Ordres , & dès qu’il ne fut plus, ils éclipfereiTt la
gloire des plus grands rois de la terre ; ce qui prouve
fon difcernement dans le choix de fes agens. Ce
prince , ami des arts & protecteur de ceux qui les
cultivent , récompenfoit avec magnificence les
grands hommes dans tous les genres. Il donna près
de deux millions à Ariftote, pour lui faciliter les
moyens de faire fes expériences phyfiques. Il entretint
une infinité de chaffeurs 8c de pêcheurs pour
procurer à ce naturalifte des fecours dans fes recherches
fur la conflitution interne des animaux.
Son fiecle fut le fiecle du génie. Ce fut celui qui
enfanta les Diogene, les Pyrrhon. Les arts étendirent
leurs limites. Protogene 8c Apelle firent ref-
pirer la toile avec leur pinceau ; Praxitèle , Polic-
t e te , Lyfippe animèrent le marbre , le bronze 8c
l’airain. Alexandre, indifférent pour le médiocre,
étoit épris pour tout ce qui fortoit des bornes ordinaires.
Stafurate, architecte fameux, lui propofa de
tailler le Mont-Atos en forme humaine 8c de lui en
faire une ftatue oh il eût été repréfenté portant
dans une main une ville peuplée de dix mille habi-
tans, 8c dans l’autre un fleuve , dépofant fes eaux
•à la mer. Le projet de ce coloffe refia fans exécution
, 8c la gloire du héros n’a pas eu befoin de ce
monument gigantefque pour fe perpétuer dans tous
les âges. Les fiecl§s d'Alexandre , d’Augufle, de
Corne de Medecis & de Louis X IV , font des époques
intéreffantes dans l’hiftoire des arts & du génie.
( M - y . )
A lexandre de Pa ph lag on ie , Bjajlya anc.')
fut un célébré impofteur qui étonna le vulgaire
par de prétendus prodiges, qui n’entraînerent point
les fages dans la féduftion. Les Poëtes avoient
débité qu’Efculape avoit été métamorphofé en ferpent
, lymbole de la prudence que doivent avoir
ceux q ui, comme lu i, profeffent l’art de guérir. Ce
célébré médecin, révéré comme le difpenfateur de
la fanté , devint l’objet d’un culte religieux , 8c
tint le premier rang rang parmi les divinités inférieures.
Alexandre profita de la crédulité populaire
, pour ufurper le titre d’homme infpiré ; 8c
s’étant affocié Croconas, chroniqueur bifantin aufîi
artificieux que lu i, il courut les provinces fous plu-
fieurs empereurs Romains. Les peuples de Macédoine
avoient l’art d’apprivoifer les ferpens, & on
en voyoit de fi privés, qu’ils tetoient les femmes
& jouoient avec les enfans fans leur faire aucun
mal. Alexandre étudia leur méthode, & fe fervit
d’un de ces animaux pour établir dans fa patrie un
culte qui pût y attirer les offrandes des nations.
Les deux impofteurs pafferent en Calcédoine, oii
ils cachèrent dans un vieux temple d’Apollon qu’on
démoliffoit, quelques lames de cuivre , où ils écrivirent
qu’Efculape avoit réfolu de fe fixer dans le
bourg d’Abonus en Paphlagonie. Ces lames furent
bientôt découvertes; Croconas, comme le plus éloquent
, prêcha cette prophétie dans toute l’Afie
mineure, &. fur-tout dans la contrée qui alloit être
honorée de la préfence du Dieu de la fanté, tandis
qu’Alexandre, vêtu en pretre de C yb e le , annonçoit
lin oracle de la Sybille, portant qu’il alloit venir de
Synope fur le Pont-Euxin un libérateur d’Aufoniè ;
' & pour donner plus de poids à fes promeffes, il fe
fervoit de termes myfliques & inintelligibles, mêlant
la langue juive avec la grecque 8c la latine qu’il
prononçoit avec enthoufiâfme ; ce qui faifoit croire
qu’il étoit faifi d’une fureur divine : fes contorfions
étoient effrayantes, fa bouche vomiffoit une écume
par le moyen d’une racine qui provoquoit les humeurs.
Ses connoiffances dans les méchaniques favo-
riferent encore fes impoflures , il fabriqua la tête
d’un dragon dont il ouvroit 8c fermoit la gueule à
fon gré, par le moyen d’un crin de cheval; ce fut
avec cette tête & fon ferpent appriyoifé qu’il fé-
duifit plufieurs provinces : il n’y a pas beaucoup de
mérite à tromper les hommes.
