2°. De même des termes individuels dès noms
propres peuvent devenir des termes univerfels &
abfiraits, parce qu’ayant,pris, de l’être unique que
chacun defigne, les caraâeres les plus frappans qui
les ont diftingués, on en fait un concept à pa rt,
auquel* on donne ce nom propre individuel, & on
emploie ce nom propre à défigner tout autre être
qui" lui reffemble par ces traits carattéfiftiques.
Ayant faifi, par exemple, dans l’idée individuelle
& Alexandre, les idées partielles 8 ambition, de'valeur
entreprenante ; dans l’idée de Céfar, celle d'un
général parfait, qui joint la fcience militaire, l'étude
des belles-lettres, la prudence , l'activité au courage
héroïque ; j’emploie les mots Alexandre & Céfar,
comme des noms communs qui ne défignent que des
traits diftinctifs de ces individus: je les emploie dans
ce fens, & je dis de Charles X I I , c’eft l'Alexandre
du nord; de Frédéric I I I , c’eft un Céfar. C’eft dans
ce même fens que l’on dira d’un politique fourbe ,
cru e l, qui emploie la trahifon & le crime, c’eft un
Machiavel.
y . C’èft à l’exiftehce des termes abjlraits que
nous devons ces figures poétiques , qui confiftent à
perfonnifier des idées purement intelleÛuelles ; la
mort, la religion, la difcorde, les. idées métaphyfiques
dont un auteur fait une ^voiture d’une rapidité de
cpurfe étonnante , la nature, la fupcrflition 3 &c.
Peut-être eft-ce à l’abus de ces termes que l’on a dû
le polythéifme abfurde de tant de peuples, parce
que l’on a perfonnifié les attributs divins & les divers
attes de la providence. On a bientôt oublié que
ces termes ne défignoient que des idées ab(Iraites, &
non des êtres réels exiftans à part.
4®. Enfin, il faut obferver que l’on ne peut fixer
le fens des termes abjlraits, qu’en détaillant les diver-
fes idées fimples dont la réunion eonftitue Vidée ab-
Jiraite, qu’on défigne par leur moyen ; mais fi l’objet
que lignifie ce terme abjirait, n’eft lui-même qu’une
feulé idée fimple, ce qui a lieu dans les noms des fen-
fations fimples, comme rouge, verd, doux, aigre,
chaud, froid, on ne peut pas les définir ; il faut les'
expliquer par d’autres termes, ou préfenter l’objet
même, & le faire agir fur les fens. (G. M. Y
ABSTRAITE ( Idée ) , Logique. C ’eft célle qui
nous repréfente feulement une partie des idées fimples
que nous diftinguons dans l ’idée totale d’un
individu. Nous acquérons ces idées par le moyen de-
l’abfiraction. Voyez ci-deffus ce mot.
Comme il y a deux fortes d’abftraétions, l’abftra-
ûion phyfique qui nous donne les idées abfiraites
individuelles, & l’abftracfion métaphyfique qui nous '
procure les idées générales ou imiverfelles ; il y a
auffi deux fortes d’idées' abjlraites confidérées relativement
à leur origine.
Les idées abjlraites individuelles font celles que
j ’acquiers par la décompofition de l’idée totale d’un
individu unique, que j’examine feu l, en lui-même,
fans rapport à aucun autre qu’à moi, foit que cet
individu foit moi-même , foit qu’il exifte hors de
moi. Ces idées individuelles abjlraites font les élé-
mens de toutes les autres idées, que je puis avoir,
de toutes les. connoiffances que j’acquiers, de toute
la capacité intelleâuelle qui me diftingue des brutes.
