
 
        
         
		ténèbres, de barbarie &  de fervitude, auroie'nt-ils pu  
 donner  au ferle  prix de l’or ? D ’un  côté , le tableau  
 -des  républiques  les  plus  floriffantes,  des  plus  fu-  
 perbes  monarchies,  des  plus  merveilleufes  conquêtes, 
   des  plus  grands  hommes  de  l’univcrs,  
 étoient  fous.-Jes  yeux  de  l’hiftoire.  De  l’autre,  
 qu’avoit-ëllë à peindre ? Des ineurfions,  des brigandages  
 ,  des  efclaves  &   -des  tyrans.  Exceptez- en  
 quelques régnés, &  dites-moi ce qu’auroient-fait  de  
 nos miférables  annales  les  Tite -L iv e ,  lès Tacite,,  
 les  Thueidide,  les  Xénophon  ?  Quand',  le  génie  
 n’auroit pas manqué  à Thjiftoire moderne ;  l’hiftoire  
 elle-même,  cet  amas  de  crimes  fans  noblefl'e,  de  
 nations  fans  moeurs,  d’événemens  fans  gloire,  de  
 perfonnages  fans  caractère,  fans vertu ni talent  que  
 la  férocité ,  n’auroit-elle  pas  rebuté  le  génie ? Des  
 hommes éclairés,  fenfibles,  éloquens,  fe  feroient-  
 ils  donné  la  peine  d’écrire  des  faits indignes  d’être  
 lus ?  • 
 Les poëtes ?  Mais a-t-on pu  prétendre  que  deux  
 régnés,  celui  de  Léon  X   &   celui  de  Louis  XIV,  
 puffent entrer dans la balance avec toute l’antiquité ?  
 Ce  font  les  fiecles  d’Alexandre  &   d’Augufte,  &   
 tous les régnés des empereurs, que l’on réunit contre  
 le  premier  âge  de  la  renaiffance  des  lettres.  Mais  
 pour juger combien le temps  fait  à.la  chôfe,  on n’a  
 qu’à  joindre  cinquante  ans  au, fiecle  de Louis X IV ,  
 &  l’on a de plus du côté des modernes, qui ?  Pope,  
 •Adiffon,  Métaftafe,  nombre  de  poëtes  François  
 eftimés  &   dignes  dé*  l’être;  &   cet  homme  prodigieux, 
   qui  peferoit  lui  feul dans la balance  dix  anciens  
 des plus admirés. 
 Cette  réflexion  nous  ramene  aux moyens  qu’on  
 •   auroit encore de  réclamer en faveur des modernes ,  
 contre  l’in jufte  parallèle  qu’on  a  fait  d’eux  &   des  
 anciens. Ce feroit'd’abord,  comme nous l’avons dit,  
 de  comparer  les  efpaces  des  temps,  de  faire  voir  
 d’un côté mille ans écoulés, feulement depuis Homere  
 jùfqu’à Tacite, &   de  l’autre côte tout au plus un ou  
 deux  fiecles de  culture  ;  d’obferver enfuite ce qu’un  
 demi-fiecle amis depuis dans la balance.Onpourroit  
 dire  alors :  Voilà ce qu’a donné  l’efpace de foixante  
 années.  Qu’on  attende  encore  quelques  fiecles ; &   
 quand  les  temps  feront  égaux,  on  aura:  droit  de  
 -comparer  les hommes. 
 On rapprocheroit enfuite les circonflances locales,  
 celles  des  hommes  &   des  temps;  &   combien,  du  
 côté  de  la  Poéfie,  comme  de  l’Eloquence  &   de  
 l’Hiftoire  ,  les modernes n’auroient-ils  pas de gloire  
 d’avoir  furmonté  tant  d’obftacles  pour  approcher  
 des  anciens?   Voye^ l’article Poésie, Suppl. 
 C’étoit ainfi,  ce  me  femble,  que  cette caufe de-  
 voit être plaidée.  Si  on  ne  fe  paffionnoit  que  pour  
 -  la  vérité,  on  feroit  jufte,  impartial  comme  elle  ;  
 mais  on  fe  paffionne pour fon opinion ,  &  la vanité  
 veut avoir r .ifon,  à quelque prix que ce foit. 
 Le  parallèle  de  Perrault dans  la  partie  des arts,  
 eft  d’un homme  plus  éclairé,  mais  préfumant  trop  
 de  fes forces ,  ou plutôt donnant trop à  l’adulation.  
