
 
        
         
		entendre  ce mot,  fe font permis d’écrire des chofes  
 que  les  perfonnes  raifonnables  fe  font  repenties  
 d’avoir lues.  Nous  n’expliquerons ici qu’un  fait qui  
 fuffira  pour  faire  juger  de  beaucoup  d’autres.  On  
 a  affûté que  plufieu'rs  fauvagés des provinces méridionales  
 adoroient une Citrouille :  o r ,  voici  ce que  
 t ’eft que cette adoration. Tout comme les prétendus  
 forciers  de  la Laponie  fe fervoient jadis  d’un  tambour  
 qu’ils  battoient  pour  chaffer le démon ,  lorf-  
 qu’ils le croyaient  logé  dans  le  corps  d’un homme -  
 malade, qu’ils n’avoient pu guérir avec leurs drogues  
 ordinaires;  ainfi  quelques  jongleurs  de  Y Amérique  
 emploient  une  courge  dont ils  tirent la pulpe , ' 8c  
 qu’ils  rempliffent  enfuite  de  cailloux,  de forte que  
 quand  ils  la. fecouent,  il  en  réfulte  un bruit qu’on  
 entend  de  très-loin  dans  la  nuit.  Il  eft  donc affez  
 naturel  que  lès  fauvagés  qui  ne  font  point  initiés  
 dans  la  jonglerie  ,  aient  peur  de  cet  infiniment  :  
 aufli  n’ofent-ils  le  toucher,  ni  en  approcher  ;  8c  
 voilà  à  quoi  fe  réduit  l’adoration  de  la  citrouille.  
 C ’efl  bien  en  vain  qu’on  a  interrogé  ces  barbares  
 touchant des pratiques fi groflieres, &  touchant beau*  
 coup d’autres qui font-encore infiniment plusfuperfti-  
 îieufes;  la  pauvreté  de  leur  langue ,  dont  le  die-*  
 tionnaire  pourroit être  écrit en une  page,  les  empêche  
 de  s’expliquer.  On  fçait  que  les  Péruviens  
 mêmes,  quoique  réunis  en  une  efpece  de fociété  
 politique,  n’avoient  pas  encore inventé des termes  
 pour  exprimer  les êtres métaphyfiques,  ni  les qualités  
 morales qui doivent le plus distinguer l’homme  
 de  la bête,  comme  la juftice  ,  la gratitude, la mifé-  
 ricorde.  Ces qualités étoient au nombre des chofes  
 qui  n’avoient point  de  nom:  la  vertu  elle-même  
 ti’avoit  point  de  nom dans  ce  pays,  fur lequel  on  
 a   débité  tant  d’exagérations.  O r ,  chez  les  petits  
 peuples afnbulans,  la difetté des mots eft encore incomparablement  
 plus  grande ;  au point  que  toute  
 efpece d’explication  fur des  matières  de morale  &   
 de métaphyfique,  y  eft impofîible.  Si dans  le corps  
 du  Dicl.  des  Sciences,  &c.  on trouve un  article où  
 il eft  queftion  de  la  théologie 8c  de  la  philofophie  
 des îroquois, nous ferons obferver ici  que  l’auteur  
 de cette piece eft, en un certain fens, affez excufable,  
 puifqu’il n’a fait que fuivre M. Brucker, qui a donné  
 lieu  à  toutes ces  fables,  par ce qu’il a  dit  des Iro-  
 quois dans  fa  grande Hifloire  de la Philofophie,  im-  
 menfe  coUeôion d’erreurs  8c  de  vérités.  Quelque  
 fçavant qu’ait été M. Brucker,  il ne nous paroît pas  
 qu’il fe foitmis en peine de  confulterfur l'Amérique ^  
 d’autre  auteur  que la Hontan;  8c  c’eft  précifément  
 la Hontan qu’il ne falloit point confulter, parce qu’il  
 prête, on  ne fçait à  quels  barbares du Canada,  fes  
 propres idées, qui  font encore  très  éloignées d’être  
 juftes. 
