
 
        
         
		tant  qu’il gouverna ,  les  Athéniens furent  protégés  
 par  le  bouclier de  la loi ;  il  divifa le-peuple en dix  
 tribus.  Le  fénat qui  n’étoit compofé que  de  quatre  
 cens  fénateurs, fut  augmenté d’un cent ;  au  lieu de  
 quarante  prytanes  , .  il  en  établit  cinquante  ,  qu’il  
 tira du fénat  :  leurs fon&ioqs étoient de cônvoqùer  
 les  affemblées  du  peuple  ,  &   de  rap'porter  les  
 affaires  fur lefquelles  le  fénat  avoit délibéré.  Pifif-  
 trate  n’eut.ni,1e  fort  ni  les  vices  des  tyrans  :  il  
 mourut  tranquillement  dans  fon  l i t ,  &  tranfmit fa  
 puiflancé  à  fes  deux  fils  qui n’hériterent ni  de  fes  
 talens, ni de  fes vertus ;• l’un  fut  affaffiné  par Her-  
 jnodius &  Ariftogiton,  à qui Athènes reconnoiffante  
 rendit prefque,des honneurs divins; l'autre  , nommé  
 Hyppias  ,  dégradé  du  trône  ,  fut  chercher  un  
 àfÿle  à  l’a cour de Darius  qui, fous  prétexte d’être  
 le  protefteur  des  rois,   effaya  de  donner  des  fers  
 à  la Grece. 
 .  Après Texpulfion  d’Hyppias,  l’expérience  de  la  
 tyrannie  réveilla  le  fqntiment  de  la liberté  ;  mais  
 la  crainte  de  l ’oppreflion  fit  de  tous  les  citoyens  
 autant  d’oppreffeurs.  On  ne  fut  plus  impunément  
 vertueux  :  la  modération  traitée  d'hypocrijte ,  fut  
 regardée  comme  le  voilé  d’une  adroite  ambition.  
 La  fupériorité  des  talens parut  dangereufe,  parce  
 qu’on  pouvoir  en  abufer  pour  opprimer ;  &   dans  
 le  tems  ip? Athènes  éleve  des  monumens  aux  
 bienfaiteurs  de  la  patrie  ,  dans  le  tems  qu’elle  
 immortalife  leurs fervices  &  fa  reconnoiflance  fur  
 le  bronze  &  l’airain  , elle punit par le ban  de  l’of-  
 tracifme  ou  d’un  exil  de  dix  ans,  des  citoyens  à  
 qui  elle ne  peut reprocher  que. leur mérite &  leurs  
 vertus  :  c’étoit  déifier  &   traîner  eh  même  tems  
 dans  la  boue  fes  défenfeurs. 
 Les  inquiétudes-caufées par l’amour de la liberté,  
 empêchèrent les  Athéniens de  tomber dans  les langueurs  
 de  l’inertie.  Le fanatifme républicain  entre-,  
 tint  les  inclinations  belliquèufes  d’un  peuple  que  
 les  penchans  entraînoient vers les  amorces  des voluptés. 
   Dans  i’ivreffe  d’une  liberté  naiffante  ,  ils  
 oferent  défier  la puiflancé  des Perfes qui vouloient  
 rétablir  le  fils  de  Pififtrate  fur  le  trône |  malgré  
 l’inégalité de  leurs  forces, ils furent les aggreffeurS ;  
 &   Sardis, capitale de Lydie ,fut  prife &  réduite en  
 cendre. Darius indigné qu’un peuple, jufqu’alors obf*  
 cu r, osât mefurer fes forces contre lui, réfolut de l’en  
 punir;  &  fonarméé  qui s’ayançà jufqu’à Marathon ,  
 fut  honteufement. défaite.  Le  monarque  Perfan,  
 plus  irrité  qu’abattu,  fe préparoit  à  fondre  une  
 fécondé  fois  fur la  Grece  ,  lorfqu’il  fut  furpris  par  
 la mort.  Xerxès ,  fon fucceffeur, impatient  de venger  
 l’affront fait à fon  pere  , dépeupla  fes états pour  
 former  une  armée  de  dix-huit  cens  mille combat-  
 tans.  Les  Athéniens . fufpendirent  leurs  animofités  
 domeftiques ;  &   faifis  d’enthoufiafme  pour  la  patrie  
 ,  ils foutinrent avec  les Spartiates  tout le poids  
 de la guerre midique : abandonnés des autres peuples  
 de  la  Grece,  ils  furent les  feuls  qui réfolurent  de  
 mourir libres. Thémiftocle ,  général des Athéniens,  
 ne  vit  qu’un  moyen  de  fauver  leur  ville ;  c’étoit  
 de  l’abandonner : ils  conftruifent  des  vaifleaux des  
 charpentes de  leurs maifons :  ils  envoient les vieillards  
 ,  les  femmes  &   les enfans à Salamine ;  &  ref-  
 tânt  eux-mêmes  fans  patrie  ,  ils  s’avancent  pour  
 fervir de  digue à une  inondation de  Barbares. Cette  
 rëfolution  hardie,  infpirée  par  la  magnanimité ,  
 étoit moins  di&ée  par  le  défefpoir que  par la prudence. 
