
raffemblererit les plus vaillans hommes, 6c que fe fit
le plus grand carnage. Le lieu oii il avoir combattu
étoit tellement jonché de morts, qu’il fut choifi pour
celui de leur fépulture. Sa magnanimité furpaflànt la
valeur, les Macédoniens lui donnèrent le nom de roi
par excellence ,& • Philippe ne s’offenfa pas de ce
qu’on ne l’appelloit que le général. Cependant les
noces de Philippe avec Cléopâtre, occasionnèrent
des troubles , dont Alexandre manqua d’être la vie-,
time. Olympias ambitieufe ôc jaloufe voyoit avec
chagrin une rivale qui venoit partager une couche
qu’elle avoit occupée toute entière. Elle engagea
Alexandre à venger fon orgueil oftenfe, ÔC dès lors
i l y eut des querelles fréquentes entre le pere & le
fils. Philippe, dans un accès de colere, fut fur le point
de tuer Alexandre qui pour éviter les effets de fon I
reffentiment, fut oblige de fe retirer en Epire où il
paffa quelque tems en exil avec famere. Il etoit dans
fa vingtième année lorfqu’il monta fur le trône de
Macédoine vacant par la mort de Philippe affaffiné
par Paufanias. Il trouva fon royaume en proie aux
guerres inteftines, Les nations barbares impatientes
d’un joug étranger, firent éclater leur penchant pour
leur prince naturel précipité du trône par Philippe.
Les républiques de la Grecen’étoient pas encore affez
façonnées à l’efclavage pour ne pas frémir au nom
d’un maître. Les changemens opérés dans les provinces
, les avoient peuplés de mécontens ; ôc l’on paffe
ail'ément du murmure à la révolte. La jeuneffe du
nouveau roi faifoit croire qu’on pouvoit tout enfreindre
avec impunité. Les généraux & les mimftres
épouvantés des orages prêts à fondre fur la Macédoine
, confeilloient à Alexandre de refferrer fa domination
, ôc de rendre aux villes de la Grece leurs
anciens privilèges, comme un moyen infaillible de
les captiver par le frein des bienfaits. Cette politique
îendoit encore à prévenir le foulevement des Barbares
qui n’étant plus foutenus des Grecs mécontens,
n’oferoient point fortir de l’obéiffance : mais au lieu
de fuivre ces confeils timides , Alexandre n’écouta
que fa magnanimité. 11 favoit que l’indulgence pour
des rebelles ne fert qu’à nourrir leur confiance , ôc
à les rendre plus indociles. Il conduifit auffi-tôt une
armée fur les bords du Danube, 8c par une vi&oire
éclatante remportée fur Syrmus,fameux roi des T ribales
, il retint dans le devoir tous les peuples d’en
deçà ce fleuve : alors fe repliant vers la Grece, il
commença par diffiper la ligue que les peuples de
Thebes avoient formée avec ceux d’Athenes. Marchons
£ abord contre Thebes, dit-il à fes foldats, &
lorfque nous aurons fournis cette ville orgueilleufe, nous
forcerons Démojlhene qui m'appelle un enfant,à voir un
homme fur les murs ePAthenes. Arrivé aux portes de
Thebes , il voulut donner aux habitans le temps du
repentir. Il leur envoya un héraut leur promettre un
pardon illimité, s’ils vouloient lui livrer les principaux
auteurs de leur révolte ;mais les Thébains ayant
fait une réponfe trop fiere pour des fujets, il prit &
rafa leur ville. Six mille habitans furent paffés au fil
de l’épée, ôc trente mille furent condamnés à l’efcla-
vage. Alexandre conferva la vie & la liberté à tous
les prêtres ; il eut la même vénération pour les def-
cendans de Pindare ; Ôc la maifon où ce poète étoit
né fut la feule qui fubfifta au milieu de tant de
débris.
Cette exécution fanglante exeufee par la politique
, fut fuivie d’un v if repentir. Alexandre eut toujours
devant les yeux les malheurs des Thébains. Ce
prince fupeftitieux attribua toutes les difgraces qui
lui arrivèrent dans la fuite à fon excès de févénté
envers ces peuples : aufli ceux de ces infortunés qui
furvécurentaudéfaftre de leur patrie 8c qui voulurent
s’attacher à fon parti, en reçurent mille bienfaits. Il
fit grâce à tous les fugitifs, ôc négocia avec les Athéniens
qu’il invita à fe foumettre de g r é , ne voulant
pas leur faire éprouver les mêmes malheurs. Apres
leur avoir pardonné , il leur recommanda de s occuper
des affaires du gouvernement, parce que, s’il
venoit à périr dans l’exécution de fes vaftes projets,
il vouloit que leur ville donnât la loi à toute la
Grece.
