fera-t-il ? il faut calculer par conjefture. Ce lac
eft au - delà du 60e degre de latitude, jufqu’au
68 ou 69e ; le principal portage ne peut être placé
qu’au 59 ou 60*; cette riviere doit fe jetter apparemment
dans là mer au détroit d’A ni an , je nommerai
conftamment ainfi celui qui fépare l’ Afie de VA-
mèrique, n’en ayant pas encore de nouveau ; nous
n’en connoiffons pas- d’autres jufqu’à préfent, que
celui qui fe trouve vis-à-vis des Tfchrtith, à 65
degrés ; à prendre le milieu, ce fera tout au plus 60
parallèles, oit dix lieues par degré feront 100 dé-
grés ;& nous nous trouverons aux environs de 180
dégrés , conformément à mon fyftême.^
Si on vouloit fuppofer que cette riviere fe jettât
dans la mer du nord, cette circonftance feroit encore
plus favorable à mon fyftême ; celle-ci étant
généralement placée , comme celle qui coule, au
nord de l’Afie , à 70 dégrés , elle feroit plus proche
que le détroit, ou , ce qui eft le même, celui-ci
plus éloigné. Il y a plus, on parie d’un voyage de
long cours jufqu’à un lac , oîi des hommes barbus
viennent ramaffer de For. Quel pays fe trouve
au-delà ? D’où viennent ces hommes barbus ? De
quelque maniéré que l’on réponde, on fera obligé
d’avouer que cette partie de FAmérique ne fauroit
avoir fi peu d’étendue qu’on la repréfenté dans les
nouvelles cartes, & lerefte de nos relations quadre
exactement avec ce que nous venons de dire.
Continuons de d'efçendre pèu-à-peu; le faut Saint-
Antoine eft à-peu-près au même dégré ; les Colonies
Angloifes, à l’eft du Mifliflipi, & leurs voifins
les fauvages , n’ont pas befoin qu’on en parie ; tout
ceci eft hors de doute ; il n’en eft pas de même des
nations à l’oueft, & que le baron de la Hontan nous
fait connoître.
Il vint avec fes compagnons du lac Michigan ,
de la baie des Puants : après un petit voyage par
tèrre il fe trouva chez les Onatouaks , allies des
Eokoros ; de-là il defcendit la riviere Onifconfine
jnfqu’alors inconnue; monta pendant huit jours le
Mifliflipi , & entra le 23e oâobre 1688, dans la
riviere Longue ou Morte; parvint chez les Eokoros,
enfuitechez les Efîanapés, enfin chez les Gnacfitares ,
011 il rencontra quelques Moozemteks, qui lui donnèrent
connoiflance des Tahuglanks & de leur pays
avec beaucoup de détail. Il remarque que, depuis
les Eokoros , chaque nation fe montra plus douce,
plus civilifée , & les Moozemleks, qui ne le font
pourtant pas autant que les Tahuglanks, lui parurent
d’abord'des Européens. La riviere Longue coule
toujours fous le 46e degré, & jufqu’au lac des Gnacfitares
; entr’eux & les Moorzemleks, il y a une
chaîne de montagnes, de laquelle, de l’autre côté
plus au nord-oueft, fort la fource d’une riviere qui
court vers l’oueft & fe jette dans le lac, des Ta huglanks
, qui a 300 lieues de tour fur trente de
large ; des bâtimens de deux cens pieds de long
voguent fur ce lac ; vers la fortie de la riviere il y a des villes , des pays , des peuples ; une nation
entièrement civilifée , nombreule comme les feuilles
des arbres, ainfi que s’expriment ces peuples ; d’autres
nations, également nombreufes, font à leur
oueft; & pourtant nous voyons que les peuples
vis-à-vis des Tzchfifchkz ne font qu’un peu moins
barbares que ceux-ci, & feulement autant qu’il faut
pour faire connoître qu’ils ont, dans un certain éloignement,
des voifins qui le font encore moins, entr’eux
& les Tahuglanks, & cela feulement à des
dégrés différens & éloignés , depuis le 65 au 45e
dégré , toujours vers le fud-oueft.
Nous allons voir à préfent oîi les diftances données
par la Hontan nous conduifent. M. D. L. G.