   Si  les Perfes euffent été vainqueurs ,  Athènes  
 n’eût  pu  furvivre  à   fes  enfans  ;  ainfi  ce  n’étoit  
 pas  la  façrifier que  de  l’abandonner  ,  piiifque,  fl  
 lés  Athéniens, étoient triomphàns , la ville reparoif-  
 foit peuplée  d’habitans  couverts  ae  gloire. 
 ,  Les  Perfes fe  répandent  comme un  torrent dans  
 la Grece ; après avoir forcé le  pas des 'thermopiles, 
 Thefpie  &   Platée  font  ^réduites  en  cendrés.  Là  
 citàdelle  d’^rAerte*  fuccombe  fous  les  efforts, des  
 Barbares, &  enfévelit  fous  fes ruines  fes intrépides  
 defenfeurs.  Leurs  flottes  compofées de  douze cens  
 vaifleaux ,  dominaient  fur  les  mers ;  &   les Grecs  
 n’avoient  que  trois cens  quatre-vingts  vpiles  pour  
 lui  en  difputer l’empire : mais  ils  oceupoient le détroit  
 de  Salamine où le petit nombre pouvoit défier  
 la  fupériorité.  Ce  fut  dans  ce  bras  de  mer., que  
 s’engagea  le  combat  le  plus  mémorable dont  î’hif-  
 tôire  faffe  mention. Les Barbares  trop  refferrés  ne  
 pouvoient déployer  toutes  leurs  forces  contre  les  
 Grecs  qui  agifloient  tous à-la-fois : leur  flotte  fut  
 difperfée ; &  Xerxès craignant que l’ennemi ne rompît  
 le  pont  qu’il  avoit  jetté fur le  Bofphore »  s’enfuit  
 avec  précipitation  dans  fes  états  ,  laiffant  à  
 Mardonius trois  cens mille hommes qui furent taillés  
 en pièces  à Platée., 
 Les  Athéniens uferent de  la plus grande modération  
 envers les Grecs qui avoient trahi la caufe  commune, 
   &  que  les  Spartiates moins indulgens vouloient  
 punir.  C ’eût  été remplir la Grece  de mécon-  
 tens  ;  c’eut  été ménager  des  amis  aux  Barbares ;  
 il  étoit  de la politique de  pardonner : cette  viûoire  
 diffipa  la  terreur que  le  nom  Perfan.infpiroit.  Ôn  
 éleva  le  côurage  des vivans par  les honneurs  qu’on  
 rendit  aux  morts  ; on  grava  leurs  noms  &   celui  
 de  leurs  tribus fur  les monumens  qu’on érigea dans“  
 le  champ de là vi&oire ;  &  les  efclaves  qui avoient  
 pris  les  armes ,  eurent  part  aux  diftin&ions  :  on  
 inftitua  des  jeux  funèbres, où  l’on fit le. panégyrique  
 de  ces  yi&imes  de  la  patrie  ;  la  dixiemè  
 partie  de  butin fut  eonfacrée  aux  dieux  tutélaires  
 de  la  Grece. 
