entre les parties, qu’aucune ne domine au préjudice
des autres ; & que rien de défeftueux ou d imparfait
n’interrompe défagréablement 1 attention. Un
un mot, il faut qu’on découvre dans un batiment
parfait, autant que la nature de l’objet peut le permettre
, la même fageffe , le même goût ^ que 1 on
admire dans la ftrufture intérieure & extérieure du
corps humain , lorfqu’il eft fans défauts.
La nature eft donc la véritable école de 1 architecte
comme de tout autre artifte. Tout-corps orgamfe
eft un édifice , chaque partie eft parfaitement propre
à l’ufage auquel elle eft deftinee ; toutes ces
parties ont entr’elles la liaifon la plus intime, & en
même tems la plus commode ; l’enfeniblç a dans ton
efpece la forme extérieure la mieux chôme ; des
proportions juftes , une exafte fÿmmétrie des par-
îles le luftre 6c la diftribution des couleurs en font
un tout agréable. Tout bâtiment parfait doit réunir
les mêmes perle&ions ; on en pourroit donc conclure
avec quelque apparence de raifon , que 1 invention
& lé génie font des qualités plus necellaires
encore à l’itrchitefte qu’au peintre ; celui-ci par une
•limple imitation fcrupuieufe de la nature , peur déjà
produire un bon ouvragé ; l’autre , au contraire,
n’imite point les oeuvres de la nature, il n en imite
que l’efprit 6c le génie ; 6c ce genre d’imitation
fuppofe autre choie que de bons yeux. Le peintre
n’invente pas fes figures, il les trouve dans la nature :
Tarchitefte les crée. ' . .
Aufli la perfection dans l’art de bâtir fait-elle autant
d’honneur à une nation , que les autres talens
qu’on y cultive. Des édifices mal entendus, qui
malgré leur grandeur , n’ont ni commodité, ni régularité
dans lefquels Fabfurdité , la difpropor-
tion, la négligence, 8c d’autres défauts de cette nature
régnent de tout côté, font une preuve infaillible
que la nation manque elle-même de goût, de
jugement & d’ordre. On fe fera au contraire 1 idee
la plus avantageufe de la maniéré de penfer d un
peuple chez lequel on verra jufques dans les moindres
bâtimens & leurs plus petites parties, une noble
fimplicité , un goût sûr , & un rapport judicieux.
Elien rapporte qu’à Thebes le peintre qui failoit
un mauvais tableau, étoit condamné à une amende
pécuniaire (Ælianus Var. Hift. L. I K chap. 4. ).
Il feroit plus important- encore dans un état police,
d’établir des loix pour prévenir les fautes groffieres
en architecture. La proteftion de cet art , & fon
extenfion jufqu’aux moindrés bâtimens des particuliers
, n’eft point un objet indigne de l’attention d un
faee légiflateur. L’architecture peut aufli bien influer
fur les moeurs, que la mufique y influoit, au jugement
des anciens Spartiates. De miferables édifices,
conçus & exécutés fans ordre & fans jugement,
ou furchargés d’ornemens ridicules, extravagans 8c
monftrueux, ne peuvent que produire un mauvais
effet fur la maniéré de penfer d’un peuple qui ne
voit que des bâtimens dans ce goût-là. ■ <
Le bon goût en architecture n’ eft au fond que le
même goût qui fe manifefte fi avantageufement dans
les autres arts, 8c même dans toute la vie civile.
L ’effet de ce bon goût, en matière de bâtimens,
fera qu’on n’y appercevra rien qui ne-foit réfléchi,
intelligible , digne d’une imagination bien réglée ;
chaque partie harmoniera avec le tout ; l’a i r , la
forme , le caraftere de l’édifice répondra à fa defti-
nation. Nulle pièce, nul ornement'dont à la première
vue on ne puiffe fe rendre raifon. La noble
fimplicité y fera, préférée à l’excès dans les orne-
mens ; 8c jüfques dans le moindre détail on remarquera
diftinàement l’intelligence , 8c la foigneufe
induftrie de l’architefte. On retrouve clairement
tous ces carafteres dans le petit nombre d’édifices
qui fubfifteot encore des beaux fiecles de l’architecture
grecque. Ce font les modèles d’uu goût épuré*
Dès qu’une nation fortie de fa première barbarie ,
a le loifir de réfléchir, 8c qu’elle commence à avoir
quelques notions d’ordre, de commodité, de convenance
, fes premiers efforts fe tourneront naturellement
vers l’architecture. Il eft dans la nature de
l’homme de préférer l’ordre au défordre. L’origine
de Y architecture remonte donc aux tems les plus reculés
, ■ & ne doit pas être cherchée gn un feul pays.
