
 
        
         
		Michel-Ange ,  des Vignole,  des Dominiquain ,  dés  
 Raphaël,  &   ceux  des  anciens  Grecs  donnent  des  
 leçons  muettes,  bien  fupéjriè lires  à  celles  que  
 pourroient donner  nos  plus  grands maîtres modernes. 
   Cet  établiflement  fi  utile  &   fi  louable,  qui  a  
 toujours  fubfifté  depuis  le  Brun  jufqu’à  nos  jours,  
 peut  être  regardé  comme  une  pépinière  d’artiftes  
 que  la  France entretient en  Italie.  Enrichis des.plus  
 lavantes dépouilles des anciens &  des modernes,  ils  
 retournent  dans  leur  patrie,  qu’ils  embelliflent-,  &   
 qu’ils mettent à portée  dé le  difputer  à l’Italie,  par  
 rapport à l’Architeéture &  à la Sculpture. .: 
 Il s’eft pourtant trouvé,  &  il fe trouve encore en  
 France  des  perfonnes qui ofent fronder cet établifle-  
 ment, comme moins néceflaire qu’on ne penfe, pour  
 ne  pas  dire  inutile ;  comme  s’ils  rougiflaient  d’être  
 obligés de pafler les monts pour devenir bons peintres  
 ou  bons  architeéles;  de  niêrne  que d’autres rougif-  
 fent de  traverfer les mers pour  devenir  bons  philo-  
 fophes.  Le  feu  comte  Algarotti,  bon  juge  en  ces  
 matières  comme  dans  plufieurs  autres,  témoin  des  
 raifons alléguées par ces frondeurs pour foutenir une  
 opinion  auffi  déraifonnable,  les  a  réfutées  dans  un  
 excellent EJJai fur l'académie  de  France a  Rome,  &   
 a de plus  propofé de  bons  moyens  de perfeâion-  
 ner  cet  établiflement  glorieux  &   avantageux.  Ces  
 perfonnes,  dit-il,  à  qui11 ne tient pas qu’on ne voie  
 s’écrouler  le  temple  des  Arts,  laiflent  fans  peine  à  
 l’Italie  l’avantage  &   la  gloire,  qu’on  ne  peut  lui  
 contefler, d’être la plus riche minière de ces modèles  
 antiques qui peuvent fervir de guide aux modernes,  
 &   les  éclairer  dans  la  recherche  du  beau  idéal ;  
 d’avoir  fait  renaître  dans  le  monde  les  arts  qui  
 étoient perdus;  d’avoir  produit  des  artiftes  excel-  
 lens  en  tout genre ;  enfin  d’avoir  donné  des  leçons  
 aux autres  peuples  à  qui  jadis  elle  donna  des  loix.  
 Mais  d’ailleurs  ces  François  prévenus,  foutiennent  
 hardiment que la  France a chez/elle  des  fujets capables  
 de  former de bons éleves,  &  de bien conduire  
 leurs  talens;  que  depuis long-temps  les  arts  y   ont  
 jetté  de  profondes  racines ;  que  fes  maîtres  ne  le  
 cedent point à ceux  d’Italie ;  que dans un fiecle auffi  
 philofophique  que  celui  oîi nous  vivons,  on  doit  
 renverfer  les  vieilles  idoles  de  la  prévention  &  de  
 l’autorité; qu’on n’a  que trop rendu d’hommages au  
 nom plutôt qu’au mérite des étrangers; que Jouvenet  
 &   le Sueur,  fans avoir fait  le voyage d’Italie,  n’ont  
 pas  laifle  d’exceller  dans  la  peinture ,  le  dernier  
 îur-tout,  qui, rival de le Brun,  a mérité le  titre  de  
 Raphaël de  la France. Ils ajoutent  qu’ils ont dans leur  
 patrie  un  grand  nombre  de  tableaux  des  meilleurs  
 maîtres  d’Italie  ,  &   afîez  de  flatues  antiques,  pour  
 que les jeunes éleves puiflent  fe  former,  fans avoir  
 befoin de s’expatrier, &  d’abandonner pour quelques  
 années un pays où toutes les nations viennent chercher  
 le bon goût, &  apprendre la politefle. 