 Quand il ferpit .vrai que les modernes auraient égalé  
 les  anciens  en  fculpture,  en  architecture,  la  gloire  
 de  ces deux  arts n’en feroit  pas moins toute entière  
 ou prefque toute entière à ceux qui,  les ayant créés,  
 les  ont portés à  un point d’élégance, de correction,  
 de  noblefl'e, digne  de  fervir de modèle. On  a  beau  
 dire qu’on peut ajouter aux beautés de l’archite&ure  
 ancienne,  cela n’eft  pas  arrivé encore.  On a donné  
 plus de hardiefle &  de commodité aux édifices  c’eft  
 le fruit de  l’expérience ;  mais  plus  d?élégance  &  de  
 majefté , non. Or c’eft tà le fruit du génie. 
 Quant à la peinture &  à la mufique, il faut fa voir  
 douter  des  prodiges  que  l’on nous  vanté ;  mais  ne  
 pas  aflurer fur  des preuves  légères que ces  arts n’é-  
 toient qu’au berceau j que les  ajicims qui çhantojpot 
 fut  la  lyre  ne  fe  doütoient  pas  dés  aocords ;  que  
 dans  la  peinture  ils  n’avôient  ni la  magie  du  clair-  
 obfcur,  ni l’une &  l’autre perfpeérive ;  n,e pas  juger  
 d’Ath'enes d’après Pompeïa,  &  préfumef qu’un peuple  
 , dont les organes étoient  fi  délicats &  le  goût fi  
 fin &  fi jufte,  ne  fe feroit  point  paflïonné  pour  ces  
 deux arts, s’ils n’âvoient pas été à-peu-près de niveau  
 avec ceux où il excelloit. Apelles , Timàntè,  A.ëtioii  
 en auroient-ils impofe'aux  jugés de  Praxitéllë  &   de  
 Phidias?  Une mufique  foible auroit élle produit 'des  
 effets  qu’on oferoit à pèin'e attribuer à  l’éloquence,  
 &c fait craindre, même aux plus  fages, fon influence  
 fur les moeurs &  fori afcendant fur les lôix ?  Ce préjugé  
 ,  favorable  aux  anciens,  méritôit  qu’on  ne  
 négligeât aucun des avantagés dii côté des modernes ,  
 &  l’Italie eûtété d’un grand poids dans là balance des  
 beàüx-arts.  D’où  vient  donc  que.Perrault  a  eu  la  
 vanité  de n’y   faire  entrer que  l’école  Françoise ?  II  
 a voit  fait  un  mauvais  petit  poëme ,  dans’ lequel,  
 pour flatter Louis X IV ,  il âvoit oppofe  fon régné à  
 toute  l’antiquité.  On  trouva  la  louange  outrée ;  if  
 voulut  la juftifier,  &  fit un livre,  où,  avec de l’efi  
 prit,  il  s’efforçoit d’avoir  raifon :  moyen prefqu’afi  
 furé de faire un mauvais livre. 
 Ainfi lui-même il avoit àffoibli une caufe  déjà trop  
 foible,  en détachant du parti  des modernes tout Ce  
 qui n’appartenoit pas au régné de Louis le Grand ;  &c  
 s’il  appelle  à  Ion  fecours Malherbe,  Pafcal &  Corneille  
 ,  fur-tout  l’Ariofie  &   lé  Tafle,.  c’eft  qu’il  
 s’oublie,  &  perd de vue l ’objet qu’il s’étdit propofé. 