Les Paphlagoniens s’emprefferent à conflruire un
temple digne d’un Dieu qui leur donnoit la préférence
; 8c tandis qü’on en jette les fondemens, il
cache dans la fontaine facrée un oeuf où étoit renfermé
un ferpent qui venoit de naître. Dès qu’il
eût préparé le prodige , il fe rend dans la place
publique vêtu d’une écharpe d’or ; fes pas étoient
chancelans comme s’il eût été tranfporté d’une
yvreffe myftérieufe, fes y eu?: refpiroient la fureur,
fa bouche étoit écumante, 8c fes cheveux
étoient épars à la maniéré des prêtres de Cybele.
Il monte fur l’autel, il exalte les profpérités dont
le peuple alloit jouir: la multitude l’écoute avec un
refpett religieux , chacun fe profterne 8c fait des
voeux. Quand il voit que les imaginations font
embrafées du feu de fon fanatifme, il entonne une
hymne en l’honneur d’Efculape , qu’il invite de fe
montrer à l’affemblée, 8c quelques-uns même crurent
voir ce D ieu ; il enfonce un vafe dans l’eau
d’où il tire un oeuf, 8c s’écrie : peuple , voici votre
D ieu ; il leca ffe 8c l’on en voit fortir un ferpent.
Tout le monde eft frappé d’un étonnement ftupide;
l’un demande la fanté, l’autre les honneurs 8c les
richeffes : le vieillard fe fent moins débile , les
beautés furannées fe flattent de recouvrer leur ancien
coloris. Alexandre enhardi par fes fuccès, fait
annoncer le lendemain que le Dieu qu’ils avoient
vu fi petit la veille, avoit repris fa grandeur naturelle.
Les Paphlagoniens courent en foule admirer
ce miracle ; ils trouvent l’impofteur couché fur un
li t , & vêtu de fon habit de prophète, le ferpent
apprivoifé étoit entortillé à fon cou 8c fembloit le
careffer ; il n’en laiffoit voir que la queue, 8c il
fubftituoità la tête celle du dragon, dont il dirigeoit
la mâchoire, à fon gré.
Cette impofture annoblit la Paphlagonie où chacun
vint apporter fes offrandes ; & comme la fanté eft
le plus précieux de» biens, les provinces voifines
8c éloignées envoyèrent confulter fes oracles, 8c
l’on crut avec ce fecours pouvoir fe paffer de
médecins. Croconas, fon complice, partageoit avec
lui les applaudiffemens du vulgaire, lorfqu’il mourut
à Calcédoine de la morfure d’une vipere. Alexandre ,
deftitué de l’appui d’un impofteur plus adroit que
lui, foutint par lui-même fa réputation; les imaginations
étoient ébranlées, il n’y a quelquefois qu’une
première féduftion difficile à operer. Les yeux faf-
cinés, réaliferent tous les fantômes ; il vendoit fes
oracles à un prix fi modique, qu’il en avoit un
grand débit. Pour dix fols de notre monnoie , un
imbécille achetoit de ce fripon la connoiffance
de tout ce qui devoit lui arriver. On lui envoyoit
dans un billet cacheté la queftion qu’on p ropofoit,
& il écrivoit la réponfe dans le même billet, fans
qu’il parût qu’on eût rompu le cachet. On crioit
au miracle pour un fecret que le dernier commis
poffede aujourd’hui : les remedes qu’il preferivoit
aux malades accréditèrent fes impoflures , parce
qu’il avoit fait une étude férieufe de l’art de guérir.
Sa réputation s’étendit jufqu’à Rome , pii '• il fut
appellé par Marc-Aurele en 174. L’accueil que lui
fit ce philofophe couronné, lui acquit la confiance
des courtifans 8c du peuple ; on le révéra comme
le difpenfateur de l’immortalité, parce qu’il promet-
toit à tous de prolonger leur vie jufqu’au-delà du
terme ordinaire. Il prédit qu’il vivroit cent cinquante
ans, 8c qu’àlors il feroit frappé d’tin coup de foudre ;
il étoit de fon intérêt de faire croire qu’il mourroit
par un accident, pour ne pas décrier les promeffes
qu’il faifoit aux autres de perpétuer leur exiftence, 8c
de re&ifier les vices de la nature, Ses prédirions
* furent
furent démenties par l’événement ; il m o u ru t d’un
ulcéré à la jambe à l’âge de foixante 8c dix ans;
quoiqu’il eût entraîné des peuples entiers dans la
féduélion, fes preftiges n’éblouiroient pas aujourd’hui
la plus grofïïere canaille ; on eft familiarifé
avec les preftiges.