D. C. trouve que la Hontan a employé cinquante-
fept jours pour remonter la riviere Longue, jufqu’aux
Gnacfitares, & trente-cinq jours pour reclef-
cèndre. En compenfant un nombre avec l’autre ,
nous aurons quarante-fix jours, qui, à dix lieues,
font quatre cens foixante lieues. Confervons feulement
la diftance donnée fur la carte qui eft de quatre
cens lieues jufques aux bornes des Gnacfitares contre
les Moozemleks ; de-là jufqu’au lac des Tahuglanks
,, il y a cent cinquante lieues. Ce lac de trois
cens lieues de tour, fur trente de large , devroit
donner cent lieues de long; n’en comptons que
quatre-vingts; voilà déjà fix, cens & trente lieues.
Nous avons dit qu’au quarante-fixieme dégré on ne
devroit compter qu’environ quatorze lieues par
degré. Si nous comptions les vingt en entier, nous
aurions trente & un dégrés & demi, lefquels étant
déduits des deux cens quàtre-vingt-fix, qui eft la plus
forte longitude qu’otï donne dans une carte, laiffe-
roit un refte de deux cens cinquante-quatre dégrés
& demi.
Remarquons encore d’autres faits importans. Les
Tahuglanks font la guerre à d’autres peuples, qui
ne leur cedent, ni en pmffance, ni en forces; &
quoique leur nombre foit comparé aux feuilles des
arbres, ils trouvent cependant des peuples plus à
l’o.ueft, qui ne font pas moins nombreux. Il faut
donc que le continent s’étende encore bien loin. On
doit aufîi obferver que la Hontan ne dit point que
la riviere ait communication avec la mer depuis ce
grand lac : mais on doit croire qu’elle y pafle, &
va toujours à l’oueft; elle répondroitalors aflez pour
la latitude à celle que M. Muller place à, quarante-
cinq dégrés, mais à deux cens quarante-fix ou deux
cent quarante-fept de longitude , & qu’il fait fortir
du lac Oninîpigon entre le qüarante-feptieme dégré
& demi, & le cinquantième de latitude. Ce lac
fauroit d’autant moins être celui des Tahuglanks
que celui-là eft à Feft, & celui-ci à l’oueft de la
chaîne des montagnes, fans, compter que fur le premier
il y a le fort Màurepas, & que les environs
devroient être connus des François. Il fe peut qu’on
ait voulu concilier ces contradi&.ions , puifqu’on
varie fi fort dans les longitudes & les latitudes, la
carie tracée par Onagach donnant toute liberté de
le faire ; cependant cette conciliation eft impoflîble,
fi le làc des Tahuglanks eft à environ quarante-cinq
dégrés de la t i tu d e& au füd du fleuve de Miflîf-
fipi, & que, par contre , tous ces lacs forent à fou
nord. Quant à la longitude,, il n’y a pas la moindre,
conciliation à efpérer, dès que le dernier de ces lacs,
l’Oninipigon, doit fe trouver à deux cens foixante-
quinze dégrés , au lieu que celui des Tahuglanks
ne fauroit être qu’au deux cent quarante - cinq à
deux cent cinquante, en donnant plus qu’on ne fau-
roit accorder.
Que fera-ce, fi on réduit ces fix cens trente lieues
en dégrés de quatorze lieues, comme elles doivent
l’être inconteftablementà cette latitude ? Elles feront
quarante-cinq dégrés ; & le bout occidental du lac
des Tahuglanks viendra au deux cent quarante-
unieme dégré de longitude, vers l’entrée de Fuca ;
& les nations plus éloignées feront dans la pleine
mer, qu’ on fuppofe à fon oueft & fud-oueft. Mais
fi on peut s’en tenir aux anciennes cartes, cette
extrémité occidentale du lac des Tahuglanks fe trouvera
vers le royaume d eT o b n , ou dans, le pays
de Teguajo, fi fort avancé vers l’eft dans les nouvelles
cartes ; les douze dégrés de diftance entre le
nouveau Mexique & les Gnacfitares y conduifent
& feroient les quatre-vingts tafous, & encore plus
les quatre-vingts lieues qu’il y a entre ceux-ci & le?
fauvages voifins des Efpagnols , indiqués par les
Moozemleks.