Il feroit également agréable 8c inftruftif de pouvoir
mettre fous les yeux les principaux genres de goût
en fait d’architecture , en raffemblant les deflins
d’édifices eonfidérables chez les diverfes nations qui
ont cultivé cet a r t , fans avoir de communication
entr’elles.On en pourroit tirer bien des eclairciffemens
fur le caraftere national de ces peuples. On retrou-
veroit par-tout les mêmes principes fans doute ,
mais la maniéré de les appliquer feroit bien différente.
V • ^
Le goût que les Européens d’aujourd’hui ont
adopté, eft le même, au fond, qui regnoit autrefois
en Grece 8c en Italie. U architecture, aufli peu que les
autres arts, rie paroît point être nee dans la Grece •>
elle y avoit été apportée de l’Egypte 8c de^ la Phénicie
; mais c’eft chez les Grecs qu’elle atteignit à fa
perfeftion, grâces au jugement folide , & à la fenfi-
bilité délicate de ces peuples. On voit encore en
Egypte des ruines d’édifices qui, félon toutes les
apparences, font antérieures aux tems hiftoriques«
On y découvre néanmoins déjà le goût grec (F. les articles
C o r in t h i e n , D o r iq u e , DiÜ. raif. des Sc.&c c . ) ;
même jufques dans les ornemens de detail. Il n exifte
plus rien des bâtimens Phéniciens', Babyloniens ou
Perfans, de la haute antiquité. Cependant comme
le temple de Salomon tenoit fans doute de Y architecture
Phénicienne, on peut encore affirmer de celle*
ci qu’elle reffembloit à Y architecture des Egyptiens.
C’eft donc l’Orient, 8c probablement l’Alie , e«
deçà de l’Euphrate, qui eft le pays natal de ce genre
d’architecture , que la Grèce a porte au plus haut
dégré de perfection. Il paroît que cet art, lorfqu’il
paffa chez les Grecs, étoit encore fort groflier ; car
ilfubfifte encore des ruines eonfidérables d’édifices
grecs, qui remontent à des tems bien anterieurs a
celui du bon goût ; telles font les ruines de Peftum
fur le golfe de Salerne, 8c celles* d’Agrigentè en
Sicile. Succeffivement cette architecture reçut en
Grece 8c en Italie diverfes modifications ; c’étoient
autant de nuances différentes qu’on défigna dans la
fuite fous le nom Xordres. Les Etrufques & les Do-
riens, s’écartèrent le moins de 1 ancienne fimplicité
& du ftyle groflier. Les Ioniens y introduifirent un
peu plus d’agrément , & une efpece de moleffe.
Mais lorfqu’enfuite la Grece devint le fejour des
beaux-arts , Y architecture fut plus ornee , il y entra
même du luxe, comme on l’obferve dans l’ordre
corinthien. Enfin les Romains, venus plus tard,
renchérirent encore fur les ornemens. Foye?^ l'article
ORDRE, (.Architecture.) Di'ct. raif. des Sciences , & c .
Ces cinq anciens ordres à!architecture fervent encore
de réglés aujourd’hui , toutes les fois qu il eft
queftion d’employer des colonnes 8c des pilaftres ; 8c
ils font fi bien choifis , qu’on ne fauroit guere s e-
carter des formes & des proportions que les anciens
leur ont données fans riiquer.de gâter 1 ouvrage. 1!
n’eft plus à préfumer qu’on puiffe inventer un nouvel
ordre qui diffère réellement de ceux-là , & qu<
foit bon. Les Romains ont déjà epuife , ce me fem-
b le , tous les effais poffibles à cet égard. Ils s’étoient
propofé de faire de Rome la plus belle ville du
monde, par la beauté de fes édifices. On lit avec
plaifir ce que Strabon rapporte à ce fujet au livre V.
de fa Géographie. Cependant tous ces grands efforts
des plus habiles architeftes raffemblés cle toutes les
contrées de la G rece, n’aboutirent qu’à imaginer le
feul ordre rorfiain , qui n’eft que lé compofé du
corinthien 8c de l’ionique. .