Le nom d"‘Alexandre a fouvent été déshonoré
par des impofteurs. Outre Alexandre Balès qui arracha
la couronne à Demetrius Soter , on voit
encore un aventurier qui fut affez audacieux pour
fe dire le fils de Perfée, 8c pour difputer fon héritage
aux Romains. Les Macédoniens féduits fe rangèrent
fous fes enfeignes ; fon début fut brillant,
mais Métellus l’arrêta dans le cours de fes profpérités
naiffantes; Alexandre qui n’avoit. aucune des
qualités guerrières du prince dont il fe difoit le
fils, effuya de fré.quens revers. Il fut pourfuivi juf-
qu’en Dardanie , où il difparut fans qu’on pût découvrir
quels lieux. lui ; fervoient de retraite. Cet
Alexandre ambitionnoit les trônes, le Paphlagonien
ne vouloit que s’enrichir. L’ambition 8c la cupidité
font deux pallions dont l’une fait fes viÉlimés de
ceux qui en font dévorés ; l’autre, plus fourde 8c
plus cachée, arrive plus fouvent à fon but. ( T —jv.)
Alexandre, tyran de Phérès, ( Hifloire de la
Grèce. ) Ce prince réunit aux plus grands talens qui
honorent l’homme public , tous les vices qui dégradent
lës plus obfcurs particuliers. Ses premiers pen-
chans fe déclarèrent pour la guerre , dont il médita
tous les principes. Les Theffaliens, qui connoiffoient
fon ambition 8c la férocité de fon caraétere, n’oferent
le mettre à la tête de leur armée. Alexandre, trop
fier pour vieillir dans des emplois fubalternes, le
fraya une route au commandement par le meurtre
du général Poliphron ; 8c teint d’un fang qu’il devoit
refpe&er, il s’érigea en tyran de la Theffalie, dont
fon crimeTavoit rendu l’exécration. Magnifique dans
fes dons, terrible dans fes vengeances , il impofa
filence à la cenfure., 8c fe fit de tous les hommes
pervers d’avides partifans. Les foldats, juges 8c .
témoins de fa valeur, fermèrent les yeux fur fes
vices, p’our ne les ouvrir que fur les récompenfes
qu’il prodiguoit par ambition. Dès qu’il fe vit à la
tête de vingt mille brigands aguerris, il crut pouvoir
tout enfreindre avec impunité. Les plus vertueux
citoyens lui parurent autant d’ennemis, 8c les plus
riches furent fes viêlimes. Leurs dépouilles furent
le partage d’une foldatefque effrénée, dont fes lar-_
geffes avoient fait des complices. Les femmes furent
enlevées du lit de leurs époux , 8c les filles furent
arrachées des bras de leurs meres. Les Theffaliens
accablés fous le jou g, implorèrent lé fecours des
Thébains. Pélopidas, qui leur fut envoyé, réduifit
le tyran à recevoir la loi qu’il daigna lui preferire.
Mais à peine eut-il fouferit au traité, qu’il ne rougit
pas de l’enfreindre avec éclat. Le général Thébain
pouvoit l’en punir ; mais il lui parut plus beau d’ufer
de douceur, pour apprivoifer ce caraétere farouche ;
il fut le trouver, fans avoir d’autre ëfeorte qu’un
ami. Le tyran le voyant défarmé 8c fans défenfe,
s en faifit, 8c le fit jetter prefque nud dans une prifon
obfcure, 8c on ne lui accorda d’alimens que pour
l’empêcher de mourir. La femme du tyran, aufli
tendre que fon mari étoit barbare, fut touchée du
fort de cet illuftre captif ; elle lui rendit plufieurs
vifites fecrettes, 8c elle adoucit les ennuis de fa
captivité.
gênerai trompe par un parjure, envoyèrent en
Theffalie une nouvelle armée, fous les ordres de deux
generaux fans courage 8c fans capacité. Alexandre
|es combattît avec avantage, jufqu’au moment où
les fpldats Thébains mirent à leur tête.Epaminondas,'
plus digne de leur commander. La réputation de ce
Tome /,
grand honinie rendit le tyran plus traitable & plus
loumis : Epaminondas négocia au lieu de le combattre
; il Craignoit qu’Alexandre aigri par une nouvelle
défaite , ne fit éprouver fa férocité à l’illuftre
captif qu il tenoit dans fes fers ; ainfi il fut redevable
de fon falut a la crainte qu’infpiroient fes cruautés.