 Ceux-là  fe  trompent,  qui  penfent que  chez  les  
 fauvagés  la  religion'eft  très-fimple,  tres-pure,  8c  
 qu’elle  va  toujours  enfe corrompant  à mefure que  
 les peuples  fe  civilifent.  La  vérité eft  que  les  fau-  
 vages  &   les peuples  civilifés  fe plongent également  
 dans des fuperftitions cruelles &  épouvantables, lorf-  
 qu’ils  ne  font  pas  retenus  par  la  faine  raifon ;  8c fi  
 la profefliondu chriftianifme même n’a pu empêcher  
 les Efpagnols d’affaffiner leurs freres en l’honneur de  
 l’éternel dans la place Major de Madrid, on voit combien  
 il eft néceffaire que le chriftianifme fi raifonnable  
 foit bien entendu.  O r , ce  fer oit  faire  tort à fes  lumières  
 de  croire  qu’il  y   â  beaucoup  de  philofo-  
 phiè  chez les fauvagés  ,  qui font aufli dans  leur fens  
 des  auto-da-fé,  &  on  n’en fàifoit  malheureufement  
 que trop  chez  les Antis,  où l’on  trouva  de  grands  
 vafes de  terre remplis de  corps  d’enfans  defféchés ,  
 qui  avoient  été immolés  à  desftatues;  &   on  en  
 immoloit  de  la  forte  toutes  les  fois  que  les  Antis  
 «élébroient  des  actes  de  foi,  Quant à ceux  qu’on 
 appelle parmi les  fauvagés de  Y Amérique, boy es ,fa±  
 métyes, piays, angèkottes, javas, tiharangui , autmons ,  
 ils mériteroient  plutôt  le nom de  médecin  que celui  
 de  facrificateur, qu’on leur  a  fouvent donné :  il eft  
 vrai qu’ils accompagnent  les remedes, qu’ils fervent  
 aux  malades  ,  de  pratiques  bizarres  ,  mais  qu’ils  
 croient  être  propres  à  calmer  ou à chaffer  le mauvais  
 principe,  auquel  ils  paroiflènt  attribuer  tous  
 les dérangëmens  qui  furviennent  au  corps humain.  
 Au lieu de raifonner imbécillement  fur la  théologie  
 de  ces prétendus prêtres,  on auroit beaucoup mieux  
 fait  de  les  engager  par  des pféfents  &   des  procédés  
 généreux  à  nous  communiquer  les  carafteres  
 de certaines  plantes ,  dont  ils  font  un  grand  ufage  
 dans  les médicamens ;  car nous ne  connoiffons  pas  
 la  cinquantième partie des  végétaux  que  quelques-  
 uns  de  ces  Alexis  portent toujours fur eux dans de  
 petits  facs,  qui  compofent  toute  leur  pharmacie.  
 Mais  les  millionnaires ,  qui  ont  cru  voir  dans  ces  
 jongleurs  de Y Amérique, des rivaux,  les perféçutent  
 avec  acharnement  ;  8c  quand  ils en parlent même  
 dans  leurs relations ,  ils les accablent  encore  d’injures  
 qui  nous  révoltent autant  que  la  barbare  platitude  
 du  ftyle  dans  lequel  ces  relations font écrites  
 ,  8c que  les prodiges  manifeftement  faux  qu’on  
 y   attelle  comme véritables.  Il  ne manque  point de  
 millionnaires en Amérique,  mais  on y  a rarement vu  
 des  hommes  éclairés  8c  charitables  s’intéreffer  aux  
 malheurs des fauvagés, &  employer quelque moyen  
 pour les foulager.On peut dire qu’il n’y  a proprement  
 que  les Quakers,  qui fe foient  établis  au  nouveau-  
 monde fans y  commettre de grandes injuftices &  des  
 allions  infâmes. Quant aux Efpagnols, fi l’on n’étoif  
 d’ailleurs  inftruit,  on feroit  tenté de croire que  Las  
 Caiàs^-a-voulu  pallier  leurs  crimes  en  les  rendant  
 abfolument  incroyables.  Il ofe dire ,  dans  un  traité  
 intitulé  de  la dejlrucion de las Indias  Occidentales pet  
 los  Cajlellanos,  &  qui  eft inféré  dans  la  collection  
 de  fes OEuvres, -imprimées à Barcelone , qu’en quarante  
 ans fes compatriotes ont égorgé cinquante millions  
 d’indiens.  Mais  nous répondons  que  c’eft une  
 exagération  grofliere.  Et  voici  pourquoi  ce  Las-  
 Cafas a  tant  exagéré :  il vouloit établir en Amérique,  
 un ordre fémi-militaire, fémi-eccléfiaftique ;  enfuit©  
 il  vouloit  être  grand-maître  de  cet  ordre  ,  8c faire  
 payer aux Américains un tribut prodigieux en argent :  
 pour convaincre la cour de l’utilité  de ce projet, qui  
 n’eut  été  utile  qu’à  lui  feul,  il portoit je  nombre  
 des  Indiens  égorgés  à  des  fommes  innombrables. 
