impudence de vouloir en impofer à un grand roi,'
à un fouverain puiffant, duquel il efpéroit peut-
être alors fa fortune , en récompenfe de fes travaux
& de fes découvertes !
Ceci peut-il entrer dans l’idée de qui que'ce fôit?
Nous voyons d’ailleurs, par l’extrait dû mercure
que nous avons donné, que la route que la Hontan
a tenue pour defcendre ail Miffiffipi, étoit inconnue
avant lui ; qu’elle ne l’ëft plus aujourd’hui ; qu’on
la trouve telle qu’il l’a décrite, & qu’il ‘n’a pu la
fa voir d’un autre , puifqu’elle étoit inconnue. Si
donc on a trouvé conformes à la vérité les articles
qu’on a pu reconnoître depuis, n’eft-il pas injufte
de rejetter ce qu’on n’a pas v u , feulement parce
qu’on ne l’a pas vu? Ne faudra-t-il donc croire de
tous les faits, de toutes les relations , que ce qu’on
a vu foi-même ?
11 eft certain qu’on a encore découvert une riviere
à la même latitude , où il place l’embouchure de
la riviere Longue. Je fais qu’on a trouvé à propos
de lui donner d’autres noms ; celui de St. Pierre ou
celui de riviere cachée : cent autres perfonnes pour-
roient lui donner autant de noms ; mais fi pour
cette raifon on en veut faire autant de différentes
rivières , ne multipliera-t-on pas les êtres , 8c ne
mettra-t-on pas une confiifion énorme dans la géographie
où il y en a déjà allez ?
La Hontan repréfente une chaîne de montagnes,
qui défcènd du nord au fud , qui fait les limites
entre les Moozemlëks 8c les Gnacfitares, qui a fix
lieues de large, eft difficile à paffer 8c fait de longs
d é to u r s '.'-.
M. Buache, par fa fcience phyfique, donne la
même chaîne, à la vérité beaucoup plus à l’eft ,
pour l’amour de fon fyftême fur la mer de l’oueft,
8c fur le peu de largeur de la Californie : mais enfin,
c ’eft la même chaîne. La Hontan n’étoit pas homme
d’étude, ni phyficien ; comment donc imaginer cette
chaîne qui exifte, fi les Moozemleks ne lui en avoient
donné réellement' la connoiffance ?
La remarque de D. L. G. D . C. eft importante fur
la conformité de cette relation avec celle des Efpa-
gnols de tout tems. Rien , à mon avis, ne fait une
preuve auffi forte en faveur de l’authenticité d’une
relation, que fa conformité avec les découvertes
des premiers tems.
Je n’ignore pas que la Hontan n’eft pas toujours
exact dans les latitudes : ceci mérite quelque attention.
M. le Page donne une diftance de trois cens lieues
du Miffouri au Saut St. Antoine, qu’on ne compte
que huit à dix lieues au-deffus de la riviere Longue
, 8c pourtant un peu au-delà du quarante-cin-
quieme dégré ; ainfi feulement cinq dégrés pour les
trois cens lieues ; ce qui eft une erreur manifefte,
à moins qu’il n’en compte autant pour remonter ce
fleuve rapide.
M. Bellin, dans fa carte de la partie occidentale
du Canada , place l’Onifconfine à un peu plus de
quarante - trois dégrés , 8c la riviere St. Pierre à
quarante-cinq. On peut compter environ trente-fix
à trente-huit lieues ; & la Hontan dit qu’il a employé
huit jours à faire ce voyage ; ce qui eft très-poffible
en montant un fleuve auffi grand & auffi rapide.
M. Danville, dans la première de fes cinq cartes
qui enfemble repréfentent toute l’Amérique, place
la riviere de S. Pierre à un peu plus de quarante-
quatre dégrés, 8c l’Onifconfine à quarante - trois.
Celle-là doit fortir, d’après toutes ces cartes, du laç
des Tintons, dont nous parlerons ci-après.
Sans nous arrêter plus long-tems fur ce fujet,
nous concluons que'cette découverte de la Hontan,
n’ayant jamais été contredite par d’autres relations,
qu’au contraire, le peu qu’on a découvert depuis
s’y étant toujours trouvé affez conforme Ort doit
la regarder comme authentique , auffi long-tems
que des faits certains, qui attellent le contraire, ne
la détruifent.