La paix fut conclue, 8c Pélopidas fortit de fa prifon.
Des que les Thébains furent éloignés, le tyran
s’abandonna à la brutalité de fes penchans’ ; les villes
n’offrirent que des feenes de carnage. Pélopidas,
réveillé par les cris d’un.peuple fouffrànt, fe met à
la tête de fept mille hommes, 8c marche contre
Alexandre, qui lui en oppofe vingt mille, exercés
dans toutes fortes de brigandages. L’a&ion s’engage
dans les plaines de Cynofephale ; Pélopidas ; qui
avoit fa patrie 8c fes injures particulières à venger,
oublie qu’il eft général, & n’a plus que l’intrépidité
d’un foldat; il apperçoit le tyran, il le défie au
combat du gefte 8c de la voix ; une grêle de traits ,
décochés par l’ennemi, le perce 8c le renverfe
expirant. Son génie lui furvit, 8c. préfide après fa
mort aux mouvemens de fon armée, Alexandre
vaincu , eft forcé, de rendre toutes les places où il
exerce fa tyrannie ; il s’engage par ferment à ne
plus porter les armes que fous les ordres des Thé-
bains.^ Quand il fut dans l’impuiffance de nuire, il
languit dans la plus fale débauche ; & ne pouvant
plus exercer fes cruautés fur les citoyens, il les fît
ïentir à fa femme 8c à fes efclaves. Enfin comme il
n’exiftoit que pour faire des malheureux, fa femme ,
fécondée de les freres , en délivra la Theffalie par
un affaflinat. ( T— jv. )
Alexandre , ( Hiß. de Pologne. ) Après la mort
de Jean Albert, trois fils de Çafimir IV prétendirent
au trône de Pologne , & partagèrent les fuffrages de
la diete. C ’étoient Ladiflas, roi de Bohême & de
Hongrie ; Sigifmond, duc de Glogaw; 8c Alexandre,
grand duc de Lithuanie. Le premier s’efforçoit de
fubjuguer les efprits par fa puiffance, & de corrompre
les coeurs par fes préfens. Le fécond n’oppofoit à fes
deux concurrens, que fes vertus & l’eftime publique.
Un plus grand intérêt décida la diete en faveur du
troifieme ; on faifit le moment d’éteindre ces haines
nationales, fi funeftes à la Lithuanie 8c à la Pologne,
8c de former un même corps politique de deux
peuples fi long-temps rivaux; Les Lithuaniens, flattés
de voir la couronne fur la tête de leur duc, confen-
tirent à la réunion, 8c obtinrent le droit de voter
dans les éle étions. Alexandre fut donc couronné en
1 5° r J mais Hélene fon époufe , fille du czar, ne'le
fut pas ; la nation lui fit un crime de fon attachement
au ichifme des Grecs. Alexandre calma les reffen-
timens de fon beau-perè, qui avoit juré d’exterminer
les Lithuaniens. Ce peuple cultivoit fes.
champs en paix, lorfque les Tartares , qui n’é-
toient arrêtes ni par le fouvenir de leurs anciennes
défaites, ni par la foi des traités, vinrent fondre
tout-à-coup fur la Lithuanie. Alexandre étoit malade ,
8c touchoit prefque à fes derniers momens ; il fe fit
porter en litiere à la tête de fon armée, anima fes
foldats d’une voix mourante , 8c les conjura de
donner'à fes yeux le fpeélacle d’une viétoire , avant
qu’ils fe.fermaffent pour jamais. On étoit déjà arrivé
à la vue des ennemis; le général Stanifîas Kiska
rangea les troupes en bataille, distribua les poftes,
8c donna-le lignai du combat. Les Tartares furent
vaincus ; le roi étoit expirant, & fon ame fembloit
s arrêter pour apprendre le fuccès de la bataille. On
vint lui annoncer qu’elle étoit gagnée ; il leva les
yeux au ciel, & mourut le 19 Août 150&. C’étoit
un prince mélancolique 8c taciturne ; il lutta, mais
en vain, avec le fecours de la mufique contre le noir
chagrin qui le rongeoit. Il étoit plus févere qu’équitable,
8c moins généreux que prodigue. Il régna
Mm