminons l’article des portées par une derniere
obfervation que nous avons déjà indiquée, mais qui
paroît trop importante pour n’y pas revenir avec
plus de détail. La piece courte ayant une moindre
portée que la piece plus longue, le boulet qu’elle
projettera ayant reçu une moindre force d’impul-
fion, décrira une courbe moins alongée , & frappera
l’objet qu’elle atteindra, fous un angle plus
ouvert, en tendant à s’approcher plus promptement
de la terre, après l’avoir frappé. 11 eft aifé
de fe repréfenter le peu d’effet du boulet, dans
ce cas , fi l’on réfléchit à ce qui arriveroit s’il tom-
boit verticalement ; il eft évident qu’il ne frappe-
roit qu’un point ; or plus fa ligne de chute approchera
de la verticale,, moins il emportera d’hommes
à la fois dans une bataille, moins il fera de dé-
fordre dans les pièces & les affûts d’une batterie
ennemie, & moins il fera fufceptible dé faire des
ricochets , maniéré de tirer le canon, fideftruriive.
Voici comment s’explique , fur cette queftion inté-
reffante, l’auteur de YEffai fur l'ufage de Vartillerie
dans fa réponfe à l’auteur du livre intitulé : Artillerie
nouvelle.
« Moins la hauteur du jet eft confidérable, ou
ce qui eft la même chofe, plus la courbe que décrit
le boulet eft raplatie, au-deflùs d’un terrein fe noblement
horizontal, plus les hommes qui fe trouvent
fur ce terrein entre le point précis du but en
blanc & la batterie, font expofés à recevoir le
coup ; de forte que fi cette hauteur n’étoit que de
quatre pieds, par exemple, un homme placé fur
quelque point de la ligne que ce fût, entre les deux
interférions de la ligne de mire & de la trajectoire,
feroit frappé du boulet. ( Voy. C ajson de bataille.y
Àu contraire , plus la hauteur du jet fêta grande
fur le nrême terrein, plus.il y aura de pofitions
entre le but en blanc & la batterie , .où l’ennemi
he fèroit point frappé, le canonnier vifant, toujours
à lui , le long de fa piece, _
Si donc de deux pièces de même calibre, l’une
à le diamètre de fa culafle beaucoup plus grand ,
relativement à fà longueur & au diamètre de fon
bourlet. que l’autre, la première aura fon but en
blanc plus éloigné que la fécondé ; mais aufii la
hauteur du jet fera plus grande, & par conféquent
Tes coups feront plus incertains quand i’ennemi s’approchera
de la batterie , dans là fuppofition que le
canonnier vifera toujours à lu i, ou , ce^ qui revient
àu même , né baillera pas fa pièce , faute trésor
dinaire.
Préfèntement fi les deux pieces»ônt leurs ditrten-
tions proportionnelles -, mais que la plus longue
porte fon boulet foixantë toifes plus loin que l’autre ,
èllè aura un but en blanc plus éloigné que la plus
tourte, & pour que.la plus courte trappe au même
Lut en blanc, il faudra lui donner plus d’élévation ».
Les partifans de l’ancienne artillerie de MM. de
“Vâlieré, concluent dé-là que. les pièces de i z &
<le 8 , du nouveau fyftênie, quoique moins pefantes
que les anciennes des mêmes calibres', i’étant encore
trop pour fuivre les mouvemehs des troupes
&t être traînéés à bras dans toutes,, fortes de
terreins, elles doivent dccuper, éommè les anciennes
, le centre & les àîlès de là bataille & les différentes
pofitions, où , réunies en nombre fuffifant,
elles croifèront leurs feux & prendront l’ennemi
en flanc & même de révers s’il eft poflible : mais
que ces pièces courtes ne pouvant opérer avanta-
geüfement ces effets , par l’élévation qu’on eft
obligé de leur donner, elles he fuppléeront pas les
anciennes pièces dont le boulet pouvoit emporter
dix à douze hommes à la fois, en parcourant une
ligne plus approchante de l’horizontale, & caufer
par-là un bien plus grand défordre & une.bien plus
grande perte dans lès corps ennemis en les frappant
fous üh angle plus aigu, ce qu’il n’eft pas
poflible de fe promettre avec les pièces raccourcies
du nouveau fyftênie.