Venons à la fécondé obje&iort, fur laquelle je
n’ai rien à dire , linon que fi on ne doit ajouter aucune
foi pour des faits 8c dés voyages, qu’à des
gens de bonnes moeurs 8c à de bons:chrétiens, il en
faudroit rejetter beaucoup , 8c fouvent donner dans
des erreurs , puifque quelquefois de très-honnêtes
gens, par crédulité ou par défaut de génie, rapportent
des faits erronnés; On a toujours diftingué entre
les faits hiftoriques, où l’auteur n’a aucun intérêt,
8c ceux de la religion. ■
On en doit agir de même ici. Perfonne ne croira
que l’Adario du baron de la Hontan ait été- un
homme en chair & en os ; on voit évidemment que
c’eft lui-même : mais la relation du voyage ne doit
pas être moins authentique, n’étant point de même
nature que fes dialogues.
Je dois encore faire remarquer que les relations
que M. Buache adopte entièrement, parlent du lac
du Brochet, dans la chaîne des montagnes, marqué
par lui comme par la Hontan ; ce lac fait une partie
des plus nouvelles découvertes des officiers françois
Sc autres ; il fe trouve , félon les unes, à environ
480.. La carte angloife de Jefferi de 1.761 , le place
au-;delà du 45e. vers l’oueft ; tous placent de ce
côté la fameufe riviere de Toueft ; je la fuppofe
être celle ci-deffus qui prend fa fource dans ladite
chaîne au N. O. des Gnacfitares, 8c au N. E. du
lac des Tahuglanks, dans lequel elle fe jette ; je
doute qu’on puiffe produire quelque chôl'e de fi concordant
: au moins ceux qui la repréfentent comme
fortant du lac Oninipigon, n’ont pas fongé que ladite
chaîne lui barreroit le chemin. Auffi M. Buache
même , qui prétend fe fonder fur la carte tracée
par Ochagac, 8c la concilier avec celle des officiers
françois, fait tomber les rivières Pofcoyac, aux
Biches, de l’Eau trouble , de St. Charles ou d’Af-
finibouls, &c. de tous côtés dans les lacs Bourbon,
au F er, aux Biches, formant enfemble celui d’Oni-;
nipigon , & c e lu i- c i fe joignant avec le lac aux
Biches , fans qu’aucune riviere en forte 8c fe jette
vers l’oueft. Sur tous ces lacs il place les. forts
Bourbon, Dauphin , la Reine , St. Charles & Mau-
repas ; fi ceux-ci exiftent, il fautbien que.les François
en aient connoiffance. 11 place le lac du Brochet auffi
dans ces montagnes , un peu au-delà de 45 dégrés.
Il donne une trace légère d’une riviere de l’oueft,
mais qu’il conduit à deux pas de-là, pour ainfi dire,
dans fa mer de l’oueft. La Hontan, affure fur le rap-*
port des Mofemleks, que nombre de rivières qui
forment la riviere Longue, prennent auffi leur fource
dans ces montagnes ; & le phyfique de tout ceci,
concourt à en affurer la vérité. Il faut obferver que
dans ces traces d’Ochagac , la riviere de l’oueft
eft repréfentée comme groffe, fortant immédiatement
de l’Oninipigon, précifément où M, Buache
repréfente la riviere Polcoyac, comme s’y jettant.
Comment concilier ceci.? Avançons de 5 degrés plus
au fud , 8c examinons cet efpace entre le 45e. 8c
40e. qui nous préfentera des chofes importantes;
je ne parle point de ce qui fe voit à l’eft du Miffiffipi,
nous y trouverons même jufqu’au 25e degré
des pays qui ne font inconnus qu’à des ignorans tels
que les auteurs d’une Gazette de 1770, qui affu-
roient que les colonies Angloifes, établies dans cet
efpace , vouloient s’emparer de tout le pays , fous
les mêmes parallèles vers le oueft, jufqu’à la mer
du fud, fuivant la conceffion à eux accordée par
leur roi Charles , &c. par une riviere q u i, des
monts Apalaches, y conduifoit, fans fonger ni aux
peuples içoi&brables} ni à la quantité de rivières 7
pas même au Miffiffipi, qui en barrent le chemin.-
Vers , l’oueft , fur les bords du Moingona, du
Miffouri 8c autres rivières , fe trouvent feulement
jufqu’à l’eft 8c le nord du nouveau Mexique , les
Miffouris, Canfezv Panis blancs, Acanfez, Aïonez,
8c fur-tout,-les Padoircas , qui s’étendent fort au loin.