 La  vérité eft  que les  Efpagnols  ont fait déchirer  
 plufieurs fauvagés par  de grands lévriers &  par une  
 efpece  de  chiens  dogues,  apportée  en Europe  du  
 tems  des Alains :  ils  ont  encore fait périr un  grand  
 nombre  de  ces  malheureux  dans  les  mines 8c  les  
 pêcheries  à  perles  ,  8c  fous le  poids  des  bagages ,   
 qu’on ne  pouvoit  tranfporter  que  fur  les  épaules  
 des  hommes,  parce  que  fur  toute  la côte  Orientale  
 du nouveau continent on ne  trouva  aucune bête  
 de fomme  ni  de  trait,   8c  ce  ne  fut  qu’au  Pérou  
 qu’on vit les glamas.  Enfin ils  ont exercé  mille  genres  
 de cruauté  fur  des  caciques 8c des chefs  de horde  
 qu’ils  foupçonnoient  d’avoir  caché  de  l’or  8c  
 de  l’argent  :  il n’y   avoitaùcunedifcipline dans leurs  
 petites  troupes  ,  compofées  de  voleurs,  &  commandées  
 par  des hommes dignes  du  dernier fuppli-  
 ce ,  8c  élevés  pour la  plupart  dans  la  derniere baf-  
 feffe ;  car  c’eft un fait qu’Almagre &  Pizarre  ne fa-  
 voient ni  lire  ni  écrire  : ces  deiix  aventuriers  conduiraient  
 cent-foixante-dix fantaflîns, foixante cavaliers  
 ,  quelques  dogues,  &   un  moine  nommé  la  
 Vallé Viridi, qu’Almagre fit depuis affommer à coups  
 de  croffe de  fufil  dans  l’ifle  de  Puna.  Tel étoit l’armée  
 qui  marcha  contre les Péruviens :  quant à celle  
 qui marcha contre  les Mexicains,  fous  la conduite 
 de  Cortez,  elle étoit forte de quinze cavaliers &  de  
 cinq cents  fantaflins  tout au plus.  Or on  peut fe for-  
 mer(une  idée de  tous  les  forfaits  que ces fept cens  
 trente-neuf meurtriers  ont  dû commettre  au Pérou  
 &  au Mexique :  on peut encore fe former une  idée  
 des  ravages  faits  à  l’île  de  Saint-Domingue.  Mais  
 c ’eft  fe  moquer  du  monde  de  vouloir  qu’on  y   ait  
 égorgé cinquante millions d’babitans.  Ceux qui adoptent  
 des récits  fi  extravagant,  ne  conçoivent  fans  
 doute  point ce  que  c’eft  qu’un  tel total d’hommes :  
 toute  l ’Allemagne,  la  Hollande  ,  les Pays*Bas  ,  la  
 France  8c  l’Efpagne-  enfemble,  ne  contiennent  pas  
 exactement  aujourd’hui  cinquante  millions  d’habitans. 