Je dois ces idées, foit à mes fens qui reçoivent des
impreflîons qui fe communiquent à mon ame, & lui
donnent ces idées qui lui repréfentent, ou qu’elle
croit lui repréfenter les objets qui les occafionnent ;
foit à ce fentiment intime qu’elle a de ce qui fe pafle
en elle-même, de ce qu’elle fa it , de ce qu’elle
fouffre. Si chaque individu ne l’affeéloit que d’une
feule maniéré , elle n’auroit de chacun qu’une idée
fimple /indivifible, dont elle ne pourroit rien ab-
ftraire; mais chaque individu, chaque être l’affe&ant
de diyerfesmaniérés, faifant fur elle des impreftions
differentes, foit momentanées, foit fûcceffives elle
diftingue ces impreftions, elle les confidere à part,
& fe forme par ce moyen des idées abfiraites. V ne
boule s’offre à mes regards, & repofe fur ma main :
Ie ,nJ en .or?ie Une idée d’après les impreftions
qu elle fait fur mes fens ; je diftingue ces impref-
fions, fa rondeur, fa blancheür, fa pefanteur :
chacune de ces idées , ou plutôt les caufes qui les
Cn m0* ’ ^es nomme modes' de cétté
fubftance : ces modes me paroiffent attachés à cet
individu dont je dis qu’il eftrond, qu’ii eft b lanc,
qu’il eft pefant : cet individu me paroît être quelque'
chofe à qui ces qualités appartiennent : o r , Ce quelque
choie, je le nomme fubjlance, & c’eft de cette
fubftance que je dis qu’elle eft ronde , blanche '&
pefante; je la touche, je là remue; je vois qu’il y à
entr’elle & moi un rapport qui fait qu’elle agit fur
mes fens & que j’agis fur elle ; par-là je forme l’idée
des relations, des lieux, de caufe, d’effets: de même
je fais attention à ce qui fe pafle en moi : je fens un
être qui penfe tantôt à une chofe, tantôt à uhe autre ;
qui éprouve quelquefois du plaifir, quelquefois de
la douleur : cet être eft toujours le même : je le
confidere feu l, & fous cette face qui me le repréfente
comme fubfiftant par lui-même; je dis que
e’eft une fubftance : je confidere à part fes penfée's ,
fes fantimens divers ; je fens qu’ils appartiennent à
cette fubftance , & qu’ils font differentes maniérés
dont elle exifte ; je les regarde comme des modes de
cette fubftance : je dis qu’elle penfe, qu’elle fent du
plaifir, .de la douleur : je fens que ces modes fe
fucçedent, commencent & finifîent , durent plus ou
moins ; j’acquiers par-là l’idée des relations de tems,
de durée, de fucceflion.
Toutesnos idées abfiraites peuvent fe réduire à
ces trois claffes ; les fubftanees , les modes, les relations.
Les idées que nous acquérons par Fabftra&ion phy-
fique peuvent être fimples ou compofées. Elles font
fimples lorfqu’elles ne nous repréfentent qu’un feul
& unique objet indivifible ; il n’y a. que les idées
abjlraites des modes , lorfqu’on les confidere chacun
à part, qui foient des idées fimples; & elles nous
font fournies, ou par les fens qui reçoivent l’im-
preflion des objets extérieurs, ou par le fentiment
intime de ce qui fe pafle en nous. Une couleur, un
fon , le goût, l’étendue, la folidité, le mou ventent
le repos, le plaifir, la douleur, &c. font des idées
fimples. Au contraire, les idées abfiraites de fubjlance
& de relation font toujours des idees compofées, de
même que celles des modes mixtes , comme la. vérité
, la religion , Vhonneur, la f o i , la gloire, la vertu
, &c.
Nous pouvons augmenter le nombre des idées
abjlraites que nous fournit un individu, en pouffant
aufli loin qu’il eft poffible la;décompofition non-feulement
de l’idée totale, qui eft toujours compofée,
mais encore de chaque idée partielle, qui peut encore
elle-même être compofée -, & nous offrir diverses
idées diftinttes.qu’elle renferme. 'La figure
fpherique, par exemple, que je confidere à part
dans une boule d’o r, peut m’offrir les idées de cen-
tre^de circonférence, de rayons , &c.
On a donné le nom de pénétration à la faculté de
l’efprit qui développe , & découvre dans chaque
fujet qu’il étudie, toutes les différentes idées qu’il
eft poftïble d’y diftinguer ; & le plus haut degre de
la pénétration d’efprit confifte à réduire toutes les
idées compofées aux idées fimples qui leur fervent
d’élémens. Je dirai avec M. Bonnet: » Plus un génie
» a de profondeur, plus il décompofe un fujet. L’in-
» telligence pour qui la décompofition de chaque fu-
» jet le réduit à l’unité, eft l’intelligence créatrice ».