 Mais ce  qui l’avoit mis encore plus à l’étroit,  c’eft  
 l’alternative  comique  à  laquelle  il  étoit  réduit,  ou  
 de louer fes  adverfaires &   les amis de fes  ennemis,  
 ou  de  renoncer  à  tout  l’avantage  que' "leurs  talens  
 donneraient à fa caufe. Racine, Defpréaux, Moliere,  
 la Fontaine étoient  bien d’autres hommes à  oppofer  
 aux anciens, que  Chapelain  &   Scuderi.  Il eût fallu  
 avoir le  courage  &   la  franchife de  les  louer  autant  
 qu’ils méritoient de i’être ;  &   cette  vengeance étoit  
 en même temps  la pliis'noble &  la  plus adroite qu’il  
 pût tirer d’un injufte mépris. (M. Ma rm o n t e l . ) 
 A n c i e n s   ,   A n t i q u i t é ,   (Beaux-Arts.  )  Lorfi-  
 qu’en traitant des beaux-arts on parle des anciens ou  
 de  l’antiquité,  on  entend fous  ce  nom  les peuple»  
 anciens chez lefquels ces  arts ont été floriffans, &  ce  
 font  principalement  les Grecs  &  les  Romains.  Ces  
 deux nations fe font diftinguées par  la  délicateffe de  
 leur goût &  par l’excellence  de  leurs ouvrages.  On  
 ne  fauroit difconvenir  qu’elles  ont  porté  les.  arts  à  
 un degré de perfection que les modernes n’atteignent  
 que  très-rarement.  Il  y   â  eu  des,critiques  qui ont  
 exalté  avec  tant  d’enthoufiafme  la  fupériorité  des-  
 anciens,  que  d’autres  ont  cru voir  dans  cès  éloges»  
 une  cenfure  ôffenfante  des modernes.  C’eft ce  qui  
 occafionna en France la  difpute fi vive  &  fi  connu b  
 fur la prééminence entre les anciens &  les modernes;  
 difpute  qui,  pendant quelques années,  fut pouffée  
 de part &  d’autre  avec  trop, de  chaleur. 
 Nous n’entrerons point ici dans cette querelle. La  
 difcuifion  feroit.plus.longue  que  ne l’a cru M.  Perrault, 
  qui a prétendu prouver dans fon petit ouvrage-  
 Parallèle des anciens & des modernes. ) ,  que, les mo-  
 ernes ont égalé  &   même  furpaffé les  anciens  dans  
 tous  les  genres.  Nous nous  bornerons à   des  réfle--  
 xions générales fur  le  goût  des anciens,  telles  que  
 la  nature  de  cet  ouvrage  les  permet.  Nous  n’en  
 parlerons même  ici  que  relativement à l’Eloquence  
 & à   la Poéfie , renvoyant à   article A n t i q u e  ce q u i   
 concerne  les arts delà  Peinture &  de la Sculpture. 
 Les  réglés fondamentales du goût font les mêmes  
 dans tous les  fiecles,  piiifqu’elles  découlent des attributs  
 invariables  de  l’efprit humain.  Il y  a néanmoins  
 beaucoup  de  variétés  dans  les  formes  accidentelles  
 fous léfquellçs  le beau fe  peut préfentcr. 
 C’eft  à  ce qu’il y  a d’accidentel  qu’on doit  néceflai-  
 rement  faire  a tten tio n , lorfqu’il s’agit  de juger  des  
 anciens. Un morceàu d’éloquence ou de poéfie peut  
 être  parfaitement  beau ,  &  s’écarter  néanmoins  
 beaucoup  de  ce qui chez  l.e's  modernes  paffe  pour  
 ê tre de la plus grande beauté.  Si l’on néglige de faire  
 ce tte réflexion, on  rifque  de  porter à to u t moment  
 Îles jugemens faux. On ne doit pas juger de la beauté  
 d’un  habillement Perfan  d’après  la mode  des  Européens  
 ; il faut néceffairement  avoir fous  les  y eux la  
 forme  Perfane ;  c’eft  elle  feule  qui  peut  fervir  de  
 réglé  dans  le  jugement  qu’o u  voudra porter. 
 La forme  que  les  anciens  donnoient  à  leurs o u vrages  
 de  goût  s’éloigne  p o u r  l’ordinaire  très-fort  
 de la forme qu’on fuit aujourd’h u i, quoique l’eflence  
 de  ces  ouvrages  n’ait  point  varié.  Nous .parlons  ici  
 principalement  des  écrits  qui  ne font pas de  fimple  
 amufement,  -mais  qui  ont  un  but m o ra l,  qu’ils  tâchent  
 d’obtenir fous une forme accommodée au goût  
 du fiecle. 
 Le but des poëtes G re c s, par exemple, dans leurs  
 tragédies,  n’étoit  pas  uniquement  de  je tte r  pour  
 quelques  heures  les  fpeûateurs  dans  une  agréable  
 agitation de  fentimens d iv ers, de montrer leur habileté  
 dans l'a rt de remuer  les  paflîons , & de s’attirer  
 une  confidération ou d’autres avantages  perfonnels,  
 ce  qui  eft  le  but  ordinaire  des  .poëtes  modernes.  
 C e tte   différence  dans  les  vues  a  dû néceffairement  
 en produire une très-grande  dans l'exécution. 