 Les Athéniens  ,  féduits par leurs profpérités , s’abandonnèrent  
 à  une  confiance  préfomptueufe ;  &c  
 honteux  de n’occuper  que  le  fécond  rang  dans  la  
 Grece, ils  fe  , regardèrent  comme  les. dominateurs:  
 Sparte  qui  avoit  encore  fes vertus ,  fut fufceptible  
 d’une.baffe  jaloufie  de  leur gloire ; elle  eut  l’orgueil  
 impérieux  de n’avoir point  d’émule ,  elle;  leur  défendit  
 'de  rebâtir leurs murailles,  fous  prétexte què  
 la  Grece  entière  étoit  leur  plus  ferme  rempart >  
 d’autant  plus  que  fl  les  Perfes faifoient  une  nouvelle  
 invafion, ils feroient à\Aththes une  place  d’armes, 
  d’où ils donneroient la loi au refte de la Grece;  
 Athènes  releva  fes  remparts,  &   Sparte,  retenue  
 par  l’équité  de  fes  loix ,  eut  affez  de pudeur pour  
 n’ofer l’en pünir ;  les deux peuples devenus ennemis  
 fecrçts ,  crurent  devoir  façrifier  leur reffentiment  
 aux ihtérêts de la patrie ; accoutumés à  être appellés  
 les  deux  bras ,  les  deux  pieds &  les  deux  yeux dë  
 la  Grece,  ils  fentoient  qu’elle  féroit  mutilée  par  
 l’extin&ion  de  l’un  ou  dé  i’autre.  Les  Athéniens  ;  
 fatigués  du  repos, ne  furent  redoutables  qu’à  eux-  
 mêmes , tant que Themiftocle ,   Ariftide &   Cimon ;  
 eurent .affez  d’afcendant  fur  leur  efprit,  pour leur  
 faire  fentir  les avantages de  eonferver l’ancien fyf-  
 tême  de la Grece. La  hauteur  infultante  de  Paufà-  
 nias, rendit les Spartiates odieux à  leurs  alliés,  qui  
 déférèrent  le  commandement  ■ général  aux  Athé*  
 niens. Ce ne, fut point avec  des  flottes  ni des armées  
 qu’ils  acquirent  cet  empire ;  ia douceur  d’Ariftide  
 &   de  Cimon ,  leur  méritèrent cette  prééminence  ,  
 mais  s’ils  s-’en  étôient  montrés  dignes,  ils  étoient  
 incapables  de  le  eonferver.  Comment  un  peuple.,  
 qui  n’avoit  point  dé  principes  fixes  de  gouvernement  
 ,  auroit-il pu  ployer  fon cara&ere  à  celui des  
 autres ? Platée &   Marathon avoient  été  le  berceau  
 de  la  gloire  des  Athéniens,  ils  en foutinrent  l’éclat  
 tant  qu’ils  s’abandonnèrent à  la  fageffe  d’Ariftide &.  
 de  Cimon.;  mais une fuite  de prolpérités eft le  pré-  
 fage  certain  de  la  décadence  d’un  état  où le  gouvernement  
 eft populaire,  où les  efprits  extrêmes, 
 dans le bien  comme dans  le mal,  paffent  de  l’info-  
 lencë  de  la  victoire,  dans  le  découragement  des  
 revers.  Le  génie  d’un grand homme  fuflit pour former  
 les moeurs  publiques  :  en  voici deux  exemples  
 fràppans.  Après la victoire de Platée, les  Athéniens  
 fentant l’importance d’une marine, fe rendirent puif-  
 fans  fur  mer.  Les  autres  Grecs,  à  leur  exemple,  
 équipèrent des  flottes; ce fut alors  que Themiftocle  
 conçut  le  projet  .criminel  de  donner des  loix à  la  
 Grece ,. en brûlant  la  flotte  des  alliés. Il  ne  divulgua  
 point  le  fecret  de  fes moyens ;  il  demanda au  
 peuple qu.’on nommât quelqu’un à qui il pût  le communiquer  
 ; le  choix tomba fur Ariftide, refpefté par  
 fes  lumières  &  fon  intégrité;  ce  vertueux  citoyen  
 écouta  avec  horreur  la  propofition  de  trahir  des  
 alliés, dont  on n’avbit aucun  fujet- de  fe  plaindre  ;  
 il retourne à l’affemblée, &  s’armant de modération,  
 il dit avec tranquillité :  Athéniens,  le  projet  formé  
 par Themiftocle , eft le plus favorable à votre élévation  
 ;  mais  comme il eft injufte , il  eft  le  plus  contraire  
 à l’intérêt de  votre gloire. Le  peuple fai-fi d’un  
 noble  mouvement,  défend  à  Themiftocle  de  rien  
 exécuter;  ce  trait  montre  qu’il y   avoit un  fond dé  
 vertu dans lès  Athéniens ,  &c  qu’il ne  falloit  qu’une  
 main  habile.pour  le dévélopper. C ’eft  dans une  af-  
 femblée  tumifltueufe,  &   non  dans  l’ombre  d’une  
 école  ,  que  toute  une  nation  fait  le  facrifice  de  fes  
 intérêts,  parce  qu’ils  font  incompatibles  avec  l’équité. 