 Il n’eft pas difficile au comte Algarotti de faire voir  
 combien  ces  allégations  font peu  fondées ,  foit  en  
 elles-mêmes,  foit  dans  les  conféquences qu’on  en  
 tire.  L’exemple  de  dëux maîtres  ( car  enfin  l’école  
 Françoife n’en peut  pas  citer  davantage )  q ui,  fans  
 pafler  les  Alpes,  ont  réuffi  dans  leur  art,  peut-il  
 difluader  les  jeunes  éleves  de  France  de  quitter  
 Paris,  &   de  voir  Rome  &   l’Italie?  Doivent-ils  
 imiter  ces  deux  artiftes,  plutôt  que  de  fuivre  le  
 confeil de  tant d’habiles maîtres  de la même école ,  
 qui leur  recommandent d’aller  à  Rome ,  où ils  ont  
 eux-mêmes  puifé-  leurs  plus  précieufes  connoif-  
 fances,  &  toute la finefle de leur art ?  L’exemple de  
 Jouvenet  &  de  le Sueur  a-t-il  allez  de  force pour  
 l’emporter fur l’autorité  de  Bourdon,  de Mignard,  
 de  le  Brun  ,  de la Fage,  de  le Moine  ,  &  d’une infinité  
 d’autres,  principalement  du  Pouffin,  qui  dit  
 un  jour  ouvertement,  qu’il  retournoit  à  Rome 
 pouf  tâcher  d’y   réparer  le  tort  que  le  féjour  dé  
 France  avoit  fait  à  fon  talent.  Jouvenet,  eftimable  
 par fa facilité ,  eft pourtant un peintre maniéré ;  &   
 l’çleve  qui  s’attacheroit  à  l’étudier,  rifqueroit  de  
 s’éloigner  de l’imitation  de la nature &  du vrai.  Ses  
 compofitions feroient plus libres , .s’il  étoit  forti  dé  
 France  :  fon  exemple  prouve  donc  directement  le  
 contraire de ce qu’on veut lui faire prouver. Il en eft  
 de même de celui de-le Sueur ;  s’il  ne  vint point  en  
 Italie,  il  prit  Raphaël pour  modèle ;  &  fi  avec le  
 petit nombre de  tableaux que les François ont de  ce  
 grand homme ,  &  des  eftampes gravées  d’après  fes  
 ouvrages,  il  parvint  à  cette  habileté  qui  fit  de  lui  
 l’honneur de la Peinture &  la gloire du pays  qui  l’a  
 yù naître, que n’eût-il pas fait s’il eût vu les ouvrages  
 immortels  qu’on  admire  au  Vatican  ?  D ’ailleurs  
 l’exemple d’un génie rare &  heureux, à qui la nature  
 prodigue a accordé ce  qu’elle vend aux  autres,  êé  
 qu’ils n’acquierent  qu’à  force d’étude  &  de  travail,   
 ne  doit pas tirer à  conféquence ,  ni  fervir  de  réglé  
 aux  efprits  ordinaires.  Parce  que  le Gorrege,  fans  
 avoir jamais vu de’ftatues Grecques, réuffit à donner  
 des  grâces  inexprimables  à fes  airs de tête, voudra-  
 t-on  en  conclure  que  ce  foit perdre  fon temps  que  
 d’étudier  d’après  l’antique ?  S’avifa - 1 - on  jamais  
 de  dire  qu’il  eft  inutile  d?expliquer  les  élémens  
 d’Euclide  à la jeunefle qui  veut  apprendre  la Géométrie  
 , parce que Pafcal, encore très-jeune, trouva  
 par lui-même,  &  fans le fecours  d’aucun m aître,  la  
 démonftration de plufieurs théorèmes?  - 
 L’Italie  eft  pour  les  artiftes  une  véritable  terre  
 claffique,  comme  l’appelle  un  Anglois.  Tout  y   
 invite  l’oeil du peintre ,  tout l’inftruit,  tout réveille  
 fon . attention.  Sans  parler  dès  ftatues  modernes,  
 combien la fuperbe  Rome  n’en renferme-t-elle pas ,   
 dans fon enceinte, de ces antiques, qui, par l’exaéle  
 proportion  &  l’élégante  variété  de  leurs  formes,  
 Jervirent de modèle aux artiftes des  derniers temps ,  
 &   doivent  en  fervir j à  ceux  de  tous  les  fiecles  ?  
