borde l’océan ; c’eft la plus grande des trois : enfin
la forêt d’Alfatak occupe le milieu de la bande de
terre moitié fablonneufe, moitié argilleuîe, à l’orient
des deux autres forêts ; fa largeur eft ignorée. Il
paroît, par le récit des mêmes Maures, que la foret
de Sahel, qui eft, pour la plus grande partie »plantée
fur la bande fablonneufe , eft prefqu’entiérement
compofée de gommiers blancs uerek ; que celle de
Lébiar, qui borde en partie les mêmes fables vers
le nord, contient plus du petit gommier rouge neb-
neb qui eft celui d’Arabie ; qu’enfin la forêt d’Alfatak,
qui eft plus enfoncée dans le continent, oîi la terre
eft plus fubftancieufe, eft entièrement du grand gommier
rouge appellé gonaké. Ces trois forets appartiennent
à trois tribus de Maures, qui y font .leur
récolte chacun dans la leur ; ce font elles^ qui four-;
niffent toute la gomme qui fe porte au Sénégal. Les
trois efpeces fe trouvent mélangées îndiftinôement;
& fuivant le canton où elle a'été cueillie, tantôt
c’eft la blanche , tantôt c’eft la rouge qui domine :
celle-ci eft la moins eftimée. On y rencontre aufli
des morceaux de bdellium, que les Européens regardent
mal-à-propos comme l’encens ; c’eft une réfine
très-odoriférante , dont nous donnerons l’hiftoire
en fon tems.
Les Maures nous affurent qu’ils font deux récoltes
de gomme chaque année : la première , qui eft la
plus abondante , le fait au mois de décembre : les
boules en font plus groffes, plus nettes, moins fe-
çhes, moins ridées , parce que les arbres, alors fur-
chargés de feve par les pluies de l’été, la rendent en
abondance ; 6c que le foleil, moins chaud pendant
ce mois que dans le refte de l’année, ne la deffeche
pas tant. La fécondé récolte fe fait au mois de mars :
les boules en font plus petites, plus ridées, moins
fréquentes, mais fouvent plus blanches, 6c tombent
quelquefois par terre defféchées par le vent d’eft,
qui les .fait détacher de l ’écorce :,quelques-uns ont
prétendu que les Maures la tiroient par incifion;
mais c’eft une erreur qui n’a aucun fondement.
Il n’y a que cinq endroits principaux où Fon ait
jamais fait la traite de la gomme au Sénégal, dont
trois fur la côte, favoir, Marfa ou le petit Portendic,
- à trente-quatre lieues marines au nord de l’ifle du
Sénégal ou de l’embouchure du Niger ; Portendic,
à quarante-deux lieues ; & l’ifle de Gui-Aguadir ou
Arguin, à quatre-vingt-cinq lieues. Les deux autres
efcalles de traite font fur le fleuve Niger, dont la
première & la plus confidèrable, appellée le Défert,
eft à trente lieues de fon embouchure, dans l’eft-
no rd -eft, & correfpond au grand 6c au petit Portendic;
la fécondé eft à Donaï fur le Terrier Rouge,
à quarante lieues de la même embouchure, & correfpond
au commerce d’Arguin ; voici comment.
Nous avons dit qu’il y a trois forêts de gommiers
au Sénégal, que chacune d’elle appartient à
une tribu de Maures, qui fe réferve le droit exclusif
d’y venir faire annuellement fa récolte de gomme.
Or la pofition phyfique de chacune de ces forêts
a déterminé leurs propriétaires à porter leur
gomme à l’efcalle la plus voifine de leur habitation
ordinaire ; 6c comme les pâturages néceffaires à
leurs troupeaux font plus abondans dans le voifi-
nage des rivières, ils fe font rapprochés autant
qu’ils ont pu du fleuve Niger, fans quitter leur forêt.