 Cimon nous en  fournit un  autre  exemple. Apres  
 avoir  couvert  fa  patrie  de  gloire,  il  avoit  été  
 banni  p a r ’ les..intrigués  de  la  fadtion  dominante  
 qui  vouloit  faire  aux Spartiates  une  guerre,  qu’il  
 voüloit  prévenir  ,  comme  deftrudtive  du  fyftême  
 q ui, ne  faifoit  des  villes  de  la  Grece  qu’une  république  
 fédérative.  Ce  vertueux  citoyen,  per-  
 fécuté par  fa patrie, ne la regarda  pas moins comme  
 fa  mere,  &  ayant appris que  les Spartiates  &   les  
 Athéniens  étoient  prêts  d’en  venir  aux  mains,  il  
 fe  croit  difpenfé  de  fon  ban ,   il  vient  avec  fes  
 armes, &   fe range  comme  Ample  foldat,  fous  les  
 enfeignes  de  fa  tribu,  pour  combattre  ceux  dont  
 il  étoit  foupçonné  d’être  le partifan.  Ses ennemis,  
 au  lieu de  l’admirer, l’obligent de  quitter le camp ;  
 avant  de  s’éloigner,  il  exhorte  fes  compagnons,  
 fufpedls  comme.lui,  à  faire  un effort  de  courage,  
 &  à  effacer dans leur fang, l’injurieux foupçon qu’on  
 a  de  leur  fidélité.  Ses  généreux  compagnons,  dé-  
 fefpérésde  ne  pouvoir combattre fous  fes  y eux , le  
 conjurent de leur làiffer  du moins fon  armure com-  
 plette  ,  pour  leur  faire  croire  qu’il eft’avec  eux  ;  
 ils  la  placent au milieu  de  leur, bataillon ,  &   pof-  
 feffeurs de  ce  gage de rhéroïfme, ils s’élancent dans  
 la  mêlée  avec une fureur fi opiniâtre, que  tous expirent  
 percés  de  coups :  tel  eft l’afcendant  du  génie  
 ,  fouteau  de  la vertu, fur  les âmes  les plus  vulgaires. 
 Après la  mort  de  ces deux  grands hommes ,  intègres  
 magiftrats,  &   intrépides  guerriers  ,  Athènes  
 pencha  vers  fon  déclin ;  il s’éléva  un  homme  qui  
 avoit  tous les  talens,  toutes  les  vertus  &   tous  les  
 vices ,  c’étoit  Périclès,  magiftrat  éclairé,  orateur  
 affeûueux &   véhément, grand-capitaine &  mauvais  
 citoyen. Né  avec  tous  les  dons  de  la nature,  il ne  
 les  déploya  que  pour  la  ruine  de  fa  patrie,  &   
 quoique fon  coeur  fut  ouvert à toutes  les paflàons,  
 il  les  fubordonna toutes  à l’ambition  de  gouverner.  
 Ce  fut  en  introduifant  le  luxe  &   les  vices,  en  
 entretenant  le  goût des fêtes  &   des voluptés,  qu’il  
 façonna  un  peuple  indocile  à  l’obéiffance.  L’aréopage  
 étoit  chargé d’infliger  des peines  à  ceux  q u i,  
 nés  fans  biens y n’exerçoient  pas  un  art  méchani-  
 que  ;  le légiflateur,  par cette inftitution,  avoit cru  
 que  le  peuple,  occupé  de  fon  travail,  fe  répofe- 
 ,  Tome  ƒ,  ^  , 
 roit  du  foin  des  affaires  fur  les  magiftrats. Périclès  
 prit  une  autre  route :  flatteur  de  la multitude,  il  
 careffa  fon  goût  pour  les  fêtes  &   les  fpettacles,  
 ^   détruliant  l’habitude  du  travail  ,  il  infpira  la  
 pafîion  des  arts  de- luxe,  &   le  dédain  des  profef-  
 fions  utiles.  Il  fut  alors  auflî  glorièux  de  chanter  
 les  héros  que  de  les  imiter ;  &   tandis  que  Sparte  
 bornoit  fon  ambition à  être  libre  &  guerriere,  les  
 Athéniens  ,  égarés  dans'leur  route  ,  étoient  tous  
 poètes ,  orateurs  &   philofophes.  Les  dépenfes dés  
 repréfentations  théâtralés  épuiferent  le  tréfor  public  
 ,  qui  ne put plus fournir à  l’entretien des flottes  
 &c  des  armées ; les  repréfentations  des  tragédies de  
 Sophocle  &  d’Euripide,  engloutirent plus d’or  que  
 la  guerre  foutenue  contre  les  Perfes,  pour  la  dé-  
 fente  commune  de  la Grece.  Les  étrangers  étoient  
 indignés  de l’afliduité  fcandaleufe des magiftrats aux  
 fpedtacles ; &  tandis que  le  foldat & ‘le matelot fol-  
 licitoient  le falaire  de  leur  fang, onprodiguoit l’or  
 de  l’état,  pour avoir  des  machines  &   des  décorations  
 theatrales : les  plaifirs  qui  ne doivent  être que  
 des  délaffemens ,  devinrent  des befoins. 