A l’extinftion de la maifon de Céfar , Y architecture
Romaine commença à décliner. On s’éloigna infen-
fiblement de la belle fimplicité; des Grecs on prodigua
les ornemens. Les édifices prirent le caraftere
des moeurs qui régnent dans toutes les cours def-
potiques. Une pompe éblouiffante remplaça la véritable
grandeur. _
Il fubfifte encore. divers, morceaux à!architecture
de ces tems-là ; tels font les arcs de triomphe des empereurs
Sévere, Marc-Aurele 8c Conftantin, ÔC fur-
tout les thermes de Dioclétien. A mefure que la
majefté de l’empire fe dégradoit, Y architecture dégé-
néroit de même. Les Romains la tranfporterent à
Çonftantinople, oîi elle s’eft foutenue pendant plu-
fieurs fiecles dans un état de médiocrité. En Italie
on négligea de plus en plus les belles proportions ;
elles s’y perdirent enfin totalement. Après la chute
de l’empire d’occident, les Goths , ,les Lombards,
& enfuite les Sarrazins', ayant affermi, leurs conquêtes
, entreprirent de vaftes édifices, dans lefquels
on ne vit plus que de foibles veftiges de
l’ancien bon goût. On avoit perdu de vue prefque
toutes les réglés du vrai beau ; on s’efforça d’y fubf-
tituer lè peiné, le maniéré, le fingulier, 8c en quelque
façon le monftrueux.
C’eft au milieu de ces temps où la barbarie ré-
gnoit, que la plupart des villes d’Allemagne, &
des temples en occident, furent conftruits : ils por-
fent encore de nos jours l’empreinte d’un, goût qui
bravoit toutes les réglés. Ces bâtimens étonnent
parleur grandeur, par l’abus excefïïf des ornemens,
& par l’oubli total des proportions. On y retrouve
néanmoins de loin en loin quelques traces de l’ancien
goût. L’Eglife de Saint Marc à Venife , bâtie
dans les années, depuis 977 jufqu’à 1071, contient
encore des veftiges de la vraie magnificence, & des
belles proportions ; & l’églife de Santa-Maria-For-
mofa dans la même ville, conftruite par l’architefte
Paulo Barbetta, en 13 50, eft prefque entièrement
dans le goût antique. .
Divers édifices eonfidérables du bas âge, qui exif-
tent encore dans plufieurs villes d’Italie , femblent
prouver affez clairement que le bon goût en architecture,.
ne s’eft jamais entièrement éteint. On pofa
en 10x3 , à Florence, les fondemens du temple de
Saint-Maniat ; cet édifice eft d’un goût paffable. La
cathédrale de Pife fut commencée l’an 1016. L’architefte
étoit un Grec de Dulichium ; les Italiens le
nomment Bufchetto. Comme les Pifans faifoient en
ce tems-là un grand commerce au levant, ils firent
tranfporter de Grece des colonnes de marbre tirées
des monumens antiques , pour les employer à cet
édifice. Ils appellererit aufli de la Grece des peintres
& des fculpteurs. Vers ces tems-là , on com-
mençôit aufli à bâtir à Rome, à Bologne & à Florence.
La belle chapelle de marbre, dans l’Eglife de Sainte
Marie Majeure à Rome, fut bâtie vers l’an i z iô ,
par un certain Marchiône qui étoit à là fois fculp-
t'eur & architefte.
L’un des plus grands architeftes du bas'âge , fut
un Allemand nommé Maure- Jacques : il s’établit à
Florence où il bâtit le grand couvent des Francif-
cains ; fon fils , que les Italiens nomment Arnoljo
Lapo, cônftruifit, dans la même v ille , l’Eglife de
la.Sainte-Croix, & donna les plans du magnifique
temple de Sanfta-Maria de Fiore ; il mourut l’an
izoo.