M. Buache même l’affure & en donne le détail. Ce. géographe
& plufieurs autres rapportent unanimement,
que les fauvages affûtent-que le Miffouri a depuis
fa fource 800 lieues de cours,8c qu’en remontant,
depuis fon milieu, 7 ou 8 jours vers le nord, on
rencontre une autre riviere qui a autant de lieues
de-cours vers l’oueft. Ce qui nous éclairera, lorf-
que nous fuivrons la relation que M. le Page du Prat
donne dans fon hiftoire de la Louifiane, du voyage
du fauvage Yafon , Moncacht-Apé , dont nous
allons parler. _
Pour donner donc une idée de la largeur de la
partie feptentrionale de Y Amérique, calculons un peu
fa route.
Le point- de fon départ doit être, pris au nord du
confluent du-Miffouri avec le Miffiffipi. M.Te Page
dans fa carte, qu’on doit préférer à toutes les autres
à l’égard de ces contrées, place ce point à deux cens
quatre-vingt-quatre dégrés .quinze minutes de longitude'
8c quarante de .latitude. Il ne-faut, pas oublier
;de prévenir le lefteur, qu’il défaprouve en divers
-endroits de. fon ouvrage la maniéré dont lesjtutrés
cartes repréfentent:le cours ..de cette .riviere..
En effet-.,, on la fait venir du nord-oueft , &
quelques-unes lui donnent des finuofités infinies.
- Pour lui , c en ’eft qu’au deux cent quatre-vingt
deuxieme dégré qu’il l’a fait defeendre du nord-eft
au fud : tout le reftede fon cours eft droit.de l’oueft
à l ’eft, de même que celui’de la riviere de Canfez
qui s’y jette. Qui pouvoit mieux le favoir que lui
qui a parcouru le-pays dans le tems que les François
avoient fur le Miffouri le fort Orléans ? qui s’en eft
informé des naturels du pays , dont la relation étoit
conforme à une carte efpagnole dreffée avec foin,
pour fervir de guide à un. corps qui y avoit été
envoyé, 8c lorfque les Efpagnols en dévoient être
mieux inftruits que tous antres ?
Le cours du Miffouri y eft donc marqué généralement
entre le quarante-un 8c quarante-deuxieme
dégré de latitude ( a ) : il paffa chez les Canfez qui
font entre le quarante 8c le quarante-unieme dégré,
qui lui confeilierent de marcher une lune $c alors
droit au nord ; Sc qu'après quelques jours de marche
il trouveroit une autre riviere, qui court du
levant ou couchant. Il marcha donc pendant .une
lune , toujours en rencontrant le Miffouri ; il vit
des montagnes 8c craignit de les pafl'er, de peur de
fe blefl'er les pieds (6). Enfin , il rencontra des
chaflèurs qui lui firent remonter le Miffouri encore
pendant neuf petites journées , 8c marcher enfuite
cinq jours droit au nord, au bout- defquels.il trouva
line riviere d’une eau belle Sc claire, que les naturels
nomnaoient. Ta belle riviere. Arrêtons-nous ici
pour commencer notre-.calcul : deux grands villages
des Canlèz font marqués, fur la carte de M. le Page*
l’un à deux cènt quatre-vingts, 8c l’autre à deux cent;
quatre - vingt-deux dégrés. Accordons le point du
départ depuis le dernier. Moncacht- Ap.é marcha
pendant une lune , foit ■ trente jours, L’auteur en
fait un calcul très - modéré, difant que notre Ana-
charfis américain l’avoit affuré , qu’il marchoit
plus vîte qu’un homme rouge ne marche ordinairement
; d’où il conclut que celui-ci., ne faifant
qu’environ fix lieuès par jou r, lorfqu’il eft chargé.