 Ce  furent  tous ces défordres qui  firent defeendre  
 Athènes de la  première place qu’elle occupoit,  pour  
 s’affeoir  dans  le  fécond  rang.  Après  avoir  humilié  
 1 orgueil  des  Perfes ,   elle eut  la vanité  d’impofer lé  
 joug  à  toute  la  Grece ;  fes  alliés  qu’elle  épuifoit  
 par  des  exactions,  furent  dans  l’impuiffance  de  là  
 foutenir,  &   bientôt devinrent fes  ennemis ;  la confédération  
 refpe&able  qui  ne  formoit  de  la Grece  
 qu’une  république,  fut  rompue ;  la  guerre du Pe-  
 loponefe  fut  le  germe  malheureufement  fécond de  
 toutes  les  calamités,  &   fon iffue fut auflî fatale aux  
 vainqueurs qu’aux  vaincus. 
 Périclès ,  voulant  gouverner fans rivaux ,   avoit  
 écarté  des  affaires  tous  ceux dont  les  talens  pouvoient  
 lui  faire  ombrage ;  il  lui falloit  des  agens  
 fubordonnés,  qui  ne viffentque  par  fes  yeux, fans  
 élévation  dans l’efprit, fans droiture  dans  le coeur ,  
 plutôt  faits  pour  l’intrigue  que  pour  la  politique.  
 Tandis  que  les  arts  agréables  ufurpoient  la  confi-  
 dération  due  aux  talens  utiles,  il  fe  formoit  des  
 hommes aimables,  mais incapables  de  gouverner la  
 république. Cléon, intriguant  audacieux,  S’empara  
 du  timon  des  affaires:  cet  homme  forti du  néant  
 &  monté au  faîte  de la  grandeur fans le fecours des  
 talens &   dès  vertus  ,   fit  naître  de  la  confiance  à  
 tous  les  intriguans , qui  reconnurent  qu’il  ne falloit  
 que  de l’audace pour maîtrifer un peuple occupé de  
 fêtes, de jeu  &  de  fpe&acles. On  crut devoir op-  
 pofer  à  ce  citoyen  turbulent,  Nicias  dont  la  cfr-  
 confpeâion  timide  ne  régloit  rien que  fur la  certitude  
 des  fuccès.  A force  de  porter  fes  vues  trop  
 loin,  il  ne  diftinguoit  plus  les  objets ;  trop  vertueux  
 pour  defeendre  dans  les  replis  des  coeurs  
 corrompus;  trop défintéreffé  pour voir dans les autres  
 l’avarice  &  la  cupidité;  trop modeftepour  ap-  
 percevoir  fes  talens,  il  n’avoit que  le  défaut  de  fè  
 défier de  fa capacité,  &  de préfumer trop  de  celle  
 des  autres : ce qui  l’auroit rendu digne de  commander  
 à  une  république  vertueufe,   devoit  l’exclure  
 du gouvernement  dans  des tems orageux. 
 Athènes,  penchant  vers  fa  ruine,  avoit  befoin  
 d’une  main pour  la  relever.  Nicias,  plus  heureux  
 à négocier  qu’à  combattre,  fit  une paix qui.Revoit  
 rendre  à  la  Grece  fa  fiabilité ; mais Alcibiade ,  né  
 pour en  troubler  le  repos,  fixa  tous  les  yeux fur  
 lui;  comblé de tous les  dons'de  la  nature,  il  prê-  
 toit  des  grâces  aux vices, &   des amorces  aux v o - ,  
 luptés ;  formé  à  l’école  de Socrate, il y   avoit appris  
 à  connoître fes  devoirs ,  &  non à  les remplir;  
 il étoit tellement livré aux plaifirs,  que  les niomens  
 qu’il  leur  déroboit, pour  fe  donner  aux  affaires,  
 étoient  moins des occupations que des délaffemens, 
 Q Q q q ÿ   .