En effet, i l n’y a qu’elle pour qui chaque fujet ne
renferme
renferme pas des objets d’idées dans le fond defquels
il n’eft pas poflible de pénétrer. Pour elle feule , au
moins, les fubftanees ne, font pas un myftère impénétrable.
Les idées abjlraites metaphyfiques fuppofent les
idées abjlraites individuelles : celles-ci font les élé-
mens de celles-là. Nous les nommons également
idées générales , idées univerfelles, parce qu’elles font
celles qui ne nous repréfentent que ce qui eft commun
à plufieurs êtres, faifant abftra&ion de ce qui eft
particulier à chacun d’eux.
Dans toute idée abjlraite métaphyfique , il faut
confidérer, x°. la compréhenfion, 6c l’étendue dé
l ’idée ; zG. fon degré d’abftraûion plus ou moins
grand. '
i° . La compréhenfion de l’idée abjlraite métaphyfique
eft l’affemblage des idées partielles que nous
réuniffons dans l’idée univerfelle, pour repréfenter ,
comme dans un feul tableau-, les traits que nous
regardons comme étant communs à tous les êtres
d’une même .efpece, ou que nous voulons ranger
dans la même clafte. Ainfi , quand je dis un être, ou
Amplement l'être, la compréhenfion de cette idée fe
borne à la feule idée de l’ëxiftence. Si je dis animal,
la compréhenfion de cette idée renferme tous les
traits qui diftinguent un animal de tout être qui n’eft
pas un animal ; ainfi il y aura les idées d’exiftence,
d’étendue, d’organifation, de nutrition, de mouvement,
de fentiment ; fi je dis homme, à cette idée
d ’animal en général, je joindrai celles d’une certaine
figure, d’un certain arrangement de parties, & d’ame
raifonnàbfe unie à un corps organifé.
L’extenfion ou étendue de l’idée abjlraite métaphyfique,,
eft l’aflémblagë ou le total des êtres divers
,• des différens individus , auxquels l’idée eft
applicable.; ainfi l’idée d# l’être s’étend à tous les
êtres, à tout ce qui exifté , de quelque nature'qu’il
foit. C’eft, de toutes les idées, la plus générale, la*
plus étendue, L’idée d’animal s’étend à tous les animaux
, c’eft-à-dire à tous les êtres en qui on trouve-
l’exiftence, l’étendue, l’organifation, le mouvement,
le ‘fentiment, &c. l’idée d’homme s’étend à tous les
hommes qui exiftent.
'C’eft en travaillant, par la méditation, fur la com-
pr-éhenfion & l’étendue des idées abjlraites métaphyfiques
, que notre efprit range les êtres par
clafles , genres, efpeçes, &c. Plus nous avons approfondi
& décompofé l’idée de divers individus qui
aious font connus, pour y diftinguer toutes les idées
fimples & diftin&es qu’ils offrent à notre méditation ;
plus nous fommes en état de rendre exa&e & pré-
cife la diftribution que nous en faifohs par clafles,
moins nous courons de rifque de mettre dans le
même genre ou la même efpece, comme femblables,
des êtres qui , mieux connus, nous offriroient des
différences affez effentielles pour exiger d’en faire
des clafles à part, ou de les rapporter à d’àutres.
,f Ea coniprehenfion de l’idée en refferre ou en
étend l’extenfion , félon qu’elle eft plus ou moins
compofee , c’eft-à-dire félon qu’elle renfermé un
plus ou moins grand nombre d’idées diftinftes. Qu’à
lidee de l’etre, je n’en joigne aucune autre ; qu’elle
ne renferme que la feule idée de l’exiftence ; j’aurai
\idée abjlraite de la plus grande étendue, puifqu’elle
s’appliquera à tout ce qui exifte. Qu’à l’idée d’exiftence
fe joigne celle d’étendue folide, de divifibilité ,'
d impénétrabilité, j’aurai une idee univerfelle moins
étendue, puifqu’elle ne conviendra qu’aux corps.