C ’eft ainfi que le Bakar, chef de la tribu des
Ebragena,à laquelle appartient la grande forêt d’Alfa
ta k, qui commence aux bords du lac Caër , improprement
appellé Cayar, 6c qui s’étend confidé-
rablement dans l’eft, vient porter fa gomme à l’ef-
çalle de Donaï fur le Terrier Rouge, dans le voifi-
nage du comptoir de Pôdor. Nous apprenons par
Jes Negres qui avoifinent cette tribu , que fon
adouard, ou le lieu de fon campement, eft à 50
lieues du fort de Podor, fur les terres du royaumé
de Siratik, dont les peuples appellés Peuls, & par
corruption Foules, font des Negres. On fait par
les dépouillemens des regiftres de la compagnie des
Indes, qu’en l’année 1700 , où fon commerce n’é-.
toit pas aufli confidèrable que dans les derniers
temps, il fut traité au Terrier Rouge, pendant les
mois de mars , avril & mai,, plus de 3,600 quintaux
de gomme, qui équivalent à 14,400 quintaux
de France ; or le quintal des Maures pefoit
alors 400, 6c depuis l’année 1 7 1 5 , M. Brue,alors
directeur général au Sénégal, le fit monter à 700 1.'
où, il eft refté.
La forêt de Lébiar, que le P. Labat dit n’être
qu’à 30 lieues au-nord-eft de l’efcalle du Defert,
6c que les Maures nous affurent être à plus de 40
lieues, appartient à la famille des Darmanco, chefs,
de la tribu des Auled-el-hagi. Ces Maures font fort
laborieux, 6c, quoiqu’auffi voifins d’Arguin, ils
préfèrent d’apporter, leur gomme à l’efcalle du Dé-'
le r t, à caufe des pâturages qu’ils trouvent aux
bords du Niger, où ils paffent le refte de la faifon
feche, c’eft-à-dire, jufqu’en mai 6c juin. Quoique leur
forêt foit la plus grande des trois, 6c qu’elle four-
niffe abondamment, néanmoins ils en recueillent
aufli quelquefois dans celle d’Alfatak, & ils en portent
communément 12 à 15 mille quintaux au De-
fert.
La forêt de Sahel, quoique la moindre des trois
forêts de gommiers, eft la plus précieufe par la
qualité' de la gomme qu’elle produit ; aufli le mai-,
tre de cette forêt a-t-il fur les deux autres une fu-,
périorité, que lui donne peut-être aufli fa plus grande
proximité de Portendic 6c l’ifle S. Louis , qui eft:
le chef lieu de la conceflion du Sénégal : elle fournit
.environ dix mille quintaux de gomme. La tribu
à-laquelle elle appartient, fe nomme Thrarga ou
Terarça, 6c a pour chef Hamar Alichandora , fils
d’Addi, qui a donné fon nom au port d’Addi, appellé
par corruption Portendic. Ce feignèur promené
Tes tentes ou fies villages ambulans au nord
6c à l’occident de cette forê t, du côté d’Arguin 6c
de Portendic où il porte fa gomme., mais par préférence
à Portendic où font deux pauvres hameaux
d’environ deux cens perfonnes chacun,.qui y font
fixes, au moins pendant le temps de la traite, ç’eft-
à-dire , depuis le mois de décembre jufqu’au commencement
de juin. Le gouvernement de ces deux
| hameaux eft confié à un maître de l’efcalle nommé
autrefois Bovali, qui fait avertir Alichandora dès
qu’il arriye des vaiffeaux pour la traite.
Les Maures trouvant beaucoup plus de facilité
à porter leur gomme fur les bords du Niger, où
ils font attirés après leur récolte, 6c comme fixés
pendant l’hiver par l’abondance des pâturages, la
vendoient autrefois toute aux François qui étoient
en poffeflîon de ce fleuve, 6c qui profitaient de
cette facilité pour l’acquérir à très - vil prix. Les
Anglois de leur cô té , les Hollandois 6c les Portugais
, qui vouloient enlever aux François, ou au
moins partager avec eux ce commerce avantageux,
jufqu’à ce qu’ils fuffent en état de s’en emparer enflèrent
, cherchèrent à attirer les Maures avec leur,
gomme fur la côte maritime. Pour y réuflîr ils s’é-;
tablirent d’abord parmi eux à Portendic, puis ils
gagnèrent Hamar Alichandora par des préfens, 6c
Fe déterminèrent à force d’argent à infulter, maltraiter
6c piller les deux autres tribus qui alloient
porter leurs gommes fur le N:_ger, pour les forcer
de les amener à Portendic, où ils les achetoient à
un prix excefîïf en livrant leurs marchandifes perte, afin d’engager ces trois nations Maures à
leur apporter leurs récoltes entières. Ces interlopes
étrangers firent donc en contrebande ce commerce,
d’abord à terre, mais ils en fentirent bientôt les
inconvéniens ; les friponneries des Maures, leurs
conteftations élevées à deffein fur leur droit de
propriété du terrein où fe faifoit la traite, le double
maniement de la gomme ainfi traitée à terre ,
le temps perdu à cette double opération, les rif-
ques de la mouiller en l’embarquant dans les chaloupes
pour la porter à bord, la perte 6c le déchet
qui en font les fuites, 6c qui^oivent retomber fur
le vendeur 6c non fur l’acheteur ; tout cela leur fit
faire des réflexions: ils jugèrent à propos de ne plus
defcendre à terre, 6c de fe faire apporter la gomme
à bord de leurs vaiffeaux ; mais cela fut fujet à d au-.