 Quoiqu’il  y   ait  en  France  de  très-belles  ftatues -,  
 comme le Cincinnatus,  &  quelques autres,  on peut  
 pourtant  avancer,  fans  crainte  de  fe  méprendre -,  
 qu’il  n’y   en  a  point  de  la  première  clafle,  ou  de  
 celles que  les  Italiens nommentprècepthves,  &  qu’on  
 puifle mettre  en  parallèle  avec  l’Apollon,  l’Antî-  
 noüs,  le  Laocoon ,  l’Hercule ,  le  Gladiateur,  le  
 Faune,  la  Vénus,  &   tant  d’autres  qui  décorent  le  
 Belvedere,  ie palais Farnefe, la vigne Borghefe,  &   
 la  galerie  de Florence. La feule galerie Juftiniani eft  
 peut-être  plus  riche  en ftatues  antiques  que  tout le  
 royaume de France.  Il  eft vrai  qu’à  proportion  des  
 ftatues,  il y   a  en  France  un  beaucoup  plus  grand  
 nombre de tableaux des plus habiles maîtres Italiens ,  
 où l’on peut apprendre les différens caraéleres &  les  
 diverfes modifications  de la Peinture. Mais où font-  
 ils placés ?  Dans les palais de Verfaililes &  du Luxembourg, 
   dans  la  galerie  du  duc  d’Orléans,  chez  les  
 héritiers  de  M.  C ro za t,  &   chez  quelques  autres  
 amateurs  diftingués.  En  Italie,  chaque  églife  e f t ,  
 pour  ainfi  dire ,  une  galerie ;  les  monaftères,  les  
 palais-publics &  particuliers font enrichis de tableaux ;  
 il  n’eft  pas  jufqu’aux  façades  &   aux murailles  des  
 maifons  qui  ne  foient  décorées  de  peintures,  
 lefquelles, pour  être  dans  des  lieux  fi  peu  confidé»  
 râbles,  ne  perdent  rien  de  leur  mérite  réel.  Ces  
 morceaux  au  contraire  ont  fouvent  été  travaillés  
 avec  beaucoup  de  foin, parce  qu’ils  dévoient  être  
 continuellement  expofés  aux yeux  du  public;  juge  
 incorruptible ,.•& plus  redoutable  pour  les  artiftes  
 que quelque académie que ce foit. 
 Mais,  quand  il  y   auroit  en  France  encore  plus  
 de  tableaux des  excellens maîtres d’ Italie,  qu’il n’y   
 en a  effectivement,  il n’y a pas  d’apparence  que les  
 jeunes  peintres  François  puiflent  en  retirer  autant 
 d’avantage  qu’ils le  feroient de  ceux que ces  mêmes  
 maîtres  ont  exécutés  dans  leur  propre  pays.  Les  
 meilleurs  ouvrages  d’un  artifte -fe  voient d’ordinairë  
 dans fa patrie -, ou dans le  lieu  où il a fixé fon féjour.  
 C ’eft  dans  les  grandes machines,  dans  ces  ouvrages  
 publics' &   durables  ,  que les grands  peintres,  
 jaloux  de  la  gloire  nationale,  &  de l’emporter  fur  
 des  rivaux  dignes d’eu x, ont déployé toute la force  
 de  leurs  talens;  c’eft-là,  dis-je  ,  qu’il  faut les  voir  
 les  étudier :  de même qu’il  faut juger  les  architectes  
 d’après  les  édifices  publics  ,  &  ,  comme  dit  
 .Vitruve,  d’après  les temples des Dieux , parce  que  
 ce font là  des  monumens  éternels de leurs talens ou  
 de  leurs  défauts. 
 .  C ’e ft ,  par exemple,  dans  l’école de Saint Marc,  
 dans  la  biblotheque  publique  de  Venife  ,  dans  la  
 chapelle  Contarini  tant  admirée  du  Cortone,  au  
 palais Toffetti,  qu’il faut  voir  le  Tintoret ; c’eft-là  
 qu’on apperçoit qu’il  n’avoit  rien à  craindre  dans  la  
 çomparaifon  qu’on  vouloit  faire  de  lui  avec Paul  
 Véronefe,  -ou  avec les  autres habiles artiftes  de fon  
 temps  ;  c’eft-là  qu’on  admire  l’heureux  talent qu’il  
 eut  de  réunir  l’excellence  du  coloris  du  Titien,  à  
 la  fierté  du  deffin de Michel-Ange, C’eft dans l’école’  
 de la  Charité,  aux  Cordeliers .conventuels,  à Saint  
 Jean  &   Saint Paul  de  Venife ,  qu’il  faut  étudier  le  
 Titien,  &   fur-tout  dans le  fameux  tableau  qui  repréfente  
 S.  Pierre  martyr ,  lequel,  plus  que tous  
 les  autres  ouvrages,  fait connoître  la  fublimité  de  
 fon  génie ;  de même  que  la Nativité  que  le  Bafîan  
 peignit  pour  fa ville natale,  &  l’Apparition  de J. C.  
 à la Vierge ,  que  le  Guercnin fit  à  Cento  fa patrie,  
 font  fentir  le  vrai  cara&ere  de  ces  deux  artiftes.  
