■ des Francs , de la tribu de Mérouée , de plu fi eu rs .
peuples Sarmates & Saxons , qui avoient refufé
de fe plier au joug des Huns, d’Armoricains aujourd’hui,
les Bretons, de Lifiens , de Bourguignons
fuj.ets de Gondroche 6c Chilpéric , des Ripuaires
qui renoient les environs de Cologne, des Brions
autrement Bréones que Valois placé dans la Vin-
délicie , & de plufieurs autres peuples de la Gaule
celtique & de la Germanie , auxquels les Romains
avoient commandé autrefois comme à leurs fujefs
& qu’ils étoient charmés de compter alors parmi
leurs alliés.
Lorfque cette armée jointe à celle des Vifigoths
, approcha d’Orléans , cette ville étoit à
l’extrémité ; elle étoit comme la clef de- l’Aquitaine.
Attila , perfuadé qu’il étoit de la derniere
importance de s’en affiner, avant l’arrivée des
nations confédérées, faifoit continuer les aflauts de
jour & de nuit. Les affiégés n’efpérant plus aucun
fecours, perdirent enfin courage, & envoyèrent
au camp des Huns demander grâce. Attila n’en,
faifoit pas ; & tout ce qu’il leur accorda en faveur
d’Ânian , leur évêque-; chef de la députation, fut
qu’ils feroieiit réduits en fervitude, 6c qu’ils iroient
vivre dans quelque contrée inhabitée de fes états.
L’horreur de la mort l’ayant, emporté fur la honte
de l’efclavage, les affiégés ouvrirent leurs portes,
6c Attila envoya les principaux officiers faire le
partage des captifs. On chargeoit leurs charriots
de leurs dépouilles^ on les chaffoit vers le camp
du vainqueur, eu x, leurs femmes & leurs enfans,
lorfque Aétius & fes alliés furprirent les troupes
que les Huns avoient au-delà de la Loire. Les Romains
chargèrent les Huns avec tant de vigueur,
que les troupes fe jetterent dans le fleuve, où
périt un nombre prodigieux de foldats. Tous ceux
qui étoient entrés dans Orléans pour en enlever
les dépouilles , furent maffacrés, à la réferve d’un
petit nombre auquel Anian fauva la vie. Ce n’étoit
qu’un léger échec pour Attila ; & cependant il
fît une retraite vers la partie des Gaules qu’il avoit
conquife , à deffein fans doute d’y attirer.les Romains
&c les Vifigoths , dont les troupes étoient
encore inférieures aux fiennes. Mais Aétius trop
fage pour s’enorgueillir de fes premiers fuccès, le
contenta de relever les murs d’Orléans : ce fut
dans cette ville qu’il attendit les Francs qui n’avoient
point encore pu le joindre. Dès qu’ils furent arrivés
, il fortit d’Orléans, 6c alla avec eux & les
autres peuples fes alliés, chercher l’ennemi. Attila
étoit dans les plaines de Châlons en Champagne,
d’autres difent ,de Sologne dans l’Orléanois, lorf-
qu’il reçut les premières nouvelles de, l’approche
d’ Aétius. Sa fierté ne lui permettant pas de l’attendre
dans l’enceinte d’un camp , il donne le lignai
du départ, & marche à fa rencontre : il y eut pendant
une nuit un combat dont le fuccès fit connoî-
tre combien celui dont dépendoit le deflin des
Gaules, de voit coûter de fang. Un corps de Gé-
pides détachés de l’armée des Huns pour battre la
campagne, ayant rencontré une troupe de Francs,
qui précédoit celle d’Aétius pour le même deffein
ces deux partis fe chargèrent réciproquement ; ils
fe trouvèrent fi parfaitement égaux en nombre &
en valeur, qu’aucun ne pouvant vaincre , ni fe réfoudre
à faire une retraite , on ne ceffa de tuer
de part & d^autre,, que quand il n’y eut plus per-
fonne en état de frapper.