très inconvéniens : ils prirent donc le parti de s’établir
à terre dans un lieu où ils n’euffent point à
craindre le brigandage des Maures. Pour cet effet
ils bâtirent fur le roc de l’ifle d’Arguin un fo r t ,
dont ils furent bientôt chaffés par 1* François qui
le démolirent. Ce fut ainfi que les Anglois abandonnèrent
peu à peu un commerce dont ils fentoient
tout le prix.
La quantité de gomme qui fe vend annuellement
au Sénégal va communément à trente mille
quintaux , fçavoir, douze mille à l’efcalle du D é fert
, fix mille à celle de Donaï ou du Terrier Roug
e , 6c dix mille à Portendic , q ui, portés en Europe
, rendent près de dix millions en efpeces. Son
commerce eft donc infiniment plus avantageux,
comme nous l’avons d it , que la traite de l’o r, 6c
que celle des Negres, dont on ne tire guere plus
de trois mille par an de ce même pays.-
■ Autrefois la gomme fe tiroit toute de l’Arabie,
avant que les François fe fuffent établis fur le fleuve
Niger au Sénégal; mais depuis qu’ils ont ouvert ce
commerce à l’Europe , le prix de cette marchan-
dife a beaucoup diminué, 6c a fait difparoître celle
qui venoit de. l’Arabie. Elles ne different en rien
l’une de l’autre ; elles ont les mêmes qualités, les
mêmes vertus, les mêmes ufages, les mèmès avantages
; 6c il paroît, par ce qui'a été dit ci-deffus ,
qu’elles font tirées des mêmes arbres, au moins des
deux gommiers rouges dont nous avons fait la def-
cription.
Remarques. Quoique nous ne trouvions dans aucun
auteur ancien une defcription qui puiffe s’appliquer
à cette efpece, on voit cependant que ce
que Pline dit, livre X I I I de fon HijloireNaturelle, au
commencement du chapitre 1 1 , ne peut guere être
appliqué qu’à elle. Gummi optimum ejje ex Ægyptiâ
fpinâ convenit, vermiculatum, colore glauco, purum,
fine cortice, dentibus adhcerens. Pretium ejus in li-
bras xiij. Deterius ex amygdalis amaris & cerafo ,
peffimum ex prunis , 6cc.
Quelqu’éloignés que nous foyons de vouloir pa-
roître trouver M. Linné en défaut prelqu’à chaque
pa s, nous ne pouvons nous refufer à la vérité de
dire qu’il s’eft trompé en rapportant à cette plante
celle que Profper Alpin a figurée à la planche o) ,
fous le nom d’acacia fcemina, ainfi que celle que
Plukenet a fait graver planche ï b i , figure 1 de fa
Phytographie, avec la dénomination fuivante : acacia
altéra vera ,Jtliquâ longâ villofâ, cortice candicante
donata, qui eft , comme l’on a v u , la première efpece
ou X acacia vera : Y acacia proprement dit appellé
nebntb au Sénégal. Au refte, cette efpece eft
affez différente des trois premières, par la difpofi-
tion de fes fleurs en épi, 6c par la forme applatie
de fes gonfles, pour déterminer les botaniftes à en
faire un genre différént, que l’on pourroit àppeller
de fon nom de pays uerek.
Cinquième efpece. Ded.