Après s’êtréainfi affuré de la foumiflion des nations
fujettes ôc tributaires, 8c avoir affermi fon autorité
, toutes les républiques de la Grece dans une
àffemblée libre, l’élurent pour leur général. 11 fon-
gea à humilier la fierté des Perfes , qui maîtres de
l’A fie, avoient de tout temps ambitionné la conquête
de la Grece ; ôc qui même projettoient alors de la
mettre à de nouvelles contributions. Avant de partir
pour cette guerre importante, il donna audience
aux principaux officiers des villes libres , ôc à tous
les philofophes qui venoient le féliciter fur fes glorieux
deffeins. Etonné de ne pas voir Diogene , il
daigna le prévenir par une vifite ; 8c après lui avoir
fait les compliments qu’il eût dû en recevoir, il lui
demanda s’il ne pouvoit rien faire pour l’obliger ?
Ce fut à Cette occafion que ce cinique lui répondit
qu’il ne lui demandoit autre ch ofe,qu e de ne pas
fe placer devant fon foleil. On dit qu’Alexandre admira
cette réponfe qui prouve que l’ame d’un philo-*
fophe fait réfifter aux promeffes de la fortune.
Avant de fe mettre en marche, Alexandre voulut
consulter Apollon, foit que fon efprit fût infefté des
préjugés vulgaîrés, foit qu’il fe fût affuré des oracles
de ce dieu pour mener avec plus de facilité des
foldats naturellement fuperftitieux. La prêtreffe, en
l’abordant, lui dit, 6 mon invincible fils ! Il la quitta
fur le champ, s’écriant qu’il n’en vouloit pàs davan*
tage. Les hiftoriens ne s’accordent pas fur le nombre
de troupes qu’il conduifit en Afie. Les uns, lui
donnent trente mille hommes de pied ôc cinq mille
de cavalerie* les autres trente-quatre mille fantaffins
& cinq mille chevaux. Ce fut avec cette armée peu
nombreufe , mais compofée de bons foldats, qu’il
marcha à la conquête du plus floriffant empire du
monde contre un prince qui venoit le combattre à
la tête de près d’un million d’hommes. Il fit auffi-
tôt le partage de tous fes biens entre fes amis, ne
fe réfervant que l’efpérance avec l’amour de fes fujets
, ôc le droit de leur commander. Il dirigea fa
route par la Phrigie ; arrivé à Ilion, il marcha avec
refpeû fur les cendres de cette ville également célébré
par fa puiffance ôc par fes malheurs. Il y offrit
un facrifice à Minerve, ôc fit des libations aux héros.
Comme il en admiroit les ruines, quelqu’un lui demanda
, s’il étoit jaloux de voir la lyre de Paris ,
montres-moi, répondit-il, celle dont fe fervoit Achille
pour chanter les exploits des grands hommes.
Après avoir franchi les bords efearpés du Grani-
que fous les yeux & malgré les efforts d’une armée
nombreufe, il prit Sardes le plus ferme boulevard
de l’empire d’Afie ; Milet ôc Halicarnaffe eurent la
même deftinée. Un nombre infini d’autres villes frap-*
pées de terreur, fe rendirent fans oppofer de ré-
fiftance. Ces rapides fuccès donnèrent lieu à des
menfonges qu’il n’auroit pas manqué d’accréditer,
s’il eût prévu la vanité qu’il eut dans la fuite de
vouloir paffer pour D ieu. On publioit que les mon^
tagnes s’applaniffoient devant lui, ôc que la mer docile
retiroit fes eaux pour lui laiffer un libre paffage :
mais Alexandre écrivit plufieurs lettres pour détruire
ces prétendus miracles. Il n ambitionnoit encore
que les éloges avoués par les fages. Arrivé à
Gordium , capitale de l’Afie mineure, il coupa le fa-
I meux noeud gordien auquel les oracles avoit attaché
le deftin de l’empire de l’Afie. La conquête deda Paphlagonie
ôc de la Capadoce fuivit de près la prife
de Gordium ; ôc fur ce qu’on lui apprit la mort de
Memnon le plus grand capitaine de Darius, il marcha
à grandes journées vers les hautes provinces de
l’Afie. Déjà Darius étoit parti de Suze, plein de
confiance dans la fupériorité du nombre de fes troupes
qui montoient à fix cens mille combattans. Ses
mages,prêtres flatteurs,augmentaient encore fes hautes
efpérances, ôc tiroient les plus favorables préfaces
des événemens les plus ordinaires. Ils lui pro-
mettoient la vi&oire la plus éclatante, Ôc lui faifoient
perdre tous les moyens de fe la procurer.