(a) Le Page du Praz , Relation de la Louifiane , Tome III,
page 89 &fuiv. ' -
H p i paroit par-là qu’il a avancé plus loin qu’au milieu du
fours du Miffouri, ayant de paffer la belle riviere.
de deux cens livres au moins, Moncacht-Apé, qui
n’en portoit pas plus de cent, quelquefois pas plus
de foixante * devoit fouvent faire jufqifà neuf ou
dix lieues. Il a raifon ; car le P. Charlevoix affure
que les Aouïez, à quarante-trois dégrés trente minutes
, font vingt-cinq à trente lieues par jour ( c )
lorfqu’ils'n’ont pas leur famille, avec eux : cependant
il fe rabat à fept lieues par jour, qui font donc
deux cens & dix lieues, depuis les Canfez, qui fe
trouvent, dis-je, au deux cent quatre-vingt deuxieme
dégré ; ces deux cens & dix lieues, à quatorze lieues
& demie par dégré, font quatorze dégrés & demi,
jufqu’au lieu qu’il rencontra les ehaffeurs qui fe
trouvèrent donc à deux cens foixante-fept dégrés
& demi ; on voit bien que c’eft compter trop peu.
Les fauvages difent unanimement que le cours du
Mifloufi elt de huit cens lieues, 8c qu’au milipu ,
ainfi à quatre cens lieues, on voyage vers le nord
pour trouver la riviere de l’oueft. Ici il n’a avancé
-vers Poueft que neuf-petites journées, avant que de
-tourner au nord : ne comptons que. trois dégrés 8c
de’mi , 8c cela nous conduira: feulement au deux
cent foixante-quatrieme dégré * 8c ne fera * depuis
la jdnélion du Miffouri au Miffiffipi que vingt dégrés
quinze minutes ; 8c à* quatorze lieues 8c demie par
dégré -, qu’environ deux : cens quatre-vingt-treize
liéues, au lieu de quatre cens. Ainfi on voit qu’on
:aceôrde beaucoup (<f); ...
. Je ne compté, pas le peu de chemin que-fit .
Moncacht-Apé fur la belle riviere , pour arri-
ver chez la nation des Loutrës. De-là, il defeen-
dit pendant dix-huit jours la même riviere avec les
Loutres, 8c arriva chez une autre nation, Il dit que
cette riviere eft très-groffe 8c rapide. On pourroit
donc "donner vingt lieues par jou r, pour le moins:
contentons-nous de quinze ;. cela fera deux cens
foixante-idix lieues, ou environ vingt dégrés ; nous
nous trouverons alors au deux cent cinquantième
dégré.
Il vint en affez peu de tems chez une petite nation *
8c enfuite acheva de defcendre la riviere, fans s’arrêter
plus d’un jour chez chaque nation ; mais il
ne dit point combien de tems il a mis à faire ce
trajet. La derniere des nations où il s’arrêta , fe
trouve feulement à une journée de la grande eau*
ou d’une mer. On peut bien mettre vingt dégrés 8c
plus pour ce dernier voyage. Alors on trouvera
notre voyageur au deux cent trentième dégré. Il
fe joignit à des hommes qui habitoient plus avant
fur cette côte vers le couchant, 8c ils fuivirent à-
peu-près la côte entre le couchant 8c le nord. Etant
arrivé chez la nation de fies camarades , il y trouva
les jours beaucoup plus longs que chez lu i, 8c les
nuits très-courtes. Les vieillards le diffuaderent de
paffer outre , difant que la côté s’étendôit encore
beaucoup entre le froid 8c le couchant, qu’elle tour-
noit enfuite tout-à-coup au couchant, &c.
Si on ajoute donc ce nouveau voyag e, 8c les
(e) Ceci ne paroîtra pas exagéré, lorfqu’on voudra confidérei* •
que les foldats romains, chargés du poids de foixante livres,
faifoient fix à fept lieues de chemin en cinq heures de tems ; eux
qui n’étoient pas accoutumés, comme les fauvages, dès leur
jeuneffe, dès leur enfonce même, à vivre uniquement de la
chaffe & à foire des centaines de lieues pour l’avoir abon-
(d) J’avoue pourtant qu’on ne doit pas toujours infifief également
fur les mefures itinéraires des fauvages ; je veux croire
que depuis l’embouchure du Miffouri jufqu à l’endroit ou l’on
paffeyers la belle riviere, il peut y avoir, y compris les détours
j quatre cens lieues , mais qu’il y en a moins de-là jufqu’à ’
fa fource, que les fauvages doivent mieux coririoître. J’en dis
de même du Miffiffipi, & il peut y avoir depuis la mer huit
cens lieues jufqu’au fautS. Antoine; mais beaucoup moinsde-là .
jufqu a fa fource,- que les Sioux n’ont peut-être jamais reconnu .
par eux-mêmes ; auffi pour accorder plus quon ne peut de- '
mander, je fixe le paffage dé Moncacht-Apé feulement au.
279« dégré.,