   Cependant  fi  l’on  en  excepte  l’intérieur  de  
 l ’Efpagne ,  la. terre  y   eft  affez  bien  cultivée , .  8c  
 cela  par  le  travail  combiné  des  animaux  avec  
 celui  des laboureurs.  En  Amérique rien n’étoit  cultivé  
 par  le  travail  des  animaux  :  aufli  voit-on par  
 les propres journaux des Efpagnols ,  qu’ils  marchèrent  
 fouvent dans le Pérou pendant  cinq ou fix jours  
 fans  voir une feule habitation.  Dans  l’expédition  de  
 la.Canella  on  ne  fe  fervit  des  épées,  dit  Jurabe  ,  
 que  pour couper  les ronces  8c les brouffailles -,  afin  
 de  fe  frayer  une  route  au  travers  du  plus  affreux  
 défert  qu’on  puifle imaginer. Au centre du Paraguai  
 8c de  la  Guiane ,  où jamais les petites armées Efpa-  
 gnoles  n’ont pénétré,  8c  où elles n’ont,  par  confé-  
 quent,  commis  aucun des  ravages  qu’on  leur  impute  
 ,  on n’a  découvert d’abord  que des  forêts  ,  8c  
 enfuite  encore  des  forêts  où  de  petites  peuplades  
 fe  trouvoient  fouvent  à  plus  de  cent  lieues  de  distance  
 les  unes  des  autres.  On voit par  tout  ce que  
 les Jéfuites  ont  publié  touchant  l’établiffement  de  
 leurs  millions ,  combien  il  a été  difficile  de raffem-  
 bler  quelques  fauvagés  dans des contrées  plus étendues  
 que  la  France  ,  8c  où  la  terre  eft  meilleure  
 qu’au Pérou, &  aufli  bonne  qu’au  Mexique.  Quand  
 on  veut  avoir  une  idée  de l’état  oW e   trouvoit  le  
 nouveau-monde  au  moment  de  la  découverte,  il  
 faut  étudier  les  relations  ,  •&  employer  fans  ceffe  
 une  critique  judicieufe  &   févere  pour  écarter  les  
 fauffetés  8c  les prodiges  dont  elles fourmillent :  les  
 compilateurs  qui  n’ont  aucune efpece d’efprit,  enta  
 fient tout ce  qu’ils trouvent dans  les  journaux des  
 voyageurs,  8c  font  enfin,  des  romans  dégoûtans,"  
 qui ne fe  font que trop multipliés de  nos jours; parce  
 qu’il eft plus aifé d’écrire fans réfléchir,  que d’écrire  
 en réfléchiffant.  ' 
 La  dépopulation de  Y Amérique  &  le peu de courage  
 de  fes  habitans,  font  les  véritables  caufes  de  
 la rapidité  des conquêtes qu’on y a faites :  une moitié  
 de  ce monde  tomba ,  pour  ainfi dire,  en un inf-  
 fant,  fous le joug  de  l’autre.  Ceux  qui  prétendent  
 que les  armes à  feu  ont  uniquement  décidé  de  la  
 viéloire,  fe  trompent ; puifqu’on  n’a jamais pu avec  
 ees  armes-là  conquérir le  centre  de  l’Afrique.  Les  
 anciens  Bataves  &   les  Germains  étoient  pour  la  
 plupart nuds :  ils  n’avoient ni  cafque,  ni  cuiraffe ;  
 ils  n’avoient  pas même  affez de  fer pour appliquer  
 des  pointes  à  tous  leurs  javelots  :  cependant  ces  
 hommes,  foutenus  par  leur  bravoure,  combattirent  
 fouvent avec .avantage  contre  des foldats  cui-  
 raffés, cafqués 8c munis enfin d’inftrumens auflîmeur-  
 triers que  l’étoient le pilum  de  l’infanterie Romaine.  
 Si  donc Y Amérique  eût  été  habitée  par des  peuples  
 aufli  belliqueux  que  ces  Germains  &  ces Bataves,  
 fept  ou huit  cents  hommes n’y  enflent  pas  conquis  
 deux empires  en un  mois.  Il ne  faut pas dire que  la  
 bande de Pizarre  fut foute nue  par des troupes auxiliaires, 
   puifqu’à la journée  de Caxamalca  les  Efpagnols  
 combattirent  feuls l’armée de l’empereur Ata-  
 baliba,  8c  1 événement  prouva que  Pizarre n’avoit  
 pas  eu befoin  de  troupes  auxiliaires. 
 Il  eft vrai que par une difpofition très-remarquar  
 Tome  I. 
 bl'ë  du  local,  tôus  les  grahds  fleuves ,  comme  la  
 Pl&ta,  -le  Maragnon,  l’Orénoque,  le  fleuve  du  
 Nord,  le  Mifliffipi  8c  le  Saint-Laurent,  ont leurs  
 embouchures à  la  côte  orientale  où  les Européens  
 de voient  d abord  aborder ;  de  forte  qu’en  remon*  
 tant  ces fleuves  ils pénétroient  fans  difficultés  dans  
 le  centre  du -continent ;  mais  le  Pérou  8c le Mexi-  
 . que  fe  trouvent,  comme  l’on  fait,  dans une  fitua-  
 tion  contraire,  c’eft-à-dire  ,  à  la  côte occidentale ,  
 &   on né put les  attaquer  qu’avec  des  troupes  déjà  
 fatiguées par les marches qu’elles  avoient faites dans  
 l'intérieur  des  terres. 