S’appuyant enfuite fur lé réfultat des épreuves
de compàraifon, faites à Strasbourg en 1764, par
lefquelles il eft prouvé que lès pièces de 4 anciennes
, portoierit plus loin que les pièces de 8 nouvelles,
& prefqu’àufli loin que les pièces de iz
fiouvellës ; que de plus, la piece de 4 longue portait
mieux fa cartouche que la piece à la fuédoife,
qui eft uhe pièce de 4 courte ( V o y e ^ Canon de
bataille. ) , qii’étant d’âillèùrs avéré par un long ufage,
qile la piece de 4 longue peut être trànfportée par
tout où duatre hommes peuvent palier de front :
On devrdit, par toutes ces raiforis, préférer même la
piefce dé 4 longue, aiix pièces de 1 z & de 8 raccourcies,
fuivant le nouveau fyftêmë*
S’il eft prouvé par la théorie , confirmé par l’ex-
périencè & avoué par les partifans même du nouveau
fyftênie, que les pièces courtes ont une mbin7
dre portée que les pièces anciennes, dans les trames
calibres , il n’eft pas moins certain que la di-
reftion des premières eft moins jufte & moins fûre.t
défaut qui réfulte de lèur conftruétiori. Le renfle^
meut du bourlet eft trop rapproché de la platë-
bandè de culafle ; & la ligné de mire, o.u.rayon
vifuel, qui rafe les parties faillantes du métal, fe
trouvant d’autant plus courte que la piece l’eft elle*
Inême davantage, ia direction en eft d’autànt moins
éxafte. Lorfqu’ori veut prendre fur le terrein un
alignement un peu' étendu , oh ne peut difcony'e-
nir qu’il fera d’autant moins exaét que l’inftrument
qu’on emploiera fera plus court, La longueur de
Tome I*
la piece repréfente Tinftrumeht ; plus elle fera, longue
, plus la direction fera fûre. Si on préféré ,
avec raifon, une longue alidade & un graphome-
tre d’un grand rayon, pour opérer av.eç juftefle, la
plps longue piecé de canon doit avoir, à plus forte
raifon, la préférence fur la plus,courte pour la juftefle.
des dire étions, puifque ces bouches à feu n’ont
point, comme les mftruniens,en queftion , des pi-
nules dont la forme & la difpoution concourent
à l’exaétitude de l’opération. Cet inconvénient eft
commun- à toutes les pièces courtes , quelque bien
proportionnées qu’elles foient d’ailleurs ; mais il
fera encore plus, grand fi le diamètre de la culafle
.excede de beaucoup celui du bourlet, parce qu’a-
lors la ligne de mire feroit extrêmement plongeante,
rencçntreroit la ligne de tire très-près de la bouche,
& formèrent avec elle un angle très-ouvert. La ligne
de tire s’éîéveroit d’autant: plus au-deflus de ia ligné
de mire, à une certaine diftance , après leur inter-
feftion , que la différence des diamètres de la
culafle & du bourlet.4feroit plus grande* Aufli lé
défaut naturel de cës fortes de pièces eft de porter
le.boulet trop haut. Nous -trouvons :dans VEJfai
fur F ufage de V artillerie ; page 3 4 , « qu’en 1744, le
comté de Belleifle attaqua un corps d’Autrichiens
dans la forêt de Brompt : ils firent contre les François
Un feu affez v if de quelques pièces; de .3
courtes & grpffes à la culafle , fans tuer un feul
homme : tous les coups aÜoient frapper le haut des
arbress c’eft urt fait,dont piufieiirs officiers peuvent
encore fendre témoignage. Les. canonniers Allemand
font, àuffi braves & aufli bons .que ceux des
autres nations de l’Europe, pourquoi donc tiroient-
ils fi mal? C’eft qu’avec des pièces conftruites comme
celles qu’ils a voient à manoeuvrer,'il faut, à une
certaine diftance, pointer beaucoup plus bas que
l’objet j & que tout foldat dirige naturellement fort
Coup d’oeil le long du métal de fa piece , vers
le point qu’il veut frapper. Nos pièces à la fuédoife
étant pointées à un but diftant de 180. toifes *
le boulet paffe de quelques pieds au-deflùs ».
. C’eft un principe avoué généralement ( n '), qu’il
eft difficile d’affurer le coup de boulet à 460 toifes
de diftance, même av.ee. nos pièces longues ,• fur
un petit objet où une troupe qui marche. A
plus forte raifon y'trouvera-t-on de la difficulté
avec, des piec.es piiià courtes, par . .la feule: raifon
de leur peu de longueur, qui mettra dans la né-
ceffité de les tirer fous tel angle d’élévation que
le coup eh deviendra plus incertain.& de moindre
effet , malgré la précaution qu’on a prife de ne
pas rendre exçeflive là différence du diamètre de
la culafle & de celui du .bourlet. 11 fuit de’ cette
obfervation que leur direftion fera: p'ius jufte que
celle des pièces à la fuédoife j qui font plus mal
proportionnées , mais qu’elle le fera moins que cellë
de nos anciennes pièces , dans les mêmes calibres :
d’où il réfulte qu’elles fdnt .inférieures à celles-ci
.dans la vîtefle. & la force qu?elles - impriment au
boulet & dans la juftefle du tir, deux jncdnvéniens
qui pàrpiffent aux partifans :dë l’ancienne artillerie $
d’une grande conféquence dans toutes les occafions de
■ guerre où on peut employer le canon , pour frapper
à des débouchés diftans-de 400 toifes & plus voù des
troupes qui fe forhieroient à cette même diftancei
Il ne faut pas conclure dé cette difficulté d’affu-
ref le coup de boulet à 400 toifes, qu’il rie. faille
jamais tirer de canon à, cette diftance & mêînè aù*
delà-, àve.c des pieees bien proportionnées qui peu-'
vent atteindre les objets, fans,être fehfiblemeht éle-*
vées à l’hbrizon : e’eft, coriime nous .l’avons déjà
obiervé, fur une maffé de troupes qü’o'n dirige fes
(n) Effai fur l’ufage de l'artillerie -, éçc. pages 35 &fuiv;
1 1 vi