 C ’eft à Saint  Zacharie &  à Saint Georges de Venife,  
 dans  le  réfeâoire  des  moines  de  Notre-Dame du  
 mont de  Vicence ,  que  triomphe Paul Véronefe  ;  il  
 a peint  dans  cet  endroit  la  plus  belle  cene  qui  ait  
 jamais été exécutée. C ’eft à Urbain &  à Péfara qu’on  
 doit chercher le Baroche.  C ’eft àTarme, &  fur-tout  
 dans le  tableau  de  S.Jérôme, que le goût éclairé du  
 duc  Infant aconfervé à l’Italie,  que  s’eft diftingué  le  
 Çorrege.  Annibal  Carrache  brille  dans  la  galerie  
 Farnefe ;  &   S.  Miçhel-au-Bois  eft  le  théâtre  de  la  
 gloire  de  Louis,  qui. réuffiflbit dans tous  les ftyles,  
 &  que  les Ultramontains  ont  mis  trop  au  - deflous  
 d’Annibal.  C ’eft  dans  les-.églifes de  Rome  que  le  
 Dominiquain  s’eft  le  plus  fignalé.  Le  Vatican  a été  
 le  champ  ou  Raphaël &  Michel-Ange,  eux qui portèrent  
 dans  la  peinture  tout le  feu de  l’imagination  
 la  plus poétique  ont travaillé à l’en vi, &  ont combattu  
 pour  la  gloire  d’être  couronnés  au  capitole.  
 Si  un  Italien  fe  hafardoit de  juger  du  mérite  de  le  
 Brun  fur  quelque  tableau de  cet  artifte  qu’il  auroit  
 vu en Italie  , il eft certain que les François  le  blâme-  
 roient, &  ils auroientraifon. On le citeroit àla galerie  
 de l’hôtel Lambert ; on le renverroità celle  de  Ver-  
 failles ,  lieux où le Brun peignit en concurrence avec  
 le   Sueur,  &  où  il difputa la palme à Mignard. 
 Qu on  ne  dife  pas  que  nous  avons  en  eftampes  
 les  ouvrages  merveilleux  de  ces  habiles  maîtres  
 que  l’on  propofe  à  l’imitation  des  jeunes  artiftes.  
 Les eftampes,  quelque  adroite  que  foit  la main qui  
 les  a  gravées,  ne  feront jamais  l’image  fidele  d’un  
 tableau.  Elles  peuvent  bien  exprimer les  attitudes  
 &   les contours des figures,  les airs de tête en partie,  
 la compofition 8c l’enfemble ;  mais  elles ne fauroient  
 jamais  rendre l’extrême délicateffe des chairs, la fraîcheur  
 8c le moelleux  des  teintes  ;  elles  font  difpa-  
 rottre  le plus grand  charme  de la Peinture,  la magie  
 du  coloris.  D ’ailleurs  le burin n’a  pas  toujours  été  
 ndele :  6c  tous  les  ouvrages des plus grands maîtres  
 ne (ont pas gravés.  Quelle  différence d’étudier San-  
 ovin ,  ignole  8c  Palladio  ,  dans  les  eftampes  ou  
 dans leurs  chefs-d’oeuvre  d’Architeaure f   ‘   I   ,  . 
 1 orne  I, 
 C e ft   ainfi  que lecofnte Algarotti  prouve ,  d’une  
 maniéré  fenfible  ,  qu’il  n’y   a  point  de  raifon  qui  
 puifle  difpenfer  les  jeunes  artiftes,  non-feulement  
 de France ,  mais  encore  des autres  pays ,  de pafler  
 quelques années en Italie  ,  la mere  des  Beaux-arts ,  
 pour  s y   former  &  atteindre  à la  perfeélion.  Louis  
 X IV   d^onna  une  preuve  de  fon difcernement  &   de  
 fon g o û t ,  lorsqu’il prit  la  réfolution  d’y  établir une  
 académie  on  école  de Peinture.  Dans  l’exécution  de  
 ce projet  glorieux^ Rome  miritoit  la  préférence ,  
 àcaufe^de  la quantité  de chefs-d’oeuvre de  Peinture  
 d’Architefture  &   de  Sculpture qu’elle  renferme  en  
 fon fein.  Mais quoiqu’à cet égard Rome  foit  la  première  
 ville  du  monde,  l’abondance des  tréfors que  
 l’Italie  pofledè ,  devroit  encore  attirer les  François  
 dans  plufieurs  autres  villes confidérables,  à  Venife  
 fur-tout,  à. Bologne  &   à  Florence,  où  tous ceux  
 qui, aiment  à cueillir les  fleurs  les plus  exquifes dans  
 le  champ des Beaux-arts  ,  trouvent  amplement  de  
 quoi  fe  fatisfaire.  A  cette’ oçcafion  le  comte  Algarotti  
 propofe  d’étendre  &   de  perfectionner  l’éta—  
 bliflement  de  Louis  XIV. 