# Cependant ces petits reftes du bon goût ne s’étendirent
point encore au-delà de l’Italie. Dans tous
ces vaftes bâtimens qu’on élevoit alors aux Pays-
jlas, monumens de l’opulence qui y régnoit, on ne
J'orne / ,
voit qu’un travail infini fans goût. On en peut dire
autant de la cathédrale de Strasbourg , l’un des
plus étonnans édifices qui ait jamais été entrepris ;
c’eft un ouvrage du treizième fiecle, dont l’architefte
fe nommoit Erwin de Steinbach.
‘Mais au quinzième fiecle Y architecture commença
à renaître de fes ruines.. Les villes dévàftées parles
troubles qui avoient, agité l’Europe, fe rétablirent,
la tranquillité permit d’entreprendre de nombreux
bâtimens', & d’y mettre du goût. On confidéra
avec plus d’attention les monumens de l’antiquité;’
on èri prit les dimenfions. Un certain Ser Brune-
lefchi, qui vivoit au commencement de ce quinzième
fiecle, fut l’un des premiers qui prit la peine de
parcourir dans Rome les anciennes ruines, l’échelle
8c le compas à la main. Dès lors , l’attention pour
ces beaux modèles alla toujours en augmentant, jufqu’à
ce que , vers la fin du quinzième fiecle , & au .
commencement du feizieme , Alberti, Serlio, Palladio
, Michel Ange., Vignole , & d’autres grands
architeftes, s’occupèrent avec un foin infatigable,
. à découvrir toutes les réglés qu’avoient fuivies les
anciens, pour donner à leurs édifices la beauté qui
les diftingue : c’eft ainfi q iïë Y architecture renaquit.
Elle ne reparut pas néanm’oins dans fon ancienne
pureté ; on avoit compris dans les modèles qu’on con-
fulta, les monumens poftérieurs de Rome ancienne,
8c fur-tout les thermes de Dioclétien, qui n’étoient
pas exempts de défauts. Palladio & Michel-Ange, les
deux plus grands architeftes , mirent eùx-mêmes au
nombre des réglés qü’ils adoptèrent les défauts que
la décadence du goût fous les empereurs, avoit in-
fenfiblement introduits ; 8c l’autorité de ces deux
grands hommes leur a donné un poids qui les fait
encore refpefter aujourd’hui. Cependant le bon goût
fe répandit fncceflivement de l’Italie dans lerefte de
l ’Europe. De la Ruflie jufqu’en Portugal, & de
Stockholm à Rome, on voit aujourd’hui, quoique
feulement de loin en loin, dés édifices qui, à la vérité
, ne font pas. fans défaut, mais qui, à les con-
fidérer en gros, font conftrüits dans le bon goût,'
Mais cés ouvrages font en trop petit nombre pour
qu’on puiffe affirmer que la bonne architecture foit
généralement reçue en Europe. Il n’y a encore que
trop de villes eonfidérables, où l’on en a'pperçoit à
peine quelque veftige. Il ne manque néanmoins aux
architeftes modernes , pour acquérir le bon goût
dés anciens, qu’à étudier avec une attention réfléchie
, les plans & les deflins des monument antiques
de la Grece & de Rome. On en a des recueils
allez complets, & qui font répandus dans tous les
pays. ■ - WBM
Nous allons terminer cet article par quelques réflexions
fur la théorie de Y architecture.
. L’ufage auquel chaque bâtiment eft deftiné, donne
prefque totijours à l’architefte l’étendue de l’édifice,
8c le nombre dés pièces, pourvu qu’il -ait le jugement
affez fa in , pour diftinguer ce qui, dans chaque
cas, convient aux tems , aux circonftances & aux
perfonnes. C’eft à lui enfuite à faire la diftribution
des pièces, & le plan de l’enfemble. .C’eft dans ce
travail qu’il a befoin d’être dirigé par certains principes,,
pour ne point fe tromper dans fon jugement
fur le beau & l’agréable. Il lui faut en outre certains
principes d’expérience , qui lui fàffent connoître lè
beau dans tous-les cas où les réglés fondamentales
ne le déterminent pas avec affez de précifion. De-là
réfùlte la théorie de Y architecture ; il y a d’abord
certaines réglés dont l’obfervation eft indifpenfable
dans toute efpece d’édifice , & dans chacune de fes
parties, fous peine de tomber dans des défauts qui
choquent 8c qui révoltent; nous les-nommerons
des! réglés néceffaires. Il y en a d’autres qu’on peut
négliger fans qu’il en réfulte aucun défaut dans