Cependant AleXandrt s’étoit emparé de la Cilicie
abandonnée par fon lâche gouverneur. Il étoit avec
fon armée fur les bords du Cydrtus, lorfque la beauté
des eaux ôc l’extrême chaleur l’inviterent à fe baigner.
Il ne fut pas plutôt entré dans le fleuve, que
l’extrême fraîcheur des eaux glaça fon fang ôc le priva
de tout mouvement. Ses officiers le retirèrent auffi-
t ô t , & le portèrent dans fa tente à demi-mort. Il
eut à peine repris fes efprits , qu’il déclara à fes médecins
qu’il préféroit une .mort prompte à une tardive
convalefcence. Darius avoit mis fa tête à prix;
aucun médecin n’ofoit prendre fur foi l’événement
d’un remede précipité. Philippe qui traitoit Alexandre
depuis fon enfance, fut le feul qui eut affez de
confiance dans fon a r t , pour fe rendre à fon impatience
: mais tandi^. qu’il préparoit fon remede , le
roi reçut des lettres de Parménion le plus zélé de
fes généraux, de ne point fe confier à Philippe qu’il
foupçonnoit de s’être laiffé corrompre par les promeffes
de Darius qui lui offroient mille talens ôc fa
fille en mariage. Cette lettre plongea le roi dans la
plus grande perplexité.Il craignoit d’être accufé d’imprudence
s’il prenoit le remede qu’on lui difoit être
un poifon , ou d’être opprimé par l’ennemi fous fa
tente , fi fa fanté tardoit à fe rétablir : mais tous
fes doutes fe diffiperent en préfence de Philippe. Il
reçoit la coupe que lui préfente ce médecin fidele,
& la boit fans témoigner la plus légère émotion :
il lui remit enfuite la lettre de Parménion. Cette
héroïque affurance eft un trait qui caratterife ce
conquérant. .
Après qu’il eut pris ce remede , Alexandre fe fit
voir à fon armée. Il s’avança auffi-tôt vers les gorges
de la Cilicie qui conduifent dans la Syrie. C’é-
toit le pofte que les généraux lui avoient confeillé
d ’occuper, parce que ces défilés ne pouvant recevoir
une grande armée rangée en bataille, les Macédoniens
ôc les Perfes fe mefureroient néceffaire-
ment à force égale.
Darius eut l’imprudence de s’y engager. Il n’y fut
pas plutôt entré, qu’il voulut retourner dans ces
vaftes campagnes de la Méfopotamie qu’il n’auroit
jamais dû quitter ; mais Alexandre s’étant préfenté à
fa rencontre, il fut obligé de ranger fes troupes en
bataille dans un lieu qui, d’un côté refferré par la
mer , & de l’autre par des montagnes efearpées,
lui ôtoient tout l’avantage du nombre. Le Pinare qui
coule de ces montagnes, rendoit fa cavalerie inutile.
Mais fi la fortune donna à Alexandre un champ
de bataille avantageux, ce prince tira des fecours
plus grands encore de fon génie pour la guerre.
Comme il craignoit d’être enveloppé par un ennemi
fupérieur en nombre, il étendit fon front de bataille
depuis la mer jufqu’aux montagnes. Ses deux ailes
étoient compofées d ’hommes forts ôc hériffés de fer.