Dès que.les deux armées furent en préfence ,
Attila envoya un détachement pour fe faifir d’une
hauteur que l’on regardoit comme un pofte de.la
derniere importance. Aétius l’ayant prévenu , les
Huns en tirèrent de finiflres préiages. Attila , pour
les raffurer , eut recours aux arufpices q u i, fur
l’infpeêlion des vi&imes , répondirent que le deflin
ne promettait rien de favorable à la vérité , mais
qu un general de l’armée ennemie refleroit fur le
champ de bataille. Quelques particularités dans la
vie d Attila, comme l’épée' qu’il pré.tendoit avoir
reçue du dieu Mars , ont fait penfer à quelques
écrivains que ce prince regardoit la religion en
politique ; mais fa confiance en ces oracles' menteurs
prouve qu’il avoit adopté les erreurs des
Huns idolâtres. Il ne révoqua point en dotite l’événement
de cette prédiftion ; perfuadé que le fort
menaçoit Aétius , il réfolut de livrer la bataille.
La mort de ce général balançant dans fon efprit
toutes les pertes qu’il pouvoit faire , les plaines de
Châlons furent couvertes d’un nombre infini de
foldats que l’on regardoit comme l’élite de tous
les peuples d’Europe : ils n’avoient reçu les uns des
autres aucun outrage, dit Jornandès ; 6c cependant
ils étoient prêts às’entre-détruire, par complaifance
pour un leul hoiiime cjont l’ambition leur tenoit
lieu de la plus implacable haine. Quel malheur,
continue le même hiflorien, que la folie d’un barbare
ait détruit dans urte heure, ce que la nature
n’avoit produit qu'avec effort pendant tant d’années
! L’aftion commença vers les quatre heures
du foir ; 6c ce fut une des plus fanglantes dont l’hif-
toire faffe mention. Un ruiffeau qui couloit au milieu
des deux camps, fortit de fes bords , groffi
du fang qui fe mêla avec fes eaux. Théodoric périt
dans la chaleur de l’a&ion ; & fa mort fut regardée
comme l ’accompliffement de fa prédiâion des devins.
La viâoire fe déclara pour les Romains. Attila
furieux de voir que la fortune l’abandonne, précipite
les Huns dans les plus grands périls. Les Of-
trogoths , les Gépides ne leur cédèrent point en
valeur : éehaufféspar une ardeur égale , ils s’enfon-
çoient.à l’envi dans cettè fcerie de carnage. La
nuit ne put calmer la fureur des combattans ; ils
fe chargeoient encore dans les plus épaiffes ténèbres.
Cependant Attila donne l’ordre pour la retraite
; 6c fon armée le fuit dans un filence farouche
: rentré dans fon camp, il fe forme un rempart
de fes charriots fui vaut l’ufage des Huns, qui fut
commun à toutes les hordes du Nord. Attila ne
fortit point de fes retranchemens. On dit que Craignant
d’y être forcé , il fit faire un bûcher, réfolu
de s’enfevelir dans les flammes, ne voulant pas ,
dit un hiflorien , qu’un prince qui avoit été la terreur
des nations pendant fa v ie , fût en leur puif-
fance après fa mort. Cependant, pour ne manifefter
rien de fes craintes, & pour mafquer fa défaite,
il ordonn^ des chants de vi&oire , 6c fit retentir
fon camp du bruit des trompettes & celui des autres
inflrumens militaires; - '
Aétius, au lieu de s’applaudir de fa viétoire ,
tint confe'il, & délibéra fur les moyens de s’en af-
furer le fruit. Ce fage général , infenfible à une
vaine gloire, ne fongea qu’aux intérêts de l’empire.
Il ne tenoit qu’à lui d’achever la ruine d’Attila ;
mais il fe contenta de l’avoir affoibli : il craignit
qué les Francs & les Vifigoths , auxquels il attri-
buoit le fuccès de cette journée , ne devinffent trop
puiffans, & ne fe partageaffent les, Gaules; il le
ménagea comme un ennemi dont la terreur de voit
les retenir dans l’alliance des Romains. Il engagea
Thorifmond, fils de Théodoric , à aller fe faire
couronner à Touloufe, capitale de fon état , lui
difant qu’il devoit craindre que fes freres ne fe
fiffent un titre de fon abfence pour le fupplanter.
Aétius ufa des mêmes artifices pour engager Mérouée
à fe retirer dans fes états. Il leur donna à
l’un 6c à l’autre un vafe d’o r , préfent qui fut long-
tems à la mode dans l’antiquité : il y avoit de ces
vafes qui pefoient jufqu’à cinq cens livres.