Le ded des Negres du Sénégal eft une cinquième
-forte acacia, qui vient naturellement dans le genre
de l’uerek ou- dû gommier blanc, & qui eft affez
commun dans les fables voifins de l’embouchure du
Niger. Je n’ en trouve la figure dans aucun auteur
de botanique. '
C’eft un arbriffeau en buiffon conique de la hauteur
de fix à dix pieds, dont les vieilles branches
garniffent le tronc depuis la racine jufqu’au faîte,
6c font couvertes d’une écorce brune mince, qui
enveloppe un bois blanc, plein, affez dur. Les jeunes
branches font verdâtres ', pentagones, couvertes dé
poils courts, affez ferrés , couchés & armés de tous
côtés d’épines femblables à celles du rofier, c’eft-à-
dire , Coniques, comprimées, rouge - brunes, longues
de deux lignes 6c demie , 6c recourbées en
deffous en forme de crochet. Ses feuilles different
de celles des précédens acacias, en ce qu’elles ont
depuis fept jufqu’à quatorze paires de pinnüles,
chacune de trente-cinq paires de folioles plus étroites
, longues de trois lignes, 6c trois fois moins larges
: leur pédicule commun eft femé en' deffous
comme les branches, d’épines rouge-clqir, 6c porte
en deffus quatre tubercules ou glandes, dont une
conique entre la première paire inférieure des pin-
nules, & trois hémifphériques entre les trois dernières
paires d’en haut. Au lieu d’épines, Comme dans
les efpeces précédentes, ce pédicule commun eft accompagné
à fon origine, fur les côtés , de deux
ftipuleS en lames triangulaires-plates, une fois plus
longues que larges, 6c qui tombent bien avant lui.
Deux épis cylindriques de fleurs blanches fortent
de l’aiffelle de chacune des feuilles qui terminent le
bout des branches ; ils ont chacun deux pouces de
longueur, 6c quatre fois moins de largeur. Ils font
une fois plus courts que lés pédicules communs
des feuilles, écartés fous un angle de quarante-cinq
degrés, & couverts depuis le haut julques vers le
bas d’une centaine de fleurs feflîles contiguës, couchées
horifontalement, 6c accompagnées chacune
d’une écaille en forme de lance, égale à la longueur
de la corolle, arrondie à fon origine, deux
fois plus longue que large, femée de longs poils
6c caduque. Au-defîbus de ces dernierés fleurs , cet
épi porte encore une efpece d’enveloppe compofée
de trois écailles triangulaires de grandeur médiocre
, deux à trois fois plus longues que larges ,
velues, & qui tombent de bonne heure.
Chaque fleur a deux lignes de longueur. Son calice
eft un tuyau cylindrique, jaunâtre , liffe, mince
j prefqu’une fois plus long que large, divifé jufqu’au
quart de fa longueur en cinq dents triarïgulai-
les, qui enveloppe une corolle une fois plus longue
que lui, de même forme , blanche, deux fois plus
longue que large, partagée jufqu’aU quart de fa
longueur en cinq denticules triangulaires, Un tiers
plus longues que larges. Les étamines font, comme
dans l’uerek. L’ovaire eft ovoïde , comprimé, une
fois plus long que large, tout couvert de poils blancs
criftallins j porté fur un pédicule une fois plus: court,
& trois fois plus mince que lui, égal à la corolle, 6c
il eft furmonté parunftile cylindrique tortillé, une
fois plus long que lui, 6c du refte femblablé à celui
du uerek. Le légume qui provient de cet ovaire, ne
diffère de celui du uerek qu’en ce qu’il n’a que deux
pouces 6c demi de longueur , qu’il eft trois fois
moins large , brun-noir, marqué fur chacune de fes
faces de deux à trois grandes foffettes, & partagé
intérieurement en quatre à cinq loges renfermant
chacune une graine orbiculaire, qui n’a ni proion-,
gement ni impreflion fur fes faces.;
Ufages. Je n’ai jamais rencontré de fuc gommeux
fur cet arbriffeau, quoiqu’il paroiffe devoir en fournir
comme les précéderts, 6c il n’eft d’aucun ufage.
Les Negres le refpe&ent beaucoup ,lë regardant fu-
perftitieufement comme un arbre facré, fans doute