Se plaçant lui-même à la tête de la droite, il renverfe
l’aile gauche des ennemis, ôc la met en fuite. Lorfqu’il
l’eut entièrement diffipée , il retourna fur fes
pas au fecours de Parménion'qui défendoit l’aile
gauche : rien ne put réfifter aux Macédoniens, encouragés
par la préfence d’un prince qui, malgré
une bleffure à la cuiffe , fe portoit dans tous les endroits
où le péril étoit le plus grand. La vittoire fut
des plus éclatantes, ôc l’on peut dire qu 'Alexandre
Tome /. '
eù méritoit tout l ’honneur. Cent dix mille Perfes
refterent fur le champ de bataille; toute la famille
de Darius, famere, là femme, ôc fes erifans, toute
leur fuite , tombèrent au pouvoir du vainqueur,
qui mit fa gloire à leur faire oublier leurs malheurs :
apres leur avoir fait dire que Darius, qu’ils pleu-
roient Comme mort, étoit vivant, il les fit inViter à
ne point fe laifl’er abattre par la douleur, ôc les avertir
de fa vifite. Mais comme il étoit tout couvert
de fueur, de fang ôc de pouffiere, il défit facuiraffe
ôc voulut prendre des bains chauds. Allons, dit-il
à fes officiers, allons laver cette fueur dafiS U bain dt
Darius. Lorfqu’il y fut entré, ôc qu’il eut apperçu
les baffins, les urnes, les buires, les phioles, ôc mille
autres uftenfiles tous d’or maffif, ôc travaillés par les
plus célébrés artiftes ; lorfqu’il eut refpiré l’odeur
délicieufe d’une infinité d’aromates ôc d’effences pré-
cieufes dont la chambre étoit parfumée , Ôc que
delà il eut paffe dans la tente qui, par fa grandeur,
fon élévation ôc la magnificence de fes meubles, ôc
par la fomptuofité ôc la délicateffe des mets préparés
pour le fouperde Darius, furpaffoit tout ce qu’il
avoit vu jufqu’alors, il fut frappé d’étonnemeilt, ÔC
ne put s’empêcher de dire, en fe tournant vers fes
officiers: Celui quiprefidoit ici étoit vraiment roi. C’eft
le feul mot qui paroiffe indigne d’Alexandre. Les
ambaffadeurs Perfes qui l’avoient vu à la cour de
Philippe , avoient une idée bien plus fublime de la
vraie grandeur.
Alexandre, après s’être remis de fes fatigués, ÔC
avoir fait donner la fépultûre aux morts, honneur
qui fut rendu aux ennemis , voulut voir fes captifs ,
non pour jouir du fpectacle de fa g loire, mais pour
les confoler de leur infortune. Il eut pour Sifigam-
b is, mere de Darius, les mêmes égards qu’il eût eu
pour la fienne. Il entra dans la tente de cette prin-
ceffe avec Epheftion, fils de fa nourrice, qu’il avoit
toujours beaucoup aimé. Alexandre avoit des grâces
naturelles, mais il étoit d’une petite taille, ôc fon
extérieur étoit négligé. La reine le prenant pour le
favori, adreffa le falut à Epheftion: un eunuque l’â-
vertiffant de fon erreur, elle fe jette à fes pieds, ÔC
s’exeufe fur ce qu’elle ne Favoit jamais vu. Alexandre
la relevant auffi-tôt : O , ma mere ! lui dit-il avec
bonté, vous ne vous êtes point trompée , celui-ci efl
aujfi Alexandre. « Certes, dit Quinte-Curce , s’il
» eût gardé cette modération jufqu’à la fin de fes
» jours , s’il eût vaincu l’orgueil ôc la colere dont il
» ne put fe rendre maître, ôc qu’au milieu des fe-
» ftins il n’eût pas trempé fes mains dans le fang de
» fes meilleurs amis, ni été fi prompt à faire mourir
» ces grands hommes auxquels il devoit une partie
» de fes victoires, je l’aurois eftirné plus heureux
» qu’il ne s’imaginoit l’être , quand il imitoit les
» triomphes de Bacchus, qu’il rempliffoit de fes
» victoires les rivages de l’Hellefpont ôc de l’Océan:
» mais la fortune n’avoit point encore égaré fa rai-
» fon; ôc comme elle ne faifoit que commencer à
» lui prodiguer fes faveurs, il les reçut avec modé-
» ration ; mais à la fin il n’eut pas la force de la
» foutenir, ôc fut accablé fous le poids de fa gran-
» deur. Il eft certain qu’en fes premières années il
» furpaffa en bonté ôc en continence tous les rois
» qui l’avoient précédé. Il vécut avec les filles de
» Darius, princeffes de la plus rare beauté, comme
» fi elles euffent été fes feeurs ; Ôc pour la reine, qui
» paffoit pour la plus belle perfonne de fon fiecle ,
» il eut l’attention d’empêcher qu’il ne fe paffât rien
» qui pût lui déplaire : enfin il fe comporta avec
» tant d’humanité, envers les princeffes fes captives ,
» que rien ne leur manqua que cette confiance qu’il
» eft impoffible au vainqueur d’infpirer ». Suivant
Plutarque, Alexandre ne fe permit pas même de
voir la femme de Darius, Ce prince avoit coutume
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