Je fais que plufîeurs font depuis long-tems prévenus^
contre la véracité de la Hontan. La perô
Charlevoix n’en porte pas un jugement favorable;
il dit pourtant , dans la lifte des auteurs qu’il a
placés, à la fin .de: fon Hiflaire de. la. nouvelle France.,
qu’il étoit homme de condition, foldgt, puis,officier
; en ajoutant que dans, fa relation le vrai
eft mêlé avec le faux ; que le voyage de la riviere
Longue eft une pure firiion , aufîi fahuleufe
que l*île de Barataria ; « mais que cependant en
» France & ailleurs, le plus grand nombre a re-
» gardé ces mémoires comme le fruit des voy.ar
» g es d’un cavalier qui éc-rivoitmal, quoiqu’afîez: lé-
» gérement, & qui n’avoit point de religion , mais
» qui racontait aflez fincérement ce qu’il avoit vu
Je crois que ce grand nombre raifonnoit bien ,'
& M. D. L. G. D. C . encore mieux , & d’une maniéré
qui m’a charmé, puifqu’on y voit tout le bon
fens poflîble. Il rapporte qu’après avoir traverfé le
lac Michigan & la baie des Puants, après un court
trajet par terre , la Hontan defcendit parla riviere
Onifconfine dans le Mifliflipi, & que cette route
étoit alors encore inconnue ; qu’il remonta le Mif-
fiflipi en huit jours jufqu’à la riviere Longue, qui
vient de Fou,eft, & débouche fur la rive occidentale
qû’il place au quarante - cinquième degré de
latitude.
Il entra dans la riviere Longue le 23 oriobre
1.688, & la remonta jufqu’aux dix-neuvième de
décembre, ôç mit environ trente-cinq jours à la
defeendre jufqu’âu Mifliflipi. II donne une carte de
la partie de la riviere qu’il parcourt, difant'qu’il
l’avoit levée lüi-même , & une autre dont l’original-
fut tracé fur des peaux par des fauvages , & Fon y
voit une riviere qui' coule à l’oiueft, peu éloignée
des fouree-S de la riviere Longue. Il entre dans
ce détail des peuples qui habitent à l ’embouchure
de cette fécondé riviere, aflurant qu’il tient ces
connoiflances des fauvages , les Tahuglanks, fitivés
aux environs du grand lac ou fe jette cette riviere
de l’oueft., &c.
Toutes les parties de fa relation paroiflent naturelles
; elles fe' foutiennent réciproquement, & il
femble aflez difficile de fe perfuader qu’elles ne font
que le fruit de Fimagination de Fauteur. Lorfqu’elle
Rit publiée perfonne ne la révoqua en doute : ce
n’ eft que lorfqu-’on a négligé ces découvertes,
qu’on a commencé à-en douter , qu’on l’a rejettéé
& qu’on l’a traitée de chimere fans en produire aucune
preuve.
M. Delifle, dans fa carte du Canada , avoit mis
la riviere Longue , & l’a fupprimée dans celle du
Mifliflipi, fans en dire la raifon. Le pere Charlevoix
regarde la découverte du baron de la Hontan
comme aufîi fabuleufe que l’île de Barataria ;
mais c’eft fans preuve ; il en faudroit pourtant produire
avant de fe déterminer à traiter avec tant de
mépris la relation d’un voyageur àufli célébré, gentilhomme
, officier, qui n’auroit pu efpérer des ré-
compenfes par des fuppofitions fi groffieres, qui
l’auroient déshonoré.
Il étoit accompagné de plufieurs François qui
étoient vivans lorfque fa relation fut publiée , - &
qui l’auroient démenti, ils ne Font pas fait ; ceux
qui ont pris à tâche de le décrier n’en ont pu citer
aucun. Ayant eu le malheur de déplaire au minif-
t r e , fa difgrace aura pu influer fur fon ouvrage ,
de même que fes fentimens trop libres & peu religieux.
Le pere Hennepin place une riviere à fept ou
huit lieues au fud du faut Saint - Antoine , qui
vient de l’oueft ; ce ne peut être que la riviere
Longue. Elle doit être confidérable , puifqu;ii la cit
e , vu qu’il ne fait pas mention de cinq ou fix
autres, que MM. Delifle , Bellin & Danville placent
fur le même côté. Une dé cés rivières, noiiir
niée par les géographes riviere ca^cjiie , eft à-peu-
près fous la même latitude que l’embouchure de la
riviere Longue par la Hontan.