 Il n’y  a peut-ê tre point de gen re,  foit  en poéfie,  
 foit en p ro fe ,  qui  n’ait  été  dans fa première origine  
 introduit à  l’ufage de  la  religion  ou de  la politique.  
 C ’eft  d’après  cette  remarque  .qu’il  faut  juger  de la  
 forme  accidentelle de chacun  de  ces genres.  Sans le  
 fecours de ce fil, on s'éga rerait, & l’on p orterait des  
 jugemens très-faux &  très-injuftes fur  les  ouvrages  
 de l’antiquité. Combien  d’auteurs modernes qui dé-  
 faprouvent les choeurs dans  les tragédies  anciennes,  
 parce  qu’ils  leur paroiffent  peu naturels ! Mais  s’ils  
 iaiforènt  réflexion  que les  chants  folemnels  de  ces  
 choeurs  étoient la partie la plus  effentielle  des  p re mières  
 tragédies, & que l’a â io n  n’étoit qu’unaccef-  
 foire  C h oe u r ,  E p i s o d e , 5'«/y>/.)-, ilsrec o n - 
 noîtroient que  les  poëtes  n’ayant  pas  la  liberté de  
 toucher  aux  choe u rs,  ont  fu  les incorporer  à  l’action  
 avec  beaucoup  de fageffe  &  to u t  le  goût imaginable. 
 On   trouve  pareillement  dans  les  ouvrages  des  
 anciens,  des traits qui répondent parfaitement & de  
 la  manière  la  plus  jüdicieufe,  au  but  principal  de  
 l’auteiir , &  qui  par conféquent tiennent à la  perfection  
 de  l’ouvrage ; & l’on ne fauroit nier néanmoins  
 que  de  pareils  traits  dépareraient  infiniment  l’o u vrage  
 d’un auteur moderne. Q u’on life p a t exemple  
 dans  l’Antigone  de Sophocle,  la quatrième fcene du  
 premier  a û e ,  on  trouvera  froide  &   choquante  la  
 maniéré  dont le foldat vient  annoncer à Créon  l’enterrement  
 de  Polynice. Une  perfônne peu inftruite  
 fera tentée de croire que  Sophocle a voulu  ici donner  
 dans  lé  burlefque.  Mais  quand  on  fe rappellera  
 l’obligation  que  la  politique  impofoit  aux  poëtes  
 Athéniens,  d’infpirer à chaque  occafion à leurs concitoyens  
 de l’horreur pour l’état monarchique, cette  
 fcene  paroîtra  excellente.  Le poëte y  trace  de main  
 de  maître les  extravagances auxquelles  l’efprit  défi  
 potiqtie d’un tyran peut induire fes efclaves. 
 Il ne  fuffit p a s ,  en lifant }es  ouvrages de  goût des  
 anciens,  de  nè jamais perdre de vue -le  b u t  auquel  
 ils  étoient  obligés  de  fubordonner tout  le  re fte ;  il  
 faut encore avoir conftamment fous  les y e u x , leurs  
 moeurs ,  leurs loix &  leurs ufages ; fans cela  il  n’eft  
 pas pofîible d’en juger fainement. Si l’on ne confidere  
 pas  quelle  importance  les Grecs mettoient  à  leurs  
 jeux  publics, &  fur-tout  à la courfe des çheyaux ,  
 J'orne  h 
 on reprochera à Sophocle d’avoir ridiculement donné  
 dans  fon Electre  une fi  longue  defcription d’une  pareille  
 courfe  à  l’occafion  du  récit  fabuleux  de  la  
 mort  d’Orefte. Cependant c’eft ce morceau-là  qui  a  
 dûpiaire davantage àfesfpe&ateurs. 
 Au fiecle d’Hom ere, l’ufage n’étoit pas encore introduit  
 dans  la  fo c ié té,  de  parler  contre  fes  fentimens  
 ;  ©n  ignorait ce langage que nous nommons le  
 langage  de  la politejfc.  Chacun  s’énoncoit naturellement  
 &  fans  détour-;  & celui qui étoit  dans  le  cas  
 de  faire  quelques  reproches à  d’a u tre s,  n’y  mettoit  
 point  d’adouciffement ;  il  s’exprimait  rondement ,  
 quoiqu’il fû t  fans  aigreur. 'Ce n’eft donc pas  fur les  
 moeurs d’aujourd’hui  qu’il  faut  juger  des  converfa-  
 tions de cette efpece , qu’on  re trouve  fréquemment  
 dans l’Iliade. Comment Homere aurait-il pu peindre  
 une nature qui de fon temps  n’exiftoit pas encore ? 