Qu’à ces idées renfermées dans la compréhenfion
de l ’V^e <le corps, je joigne celle de fufibilité, de
malléabilité, de pefanteur, je refferre l’étendue de
cette idée en augmentant fa compréhenfion ; elle ne
convient plus qu’à cette forte de corps qu’on nomme
métaux. Que jjg ajoute encore celle d’une plus
grande pefanteur, de la couleur jaune & brillante ,
de la fixité; je reltreins l’idée de métaux, à l’idée de
S?*1;1_li ftul que l’on nomme or. Plus donc, dans
Jidee abjlraite métaphyfique, je fais entrer d’idéés
qui en augmentent la compréhenfion, plus par-là ie
reltreins Ion étendue ou extenfion.
a .. Les idées abfiraites peuvent avoir différens
degres d abftra£bon, félon que ce qu’elles repréfentent
à 1 efpnt s éloigné plus ou moins de l ’idée com*
pjette d un individu : fi je ne retranche ou n’abûrais
rien de 1 idée de Louis XVI, mais que dans la com-
prehenfion de l’idée' que j’en a i, je raffemble fans
exception tous les traits, toutes les idées diftinaes
que m'offre fa perfonne, j’ai une idée individuelle
qui ne convient qu’à ce feul objet: fi je retranche
de cette idée celle du numéro de fon nom , pour ne
conferver que ce qu’il a de commun avec tous les
Rois de fa maifon qui fe font nommés Louis l’idée
q u ç je me forme par-là eft une idée abjlraite, qui
convient à tous les rois de France qui fe font nom*
mes Louis. Si je retranche de cette idée ce qui n’a
été commun qu’aux rois nommés Louis, pour ne
garder que ce qui eft commun aux rois de France
de la race Capétienne, j’aurai une idée plus abflraite ,
d’une compréhenfion pins reftreinte, mais' d’une
plus grande étendue , qui embraffera tous les rois
qm.pnt régné en France depuis Hugues Capet. Si je
retranche ou abftrais de cette idée tout ce qui eft
particulier à chaque race, pour ne joindre à l'idée
de roi que celle de la domination fur le royaume
de France, mon idée fera plus abjlraite, 8c conviendra
à, tous les rois de France fans exception. Que
j’abftraife encore de cette idée toute idée de domination,
fur un pays plutôt que fur un autre, toute
idée du teins ancien ou moderne, mon idée devient
toujours plus abjlraite, d’une compréhenfion moins
compofée , mais en même tems d’une'étendue plus
vafte., puifqu’elle fera applicable à tous les fois qui
ont régné fur la terre depuis le commencement, 8&
qui y régneront jufqu’à Ja fin. Voilà une première
face fous laquelle on petit envifager les idées ab lirai-
tes , 8c qui nous les offre comme plus ou moins
abfiraites, relativement à leur compréhenfion & à
leur étendue. Plus la compréhenfion eft reftreinte
plus l’extenfion augmente, plus l’idée eft abjlraite. ’
Les idées, métaphyfiques l'ont) auffi plus ou moins
abfiraites, relativement à la nature des objets qu’elles
repréfentent,
i°. Les idées métaphyfiques moins abjlraites , font
celles qui repréfentent les diverfes natures communes
des êtres, &c qui font formées fur les modèles
des individus exiftans réellement dans la nature ;
telles font les idees generales d’homme, de cheval 9
de pigeon , de métal, d’efprit. On peut donner à
ces idees le nom. d’idees abjlraites corporelles ou
Spirituelles 3 fuivant la nature corporelle ou fpiri-
tuelle des êtres qu’elles comprennent dans leur
extenfion, ^quoiqu’elles ne repréfentent pas parfaitement
ces êtres, puifque, dans leur compréhenfion ,
on ne fait entrer que les idées des traits par lefquels
chacun des individus de l’efpeçe fe reffemblent.
a°. On peut placer dans le fécond rang des idées
abjlraites, celles qui ont pour objet les modes, les.
propriétés des êtres, envifagées en général & fépa-
rénient des fubftanees, ou les fubftanees des êtres
confidérées en général & féparément des qualités ,
des propriétés 6c des modes ; comme font les idées
abjlràites de figure, de couleur, de mouvement
de la puiffance, de l’aftion, de l’exiftence , de l’é*
tendue, de la penfée, de fubftance , d’effençe, & c .
3°. Moins les objets des idées abjlràites. ont de
réalité, & plus eft confidérable leur degré d’abftra-
étion : je ferai donc autorifé par,eette réglé, à placer
dans un troifieme rang, ôç, par-là m ême, d’afligner