Attila
A T T
Attila étoit toujours en proie aux plus vives alarmes
; il ne put d’abord fe perfuader le départ des
Francs .& des Vifigoths. Il en rejetta les premières
nouvelles comme une rufe de fes ennemis pour
l ’attirer hors de fes retranchemens ; mais, lorfque
fes couriers lui en eurent donné la certitude, il
forma des projets plus vafles que ceux qui ver
noient 4’éçhpuer. On dit que cette bataille lui coûta
deux cens mille homoms ; il eil certain que fes
troupes étoient confidérablement diminuées, puif-
q u e , fachant Aétius dépourvu d’une partie de fes
alliés, il n’eut point affez de confiance pour l’attaquer.
Tels font les détails que nous ont confervés
les anciens hifloriens de l’invafion üAttila dans les
■ Gaules, invafion plus fameufe par fes ravages que
par fes fuccès. Les villes & les campagnes par où
paffa ce furieux torrent, furent changés en déferts ;
& Bon peut juger de la terreur que le roi des Huns
infpira , par la conduite des habitans de la ville de
Troyes. On rapporte qu’ils fe retirèrent fur des
montagnes, & que Lupus, leur évêque, ne put
les déterminer à rentrer dans leur ville.
Le roi des Huns ne retourna dans fes états que
pour faire de nouvelles levées. Les Quades , les
O fe s , les Turcilinges 6c les autres Germains d’au-
delà de la Viflule , défignés dans l’antiquité, fous le
nom de Bajlernts , ainli que les Scythes lui ayant
fourni des recrues, il dirigea d’abord fa route vers
Conftantinople ; mais ce ri’étoit qu’une rufe pour
tromper fur fes deffeins. les Romains d’occident,
irrevint prefqu?auffi-tôt fur fes pas , paffa les Alpes,
ôc mit le fiege devant Aquilée., Cette ville dont
dépendoit le fort de l’Italie, fit une défenfe fi vigçü-
reufe , que les Huns défefpérant du fuccès, firent
■ «éclater leur murmure : ils parloient de lever le
fiege, lorfque Attila apperçut plufieurs cicognes
q ui, dirigeant leur vol vers la campagne , portoient
fur leurs ailes leurs petits encore trop foibles pour
les fuivre. « Ces oifeaux guidés par leur inflintt,
leur dit-ib, vous montrent quel, doit être en peu
le deflin de la ville ; ils ne la quittent que pour
fe fouflraire à l’embrafement dont elle efl ménacée ».
Les Huns non moins fuperflitieux que leur fou-
verain, acceptèrent cet augure. Ils redoublèrent
leurs affauts avec une ardeur nouvelle, ne doutant
pas que le départ des cicognes ne fût le préfage
affuré de leur triomphe. Les affiégés étonnés de
leurs efforts , & ne pouvant en foutenir Fimpé-
tuofité , abandonnèrent leur ville ; & pour avoir
le tems de mettre en sûreté ce qu’ils avoient de
plus précieux, ils placèrent fur les remparts des
flatues qui repréfentoient des foldats armés. Les
Huns, à qui ce flratagême en avoit impofé , furent
privés du pillage qu’ils s’étoient promis ; leur cupidité
trompée excitant leur fureur , ils juflifierent
la prediâion d'Attila , & réduifirent la ville en
cendres; encouragés par ce fuccès, ils prennent
fucceffivement Vérone, T révigio, Crémone, Breffia
& Bergame. Les garnifons de ces différentes villes
furent paffees au ni de l’épée. Ce fut dans ces dé-
fordres que naquit Venife : cette ville qui devoit
balancer un jour les deflinées de l’Europe, & pref-
crire des bornes à la valeur des Turcs. On rapporte
que les Padouans, pour fe fouflraire au fort
effrayant de leurs voifins, fe réfugièrent dans des
marais près du golfe Adriatique, où ils languirent
d’abord dans une affreufe mifere , jufqu’à ce que
leur confiance les élevant au-deffus de leurs revers
, iis fe conflruifirent quelques cabanes. Voilà
quels furent les commencemens de Venife.
Attila continuoit toujours fes ravages ; il s’étoit
rendu maître de Pavie & de Milan. Ce fut dans I
celle derniere ville qu’il déploya toute la fierté
de fon ame. Ayant vu des tableaux dans lefquels
Tome ƒ,
A T T 689
les empereurs étoient rcpréfentés fur leur trône.