 Quoiqu’il en  fo i t ,  le  nouveau - monde  étoit  fi  
 défert  que  les  Européens  auroient  pu  s’y   établir  
 fans détruire  auoune  peuplade  ;  &   comme  l’on eût  
 donné aux  Américains le  f e r , les. arts  , les métiers,  
 les chevaux, les boeufs &  les races de tous les autres  
 animaux domefliques  qui lëur manquoient, cela eût  
 fait  en quelque forte une eompenfation pour  le  ter-  
 rein  dont on  fe  feroit  emparé. On connoît  des ju-  
 rifconfultes qui ont foutenu que les peuples ehaffeurs  
 de  Y Amérique  n’étoient  pas  véritablement  poffef-  
 féurs  du  terrein,  parce  que  ,  fuivant  Grotius  &   
 Lauterbach, on n’acquiert pas la propriété d’un pays  
 en  y  chaflant,  en y   faifant  du  bois, Ou en y  puifant  
 de  l’eau :  ce  n’eft  que  la  démarcation  précife  des  
 limites  ,  8c  l’intention  de  cultiver  ou  la  culture  
 déjà  commencée  ,  qui  fondent  la  pofleflion.  Nous  
 penfons  ,.  tout  au  contraire,  que  les  peuples  
 ehaffeurs  de  YAmérique  ont  eu  raifon  de  foute-  
 nir  qu’ils  étoient,  comme  on  l ’a  déjà  dit, poffefi-  
 feurs  abfolus  du  terrein;  parce  que  dans  leur  maniéré  
 d’exifter,  la  chaffe  équivaut  à là  culture ;  8c  
 la  conftruéiion  de  leurs  cabanes  eft  un  titre contre  
 lequel  on  ne  peut  citer Grotius ,  Lauterbach,  T i-   
 tius  &  tous les  publicités de l’Europe ,  faits fe rendre  
 ridicule.  Il  eft  certain  que  dans les  endroits  où  
 il y   avoit  déjà  quelque  efpece  de  culture,  la pof-  
 feflion  étoit  encore  plus  indubitablement  fondée ;  
 de forte  qu’on ne  conçoit  pas comment il a  pu tomber  
 dans l’efprit du pape Alexandre V I ,  de  donner,  
 parune bulle de l’an 1493  , tout le continent 8c toutes  
 les îles de YAmérique au roi d’Efpagne ; &  cependant  
 il  ne  croyoit  point  donner  des  pays  incultes 8c inhabités  
 ,  puifqu’il fpécifie , dans fa donation , les villes  
 8c les châteaux,  civitates <S* cajlra  in perpetuum  ,  
 tenore proefentium,  donamus.  On  dira  bien  que  cet  
 a&e n’étoit que ridicule : o u i, c’eft précifément parce  
 qu’il  étoit  ridicule  qu’il falloit s’abftenir  de le faire,  
 pour ne pas  donner  lieu à des perfonnes timorées de  
 croire  que  les  fouverains  pontifes  ont  contribué,  
 autant  qu’il a  été  en  eux,  à  toutes les déprédations  
 &  à  tous  les  maffacres  que  les  Efpagnols ont commis  
 en Amérique,  où  ils  citaient  cette  bulle  d’Alexandre  
 V I ,  toutes les  fois  qu’ils  poignardoient  un  
 cacique,  8c  qu’ils  envahifloient  une  province.  La  
 cour de  Rome  auroit  dû  révoquer folemnellement  
 cet  acte de  donation,  au  moins après  la mort d’Alexandre  
 VI ; mais malheureufement nousne trouvons  
 pas  qu’elle ait  jamais  penfé  à faire  cette  démarche  
 en  faveur  de  la  religion. 
 Ce  qu’il y  eut encore  de  remarquable,  c’eft  que  
 quelques  théologiens foutinrent,  dans  le  feizieme  
 fieele,  que  les Américains n’étoient point des  hommes  
 ,  &  ce ne  fut  pas  tant  le  défaut de la barbe 8c  
 la nudité  des fauvagés,.  qui  leur  firent  adopter  ce  
 fentiment,  que  les  relations  qu’ils  recevoient  touchant  
 les Anthropophages ou les Cannibales. On voit  
 tout  cela  affez clairement dans une  lettre  qui  nous  
 eft  reliée  de  Lullus :  les  Indiens occidentaux,  dit-  
 il ,  n’ont de  l’animal  raifonnable  que  le mafque : ils  
 favent à peine parler, 8c ne connoiffentni l’honneur,  
 ni  la  pudeur,  ni  la  probité :  il  n’y  à point  de bête  
 féroçe  aufli  féroce  qu’eux  :  ils  s’entre-dévorent,