 Bien .des  gens  ont  tro u v é   étrange  que  dans  ce  
 même p o ë te , fes perfonnages  obfervent une gravité  
 finguliere'dans la  fimple  canverfatiort, qu’ils s’énoncent  
 avec formalité,  &une efpece  de  folemnité. Le  
 moindre  ra p p o rt,  le  plus  petit  meflàge  qu’un  héraut  
 vient faire de la part d’un des chefs de  l’armée ,  
 s’y  fait avec apparat ( Voyez Iliade,  liv .  IV ,  v. 204  
 & fuivans'). Mais cette maniéré eft  précifément dans  
 les moeurs de ces tems-là. Le  poëte , en ne la fuivant  
 pas-, auroit manqué la nature. Ce qu’on blâme ici efi  
 lu i, ce font donc des  beautés bien réelles  , lorfiqu’on  
 penfera  que  chez  les  anciens,  certaines chôfes qui  
 feraient aujourd’hui  de  très-peu de  v a le u r,  étoient  
 d’un to u t autre  prix ;  on  ne prendra plus Homere S t   
 fon Achille po u r deux  enfaris ,  comme  on  eft  tenté  
 de  le  faire , quand on lit de  quelle maniéré Minerve  
 tâche de confoler Achille fur la p erte du butin qu’A-  
 gamemnon  lui  a  enlevé. 
 Un exemple bien p ropre à  faire  fenrir la néceflîté  
 de confulterles moeurs des  anciens,  po u r juger  fainement  
 de  leurs  ouvragés,  c’eft  le  difcours  que  
 Neftor  tient aüx Grées dans  le  fécond  livre,  de  l’Iliade  
 , p our les  diffuadër de lever le fiege de T ro y e  :  
 «  Je  n’efpere  p a s ,  dit  ce  vénérable  vieillard  à  fes  
 »  fo ld a ts,  qu’aucun  de  vous  retourne  chez  f o i ,   
 »  avant d’avoir couché avecla femme d’un Troyen. »  
 Ce feroit aujourd’hui le motif  le  plus  infâme qu’un  
 général  pût  employer  en  pareille  circonftance ;  &   
 c’eft pourtant au plus vieux & au  plus fage des capitaines  
 grecs qu’Homere  fait tenir un tel langage.  On  
 auroit néanmoins  to rt  de  blâmer  ce  poëte.  D e  fon  
 tems, & dans des tems bien poftérieurs e n c o re , c’étoit  
 un ufage  généralement  établi,  que les  habitans  
 d’une ville çonquifé  par  les  armes ,  devenôient  les  
 efclaves  de  leurs vainqueurs ;  que les femmes  particuliérement  
 étoient partagées entre ceux-ci, comme  
 fàifànt partie du butin ;  que chacun d’eux  s’en choi-  
 fiffoit  une o u  p lufieurs,  p our  en faire fa concubine ,  
 & que les affiégés dévoient  toujours  s’attendre à un  
 pareil  fort.  Le  poëte  n’a  pas  introduit  de  telles  
 m oe u rs , il les a trouvé établies. On en  peut dire autant  
 de cet autre paffage d’Homerë -,  où. Agamémnon  
 fait  des reproches  à Ménélas  de  ce  qu’il  veut  recev 
 o ir comme  captif, Adrafte qui s’étoit rendu  à  lui,   
 &  o ù  ce chef des armées  tue le malheureux Adrafte  
 de  fa  propre main. Un  poëte  qui de nos jours fe ro it  
 agir de cette maniéré le général  d’une armé e,  fe roit  
 très-blâmable fans do u te, mais  c’eft^que, dans  n o tre  
 fiecle, une telle a â io n  déshonorerait le g én é ral  
 Dès qu’on ne perdra pas de vue ces confidérations,  
 qui font indifpenfables pour juger fainement  des ouvrages  
 de l’antiquité,  on  rendra  certainement  juf-  
 îice  aux anciens.  Nous n’entreprenons, à  la vérité ,  
 point de foutenir que tous leurs ouvrages foient fans  
 défaut ; mais ce qui  nous femble décidé,  c’eft  qu’en   
 général  leur  goût  étoit  plus  naturel  &  plus  mâle  
 que celui de la  plupart des m odernes ; qu’à c e t égard