8c traitant lés rois en elclaves, il les fit effacer
auffi-tôt, & en fit faire d’autres où les empereurs
Ctoient repréfentés dans une attitude humiliante,
r li C.0nj l;^aîlt de recevoir leurs hommages qu’il
fembloit dédaigner. Les Romains étoient confie rnés
de crainte ; ils n avoient aucun obflacle à oppofer
aux Huns, âétms etoit dans les Gaules où t ls ’ef-
rorçoit de foutenir une ombre de la maiefté ro-
maine_; & s’tl étoit vrai que, la deftinée d'Attila
eut dépendu de lui l’année précédente, il dut fe
repentir de n’en avoir pas profité pour le perdre*
Convaincu de l’impoffibilite de conferver l’Italie *
il écrivit à Valentinien III, lui confeillant de faire
la paix, n importe quelles en fuffent les conditions ,
ou de-fe rendre dans les Gaules où il lui préparoit
une retraite. T el étoit le déplorable état de l ’empire *
lorfque le pape Léon fortit de Rome , & alla au-*
devant $ Attila ; parvenu à fa tente, il fe jette à
fes pieds, 6c le conjure , avec larmes , de rendre
le calme à l’occident. Le pontife parvint à toucher
le coeur du barbare. Attila fe tourna vers les fei-
gneurs de fa cour, « Je ne fais pourquoi, leur dit-il,
les paroles de ce prêtre m’ont touché ». On prétend
qu il affura avoir vu un fantôme vêtu ponti-
ficalement, qui le menaçoit de le tuer, s’il perfif-
toit à vouloir la guerre. Il confentit enfin à fe retirer
, mais a condition qu’on lui remettroit Honora,
fceur de Valentinien, qu’il réclamoit comme
femme, avec la part au tréfor impérial, qui reve-
noit à cette princefie ; il exigeoit en outre une pen*
fion annuelle. L’empereur foufcrivit à ces conditions,
ne croyant pouvoir racheter à trop haut-
prix les maux dont l’empire étoit menacé*
Attila ne furvéçur point à cette expédition ; il
fongeoit à faire une invafion en Afie, lorsqu’il fut
pris d’un fai^nement de nez, dont il mourut Fan
453* On prétend , contre toute vraisemblance,
qu il etoit dans vfa cent vingt-cinquieme année : il
n’efl guere probable qu’à cet âge, on puiffe fup-
porter les fatigues des guerres laborieufes qu’il enr
treprenoit fans celle. Bonfinius qui rapporte cette particularité
, en ajpute une plus croyable ; il affure
qu’il mourut pour s’être livré à des plaifirs trop
vifs le jour de fes noces. Plufieurs modernes fe .
font plû à nous tracer le portrait de cet homme
étonnant, & en ont faifi tous les traits. «Ils (les
Huns ) étoient, dit l’un d’eux, gouvernés par Attila,
» le monarque le plus redoutable qui fût alors dans-
» l’univers. S’il efl vrai qu’il ait conquis la Ger-
» manie , comme quelques-iins Le prétendent, fans
» cependant rapporter les guerres qu’il eut à fou-
» tenir pour s’en rendre maître, fes états s’eten-
» doient des rives du Rhin jufqu’aux bofds les plus
» reculés de la mer Noire ( on ne fauroit fixer
» autrement l’étendue de fa domination ) ; elle
> n’avoit pour bornes que la terreur de fes voifins*
> Les princes 6c les rois trembloient à fon feul
» nom ; 6c la déférence qu’avoient pour lui Fem-
» pereur d’orient & celui d’occident, ne différoit
». pas de l ’obéiffance que des fujets doivent à leur
» fouverain. Également fait pour la guerre & pour
» la politique, il avoit tous les talens du capitaine
» 6ç de l ’homme d’état, employant tour-à-tour 6c
» toujours avec fuccès, les forces, les menaces ,
» l’artifice & la rufe. Il ufoir indifféremment de
» tous les moyens : aucun n’étoit vil à fes y eu x ,
» s’il lui procuroit la virioire. Quoique craint de
» fes fujets, il en fut l’amour 6c l’idole, comme
» il fut la terreur & l’effroi de fes ennemis ; ce
» n’étoit pas par une vaine oflentatipn qu’il en im-
» pofoi't au peuple.; plein de mépris pour cette
» magnificence que les fouverains étalent comme
» le figne de leur grandeur, il fe montroit toujours
SS s s