 Quel avantage  ,  dit-il,  pour  l’art en  général,  &   
 en  particulier  pour  la Francè,  fi l'académie  de  cette  
 nation  ,  établie  à. Rome  ,  étendoit  fes  branches  à  
 Venife ,  à  Bologne  ,  à Florence  ,  &   y  formoit  des  
 colonies  qui  dépendiflent  d’elle  !  Il y  préfideroit un  
 cheffubordonné au directeur de Rome.  Ce  dernier,  
 en  qui  réfideroit  l’autorité  fuprême ,  deftineroit,  
 dans  les  temps  convenables ,  les  jeunes  éleves  à  
 pafler  un  ou  deux  ans  ,  des  uns à  Florence,  les  
 autres  à; Bologne  ou  à  Venife.  Ils  s’y  occuperoient  
 à copier les tableaux les  plus  rares &   les plus belles  
 ftatues  qu’il  y   ait  dans  ces  villes  ,  à  lever le  plan  
 des  plus  beaux  édifices,  &   à  les  deffiner.  On  en  
 feroit  un  choix  d’après  la  plus judicieufe  critique  :  
 on  ne  fe  laifleroit  point  éblouir  par  le  nom  des  
 auteurs ;  le  feul  mérite de  l’ouvrage feroit  pencher  
 la  balance.  Il  arrive  fouvent que d’habiles  maîtres-  
 pu  pour  n’avoir pas été à la  tête  des  écoles  ,.  ou  
 pour  n’av.oir  pas  eu  occafion  de  travailler  pour  
 de  grands princes, ou dans  des  villes  confidérables,  
 ne font  pas  auffi  connus,, que  le  mériteroit  la  lupé—.  
 riorité  de  leurs talens.  On peut  voir dans les artiftes  
 de  nos,  jours la  vérité de  ce  que. difoit  Vitruve des  
 anciens  artiftes  : Si Nicomaque &   Ariftomene n’ont  
 pas  été  auffi  célébrés  qu’Apelle  &c  Protogene ;  fi  
 Chion  &   Pharax  n’ont  pas  eu  autant de réputation  
 que  Polyclete  ou  Phydias,  cela  ne  vient  point  de  
 leur  peu  de  talent,  mais  du  caprice  de  la  fortune.  
 Alphonfe  de  Ferrare  &  Antoine  Bejjarelli  éprouvèrent  
 le  même  fort ;  ils  furent  piefqu’inconnus.  
 Cependant  l’un  ,  dans  fes  modèles  j  égale  Buo-  
 narotti,  qui  dit de  l’autre  en  voyant  quelques-uns  
 de  fes  ouvrages.  :  Si  cette  terre  fe  changeoit  en  
 marbre,  malheur  aux  ftatues  antiques.  Alexandre  
 Minganti  étoit  appellé  par  Auguftin  Carache  ,  le  
 Michel-Ange  inconnu.  Profper  Clément de Modene  
 a  vécu  dans  la  même  obfcurité ;  on  voit pourtant  
 dans  le  fouterrain  de  la  cathédrale  de  Parme  un  
 maufolée  de  la  maifon  Prati  ,  que  ce  fculpteur  
 a cifelé dans la derniere perfeélion.Les deux femmes-  
 qui y  font  repréfentées,  font  fi  touchantes  ,  leur  
 attitude  eft fi.  noble,  &   l’expreffion  fi rendre , qu’il  
 n’eft perfonne  qui  ne  partage  leur affliélion,  &  ne  
 veuille  pleurer avec  elles.  S i ,  par  la  noblefle  de  
 fa  maniéré,  Algardi  mérita  le  nom  du  Guide  des  
 fculpteurs,  Profper  Clément,  par  ces  grâces  tendres  
 &  naïves , par cette délicatefle qu’il a fu donner  
 au marbre,  ne  devroit-il  pas  en  être  appellé  le  
 Çorrege ? 
 Il  arrive auffi très-communément que les maîtres  
 ordinaires  fe  furpaflent  quelquefois,  &   alors  ces  
 ouvrages  l’ejnportent fur les produétions médiocres  
 M ij