Benavides parle des Apaches-Vaque.rc>s,à,l’eft du
nouveau Mexique,; il compte de-là cent & douze
lieu esversFe ft jufqu’aux Xumânes,, Japips , Xab.
ataos ; à l’eft de ceux-ci, il met les Aixais & la
province de Quivira dont il. nomme les habifans
Aixaraos, qui reflemblent aflez aux Eokoros de
la Hontan , & la diftance y convient .aufîi.
Lors de la découverte du nouveau Mexique, par
Antoine d’Efpejo, les fauvages lui firent comprendre
qu’à quinze journées de chemin il y .avoit un grand
lac, environné de bourgades.,, dont les habitans.fe fer-
voient d’habits, aboridoient en vivres, demeuroient
dans de grandes maifons,
Les Efpagnols de la province de. Gibola, & les
habitâns .de Zagato à vingt lieues de Cibola vers
l’oueft, confirmèrent la. meme chofe.
Tout ceci s’accorde avec.le lac, & avec la nation
des Tahuglanks. Les Efpagnols placent au nord &
au-delà des montagnes du, nouveau Mexique , un
grand pays, Teguajo, d’oîi ils prétendent quefortit
le premier Motezuma,lorfqu’il entreprit la conquête
du Mexique.
11 eft fur que le Miflburi prend fa fource dans
cette longue chaîne de montagnes qui fépare le
nouveau Mexique d’avec la Louifiane , & que les
fi.vie.res qui y prennent leur fource, coulent chacune
du côté où elles fartent de terre , vers l’on eft ou
vers.' lleft.
La route par le pays des Sioux, eft d’environ
trois degrés, plus au nord que celle de la Hontan.
Les. indications qu’il reçut d’une riviere à l’oueft ,
s’accordent aflez avec celles du fauvage Ochagac ,
fuivie par M. Danville. La différence eft de deux
à trois dégrés de latitude : mais il pouvoit facilement
s’y tromper, puifqu’il ne l’a copiée que fur les peaux
tracées par les faitvages. .
Ces faits & ces raifonnemens du défenfeur du
baron de la Hontan, . devroient fans doute déjà
ftiffire pour ne pas mettre au rang des fables fa relation
tâchons i cependant d’en faire encore mieux
fentir la force par quelques réflexions.
On. n’a que ideux obj.èâions à faire contre fon
anthenticité ; l’une que les circonftances de fa relation
ne font pas confirmées par d’autres ; l’autre
que :c’étoit un libertin,, un:- homme fans. religion ,
auquel on ne peut ajouter foi. Mais, je le demande,
font-ce1 là des raifons capables de fairé la moindre
impreflion fur un homme impartial & non prévenu ?
Je fais que c’eft-là le fort même de toutes les anciennes
découvertes & la raifon pourquoi on rejette les anciennes
relations Efpagnoles. Quoi de plus ridicule ?
celles-ci, par exemple , étoient tenues pour indubitables
par tout le monde.: on étoit.convaincu que
plufieurs centaines de perfonnes,de toute qualité, en
avoient été les témoins oculaires. Les faits étoient donc
vrais alors ; mais parce que, depuis cent cinquante
ans & plus , perfonne n’a voulu fe tranfporter dans
ces mêmes pa ys, on trouve que ce qui étoit vrai
alors., ne l’eft plus aujourd’hui ; de même que pour
les îles de Salomon , plufieurs terres auftrales,
&c.. Il en eft de même dans le cas préfent, parce
que depuis la Hontan & fes compagnons, perfonne
n’a voulu fe hazarder fi loin, tout ce qu’il dit eft:
controuvé ; & c e qu’il y a de plus étonnant eft,
que les découvertes de de Fonte & de Fuca, qui ne
roulent que fur des poflibilités impoflibles , font
reçues avec avidité.
11 y a plus encore, Fauteur dédie la carte du
Canada & cet ouvrage au roi de ‘Danemarck,
dans le teins que tous ceux qui l’avoient accompagné,
étoient encore vivans. Quelle hardieffe ! quelle